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TikTok : une zone d’expression et de partage pour les musulman·e·s queer

Photo via Twitter/@thetranshijabi.
Quand on pense à TikTok, on s'imagine un groupe de Gen Z postant des chorégraphies, proposant des tutoriels de café "Dalgona" et lançant toutes sortes de challenges à potentiel viral. Mais pour de nombreux·ses personnes queer de confession musulmane à travers le monde, cette plateforme est devenue un espace unique où ils et elles peuvent s'exprimer librement et célébrer toutes les facettes de leur identité.
En faisant défiler ce recoin de l'internet, on peut découvrir une vidéo qui montre une jeune musulmane qui fait un playback sur "mama said that it was okay" (maman a dit que c'était ok) avec en légende "being hijabi lesbian" (être une lesbienne voilée). Une autre vidéo, visionnée par plus d'un million de personnes, documente la transition d'une musulmane transgenre populaire sur la plateforme. Sur une troisième vidéo, on peut voir un jeune musulman en larme parce qu'il a l'impression de devoir choisir entre sa famille et ce qu'il est vraiment.
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Les vidéos TikTok publiées sous les hashtags #QueerMuslims et #LGBTMuslims offrent un large éventail du quotidien des musulman·es LGBTQ+. Certains des contenus de ces utilisateurs sont drôles et présentés sous forme de mèmes, mais la plupart sont plus sérieux et se veulent éducatifs et représentatifs des expériences de cette communauté. Les commentaires sur ces publications sont mitigés. On y trouve des messages encourageants, mais aussi (et malheureusement) beaucoup de commentaires désobligeants.
Pourtant, malgré ces réactions négatives, les TikTokers musulman·es queer continuent de publier et de revendiquer leur identité en ligne. Je voulais donc discuter de leur expérience sur la plateforme. Ces personnes sont elles inquiètes pour la communauté musulmane dans son ensemble et ont-elles peur d'être "outé" ? TikTok est-il un espace sûr leur permettant d'accepter toutes les facettes de leur identité ou, au contraire, ne fait-il qu'intensifier ce sentiment de dualité ?

Je sais qu'il est risqué pour moi de partager publiquement mon expérience de musulmane gay, mais si ça touche la vie de même une personne, ça en vaut la peine

Shaz, @mrspotatoqueen
@mrspotatoqueen

POV:an angel welcomes you to heaven after your life was taken away as an act of honour k*lling after being outed to your family ##gay##pride##lgbt##muslim

♬ Welcome to Wonderland - Anson Seabra
"Je reçois chaque jour beaucoup de DM de la part de musulmans queer qui vivent cachés. Des personnes de 14 ans qui me disent qu'elles pensaient que cette part de leur identité était mal et qu'elles devaient l'ignorer, des personnes qui me disent que je les ai aidées à s'accepter", dit Shaz, une jeune londonienne de 21 ans qui est connue sur TikTok depuis un an sous le nom d'utilisateur @mrspotatoqueen. Pour elle, l'expérience TikTok a été principalement positive et elle ne se soucie pas de se protéger. "Je sais qu'il est risqué pour moi de partager publiquement mon expérience de musulmane gay, mais si ça touche la vie de même une personne, ça en vaut la peine". Quand je lui demande ce qu'elle pense des commentaires haineux, elle me rassure en me disant que la plupart d'entre eux proviennent de personnes très jeunes. "Je ne bloque pas ces gens parce que ce sont eux qui ont besoin de voir mon contenu".
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Aliyah, qui se fait appeler @thetranshijabi, compte plus de 9 000 followers et publie du contenu en relation à son identité musulmane transgenre. "Au début, je faisais des TikToks beauté et je ne pensais pas que mon identité deviendrait un élément central de mon contenu, mais une fois que j'ai posté la vidéo sur ma transition et qu'elle est devenue virale, c'est là que les choses ont commencé à changer pour moi", dit-elle. Après avoir reçu quotidiennement des dizaines de messages de remerciement, Aliyah a commencé à publier des TikToks éducatifs sur l'expérience des musulman·es transgenre.
@thetranshijabi

quarantine day 17: made a lil halal(ish) fashion show let me know if y’all want a part 2 ##minifashionshow ##fashionshow ##fyp ##foryoupage

♬ ily (i love you baby) - Surf Mesa
Cependant, elle se voit actuellement forcée de faire une courte pause sur la plateforme parce qu'elle a reçu plusieurs menaces de mort. Mais cela ne semble pas la gêner outre mesure, car elle me dit que le plan à long terme est de reprendre du service sur TikTok. "Je reçois peut-être beaucoup de commentaires haineux, mais dans la vraie vie, il y a des musulmans homosexuels qui se font lapider, pendre et jeter du haut d'immeubles. Rétrospectivement, c'est une bénédiction que ces commentaires soient tout ce que j'ai reçu".
Les communautés musulmanes queer existent depuis longtemps, mais il n'existe pas vraiment de statistiques indiquant combien de musulmans s'identifient comme LGBTQ+ aujourd'hui. Il est souvent dangereux pour les musulman·es queer de faire leur coming-out et cela peut se traduire par une marginalisation et parfois de la violence. 
Bien que les vidéos sur les musulman·es queer aient beaucoup attiré l'attention sur TikTok, il existe également une crainte profonde d'être outé (lorsqu'une personne révèle l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une autre personne). Hannah*, une jeune Néo-Zélandaise de 16 ans, a récemment dû supprimer son compte TikTok après que sa famille a découvert sa présence en ligne. "J'ai toujours eu peur que ma famille le découvre et maintenant, c'est fait. Je ne peux pas dire grand-chose d'autre sur la question pour le moment, car ça ne fait qu'un jour qu'ils sont au courant, mais au final, ce n'est peut être pas plus mal de vivre moins cachée".
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Aliyah vit actuellement dans une famille d'accueil et tente de rétablir une relation avec sa famille depuis son coming-out en tant que femme transgenre. Comme Hannah, elle reconnaît qu'il peut être très dangereux de se montrer au grand jour si l'on ne bénéficie pas d'un soutien familial solide. "Les musulmans queer n'ont pas le privilège de se montrer en ligne et beaucoup gardent leur identité privée, il est important d'en parler", dit-elle. Même si Aliyah reconnaît la haine qu'elle subit dans la section des commentaires et le harcèlement en ligne dont elle est victime, elle souhaite utiliser sa plateforme pour créer un espace où d'autres pourront bénéficier de sa visibilité.

