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Si je ne suis pas assez gay ni assez hétéro, alors que suis-je ?

Photo: Courtesy of Jenny Anderson.
Lauren Patten (pronom elle) incarne Jo dans la nouvelle comédie musicale d'Alanis Morissette, Jagged Little Pill. Parmi les autres productions théâtrales où on peut l'apercevoir, on retrouve : Fun Home, The Wolves (Obie et Drama Desk) à Broadway, et Days of Rage (Second Stage) de Steven Levenson. Au cinéma et à la télévision : Blue Bloods, The Good Fight, Succession, et The Big Sick. Pour en savoir plus, visitez son site web et suivez-la sur Twitter et Instagram @pattenlauren.
Pendant plusieurs mois en 2016, j'ai embrassé une femme huit fois par semaine. Je me suis jetée sur elle, la dévorant de ma bouche alors que nous nous allongions sur mon lit. Puis j'enlevais mon jean, révélant mes sous-vêtements, et je me mettais à chanter mon éveil sexuel. C'est à Broadway que j'ai fait mes débuts, en jouant Medium Alison dans la comédie musicale Fun Home, qui a remporté un Tony Award.
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Je ne m'identifiais pas encore comme queer, mais je ressentais une profonde affinité avec la culture lesbienne que j'avais découverte grâce à cette pièce de théâtre. En passant du temps avec des actrices, des créatrices et des productrices lesbiennes, j'ai trouvé une légitimité à mon côté "garçon manqué" que je traine depuis l'enfance et à mon exploration de la présentation "masculine". Peu de temps après avoir accepté le rôle de Medium Alison, j'ai commencé à écrire sur cette affinité déroutante. Comme j’ai du mal à écrire sans échéance, j'ai, sans surprise, arrêté après quelques paragraphes, mais j'ai gardé le brouillon sur mon ordinateur. J'ai récemment décidé de l'ouvrir - comme on ouvrirait une capsule temporelle. Voici ce que j'ai écrit :
Ça fait environ un an que mon intérêt pour la culture queer s'intensifie ; je suis sûre que ça tient en grande partie à mon travail qui m'a immergée dans la communauté lesbienne. Mais ce n'est pas non plus quelque chose de nouveau. Je parle un ou deux tons plus graves que ma voix naturelle depuis que j'ai 18 ans. J'ai des cicatrices sur les phalanges de la main droite à cause d'un accident de skateboard quand j'étais petite. Je crie aussi fort - si ce n'est plus fort - que mon père pendant un match de foot. Je n'ai jamais vraiment été...  femme.
Certaines de mes amies lesbiennes plaisantent sur le fait que je suis lesbienne, mais je ne le sais pas encore. Je dirais que c'est le contraire : au fond de moi, je sais que je suis lesbienne, mais je ne le suis simplement pas encore devenue.
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Il est facile pour moi maintenant, en tant que femme queer, de rire du fait que j’ignorais l’évidence. Mon "désir d'être queer" n'était rien d'autre qu'une reconnaissance masquée de mon identité queer, à laquelle il manquait la validation d’une quelconque expérience sexuelle avec une femme. L'identité queer est si souvent confirmée et comprise, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la communauté, par l'expérience sexuelle. Que vous ayez envie de caresser la fille qui est assise à côté de vous en cours d'anglais, ou que vous couchiez avec une femme pour la première fois à la fac, la pensée et l'action sexuelles sont généralement la lentille à travers laquelle nous voyons notre identité queer et celle des autres. Ainsi, même si je m'identifiais profondément à une présentation des genres et à une culture qui n'était pas hétéronormative, je n'avais envisagé de sortir qu'avec des hommes jusque là - donc, je me disais que je ne pouvais pas être queer.
Mai 2017. Mon premier baiser (hors scène) avec une femme a eu lieu au Rockwood Music Hall dans le Lower East Side de New York. J'avais un verre dans une main et sa taille dans l'autre. C'était notre troisième date, mais elle avait vu des photos de mon ex (homme) sur Instagram et n'était pas sûre qu'il s'agisse de dates avant que je l'embrasse.
Pendant le court laps de temps où nous sommes sorties ensemble, elle a été douce et gentille. Elle a été patiente avec moi alors que je faisais mes premiers pas en territoire inconnu. Mais même si tout ça était nouveau pour moi, être avec une femme me semblait aussi naturel et facile que toutes les expériences romantiques positives que j'avais eues avec des hommes par le passé. La relation n'a pas duré longtemps, mais grâce à elle, j'ai réussi à mieux comprendre mon essence : je sais maintenant que je suis une femme bisexuelle queer. L'identité bisexuelle+ - être attirée par des personnes qui s'identifient à mon genre et à d'autres genres - a permis l'expression de toutes mes expériences : les relations entre personnes du même genre, les relations entre personnes de genres différents, et ma fluidité entre les identités et les présentations masculines et féminines. C'était comme si je mettais enfin des lunettes à ma vue. Mon environnement restait le même, mais ma vision était plus claire. Je me suis sentie plus forte.
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J'ai appelé deux de mes ami·es le matin après mon premier baiser avec cette femme, impatiente de leur raconter ce qui s'était passé. Mes deux amies - l'une, une lesbienne polyamour et l'autre une activiste transgenre - ont exprimé leur joie et leur soutien pour l'expérience qu'elles pensaient que je vivais : un éveil sexuel semblable à la réalisation par Medium Alison qu'elle était lesbienne. Je sais que mes amies n'ont jamais eu l'intention de me coller une étiquette ; elles ne faisaient que revivre leurs propres expériences dans la mienne. Pourtant, j'ai ressenti une pression - subtile extérieurement, amplifiée intérieurement - la pression de choisir un camp.
Quand j'ai mis un terme à ma relation avec cette femme, ça a été un joyeux bazar dans ma vie. C'était en juillet, il faisait chaud. Je me sentais mal dans cette relation et j'avais besoin de prendre de la distance. Ma copine n’était pas satisfaite par mon explication, alors elle s'est tournée vers la sienne. Je n'avais jamais été avec une femme auparavant, dit-elle, et c'est pourquoi je ressentais tant de malaise et d'anxiété, pourquoi je m'enfuyais maintenant. Elle ne l'a pas dit ouvertement, mais l'implication était claire : soit j'avais peur d'être gay, soit je n'étais pas vraiment gay en premier lieu. J'ai préféré ne pas relever le commentaire.
Après cette rupture, j'avais hâte d’enfin pouvoir crier au monde que j'étais une femme queer célibataire. Je ressentais un frisson chaque fois que je voyais une femme qui m'attirait dans la rue, un frisson dû au fait que j'étais enfin en mesure d'identifier cette attirance et à lui donner un nom. J'ai changé mes paramètres sur OKCupid pour rencontrer des femmes. J'ai même envisagé de fréquenter un bar pour lesbiennes, ce qui n’est pas rien pour tou·te·s celles et ceux qui me connaissent, et qui savent mon dévouement à être à la maison en pyjama avant 22 heures. Et puis j'ai rencontré Max. Je suis tombée amoureuse ; c'était le début d'une belle histoire qui dure depuis un an.
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Je me souviens avoir pensé à mon ex la première fois que j'ai publié une photo de Max sur les réseaux sociaux. Est-ce qu'elle se dirait qu’elle avait raison ? Est-ce qu’on me prendrait pour une hétéro de plus qui s'envoie en l'air avec une femme juste pour une "phase" ou pour "passer à autre chose" ? J’avais peur non seulement de ce que mon ex pouvait penser, mais aussi de ce que pensaient tou·te·s celles et ceux qui me connaissaient ou qui étaient au courant de mon passé.
Photo: Courtesy of Matthew Murphy.
Mon homosexualité a toujours été présente dans la sphère publique, de par mon travail. Le public, les directeurs de casting et mes collègues m'ont vue comme une lesbienne bien avant que je ne comprenne mon identité bisexuelle ; ce n'était pas surprenant, après avoir joué des lesbiennes dans Fun Home et The Wolves. Puis, quelques semaines seulement après avoir réalisé ma bisexualité, j'ai été choisie pour la première lecture de Jagged Little Pill, où je devais incarner la très gay Jo. Le fait d'incarner Jo et de présenter son parcours vers la réalisation de son homosexualité parallèlement à mon propre parcours a été une véritable bénédiction. Mais ça a aussi mis en lumière la tension que je ressens en naviguant dans les sphères publiques et privées de ma vie. En public, une grande partie de mon travail explore les relations et l'identité queer ; les femmes que j'ai jouées à Broadway évitent activement la mise en avant de leur féminité et ne veulent rien avoir à faire avec les hommes. Mais après le travail, je rentrais à la maison rejoindre mon copain, dans une relation entre personnes de genres différents qui pouvait "passer" pour hétéro dans la sphère publique. Et même si mon identité queer ne disparaît pas lorsque je quitte le théâtre, et même si mon petit ami m'a beaucoup soutenue et m'aime non pas malgré mon identité queer mais en raison de celle-ci, je ne peux pas nier la différence entre ces mondes. En évoluant entre ces sphères, il est rare que je me sente considérée dans mon entièreté.
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Ces tensions se sont amplifiées à mesure que ma présence publique s'est accrue. Mon travail me met en contact avec tant de spectateurs et de fans incroyables qui s'identifient et se voient représentés dans les histoires que j'aide à raconter sur scène, et cette connexion m'a inspirée à utiliser ma plateforme pour défendre les droits LGBTQ+ de toutes les manières possibles. Je ne changerais ça pour rien au monde. Mais s'engager dans cette mission public tout en possédant une identité bisexuelle+ - une identité qui ne peut être assumée ou confirmée en examinant la présentation du sexe d'une personne ou le sexe de son partenaire actuel - est vulnérable. Certain·es considèrent que mon homosexualité est performative en raison de ma relation avec un homme cis ; pour d'autres, ma relation avec un homme cis est troublante et menaçante car je ne suis pas attirée uniquement par les hommes cis et je ne me présente souvent pas selon leurs attentes d'une femme cis. La validité de mon identité est donc remise en question dans les deux espaces.
Si je ne suis pas assez gay et pas assez hétéro, alors que suis-je ?
Le problème que pose l'effacement de la bisexualité+, et la raison pour laquelle il est tellement nécessaire que nous la reconnaissions expressément, est que le dénigrement de la bisexualité sert en définitive à conforter et à soutenir le patriarcat. La bisexualité féminine est à la fois encouragée et banalisée par la culture patriarcale. Il est excitant et sexuellement gratifiant pour les hommes hétérosexuels d'imaginer des femmes qui couchent avec d'autres femmes, mais seulement avec l'assurance de pouvoir participer d'une manière ou d'une autre - en racontant des histoires croustillantes, ou en participant à des plans à trois et à d'autres actes sexuels collectifs. Les hommes cis hétérosexuels peuvent également encourager la bisexualité féminine en toute sécurité, car ça leur garantit que si une partenaire féminine potentielle peut être attirée par d'autres femmes, la satisfaction sexuelle masculine peut toujours primer. En attendant, la bisexualité masculine est violemment occultée. Un homme bisexuel+ est considéré, tant par les hommes que par les femmes qui défendent la culture patriarcale, comme "secrètement gay". Il n'y a pas de place pour la nuance, car une fois qu'un homme transgresse les règles de l'hétéronormativité patriarcale, il n'est plus jamais autorisé à revendiquer sa validité au sein d'une relation entre deux genres différents.
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Pour l’avoir vécu, l'effacement bisexuel+ est, bien sûr, perpétué par les hétéros cis, cela va sans dire. Mais j'ai également fait l'expérience de cet effacement dans la communauté queer, et j'ai dû confronter ma propre biphobie intériorisée depuis mon coming out. Il m'est arrivé de rouler les yeux et de parler dans le dos d'hommes bisexuels+, pensant qu'ils devraient simplement accepter leur homosexualité et passer à autre chose. J'ai écouté et je suis restée silencieuse lorsque des lesbiennes parlaient de femmes bisexuelles comme étant des opportunistes, les considérant comme des hétéros qui les mènent en bateau. L'effacement des personnes bisexuelles+ ne disparaît pas quand on entre dans l’espace queer. Il est présent dans les communautés hétérosexuelles et queer et se manifeste par des comportements tels que la discrimination au travail, la violence conjugale et un taux plus élevé d'anxiété et de troubles de l'humeur chez les personnes bisexuelles.
Le mot "queer" est une des seules désignations de notre communauté qui ne soit pas explicitement définie ; il représente une multitude d'identités différentes. Pour moi, la plus belle chose dans le fait d'être "queer" est la singularité de l'expérience de chaque personne. Nous existons sur un spectre, et toute personne qui s'identifie au sein de ce spectre ne devrait pas ressentir le besoin de qualifier son expérience ou de prouver qu'elle est suffisante. J'aurais aimé pouvoir me dire ces choses il y a quatre ans, lorsque j'essayais de trouver les mots pour exprimer mon sentiment de singularité durant la période de Fun Home. Si notre communauté mise sur l'expansion du spectre queer, nous donnerons aux autres la possibilité de s'approprier leur queerness - même si ce n'est qu'un sentiment intérieur, une chose sur laquelle ils n'ont jamais eu l'occasion ni le désir d'agir. Tout comme notre genre n'est pas défini par notre corps, notre sexualité n'est pas définie par nos partenaires. Être avec un homme n'annule pas mon attirance pour les autres genres ; ce n'est qu'une forme d'expression romantique et sexuelle pour moi en tant que personne bisexuelle.
L'homosexualité d'une lesbienne n'est pas plus valable que celle d'une femme bisexuelle+. Un homosexuel cis n'est pas plus légitime qu'un transsexuel. Personne n'est plus légitime qu'un·e autre. Vous n'avez pas à attendre d'avoir assez de "preuves" pour vous considérer comme LGBTQ+. Je veux permettre aux gens de s'approprier leur identité queer dans ces conditions.
Il aurait été extrêmement facile pour moi de continuer à prétendre être une femme hétérosexuelle. J'aurais pu écarter ma relation avec une femme comme une "erreur de parcours", et considérer ma relation avec un homme cis comme une confirmation de ma véritable sexualité. J'aurais pu profiter de tous les privilèges que l'identité hétérosexuelle peut accorder dans notre société, et m'épargner la discrimination et l'incompréhension générale que je rencontre aujourd'hui en tant que femme queer bisexuelle. Mais les privilèges que m'aurait donnés une identité hétérosexuelle ne compenseraient pas le tort considérable que je me serais fait en me cachant. Nous, les personnes queer, méritons d'être vues dans notre entièreté.
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