Au début, je faisais des TikToks beauté et je ne pensais pas que mon identité deviendrait un élément central de mon contenu, mais une fois que j'ai posté la vidéo sur ma transition et qu'elle est devenue virale, c'est là que les choses ont commencé à changer pour moi

Aliyah, @thetranshijabi
Shaz, dont l’expérience est sensiblement plus positive, a fait son coming-out à sa mère à l'âge de 15 ans. Cette seule expérience a été traumatisante. "Ma mère a fait appel à des imams pour prier sur moi. Ils disaient que j'étais possédée et m'ont hurlé dessus et même craché dessus. Ils essayaient de me débarrasser du djinn [esprit ou démon]". Elle veut s'assurer que d'autres jeunes musulman·es n'aient pas à passer par là, et c'est ce qui la motive à continuer à poster sur la plateforme.
Il est évident qu'en 2020, les conversations autour de la question de l’homosexualité chez les musulman·es sont encore largement taboues dans de nombreuses cultures et régions du monde. Un espace virtuel comme TikTok permet-il donc d’offrir un lieu où les personnes marginalisées peuvent s'exprimer ?
"De par sa nature même, appartenir à une minorité signifie souvent grandir en se sentant seul, ou pas à sa place dans la société", explique Areeq Chowdhury, directeur de WebRoots Democracy, un groupe de réflexion sur les politiques technologiques inclusives. "L'une des belles qualités d'internet, c'est sa capacité à transformer cette situation. En offrant aux gens une plateforme pour s'exprimer, sous un pseudonyme si nécessaire, cela a créé un espace pour que les individus puissent partager leurs expériences, se faire des amis et trouver des modèles".
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@dajaj13

I cried so hard when I came out but my mom said she loved me no matter what and calls me her beautiful son 🥺 ##fyp ##trans ##foryou ##lgbt ##muslim ##ftm

♬ And it was all a dream - mrspotatoqueen
Areeq pense que les fonctionnalités de recherche, les hashtags et les algorithmes ont permis aux personnes d'avoir accès à un grand nombre d'informations et de se trouver entre elles. "Dans le monde pré-internet, il était impossible de trouver dans la population mondiale d'autres personnes comme vous, mais sur des plateformes comme TikTok, cela peut être fait très simplement. C'est un exemple parfait de ce qu'est la liberté d'expression à l'ère moderne. Cette plateforme a, en bien comme en mal, permis de faire tomber les barrières qui empêchaient les gens de s'exprimer, de se rencontrer et de s'organiser".
Cependant, l'anonymat a ses inconvénients et peut donner un sentiment d'insécurité. Le Dr Bernie Hogan, chercheur au département de sociologie de l'université d'Oxford, explique : "On entend souvent des plaintes à ce sujet. Comment peut-on policer les trolls sans connaître leur vrai nom ? Il faut pourtant noter que certains n’ont aucun mal à dire des choses terribles avec leur vrai nom. Ce que les gens veulent vraiment, c'est pouvoir rendre ces personnes responsables de leurs actes". Pour lui, un TikTok plus sûr est tout à fait possible avec un "hybride de traitement algorithmique et de modération communautaire", et cite Tumblr comme un bon exemple en la matière.

De par sa nature même, appartenir à une minorité signifie souvent grandir en se sentant seul ou pas à sa place dans la société

Areeq Chowdhury, WebRoots Democracy
Hannah convient que TikTok n'est pas nécessairement un espace sûr, mais elle estime que c'est un lieu essentiel pour établir des liens, s'organiser et trouver des personnes partageant les mêmes idées. "Il y aura toujours des gens qui voudront vous rabaisser, mais j'ai formé un groupe rassemblant tant de musulmans LGBTQ+, dont beaucoup sont également des créateurs populaires sur TikTok. On se parle tous les jours, on est là les uns pour les autres, on se soutient et s’aide mutuellement à surmonter nos difficultés", dit-elle. 
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Shaz a fait de même. Chaque fois qu'elle reçoit des messages d'autres musulman·es queer, elle les ajoute à un groupe de discussion privé formé par des musulman·es queer du monde entier. "En grandissant, je n’imaginais même pas qu'il puisse exister un autre musulman queer dans le monde entier, mais on est tellement nombreux, c'est fou. On s’est créé une très chouette petite communauté."
Recevoir le soutien d'un groupe est essentiel lorsque la responsabilité d'être le représentant d'une communauté opprimée pèse trop lourd. Aliyah refuse de se désensibiliser au flux constant des expériences personnelles déprimantes des autres. Au lieu de cela, elle essaie de se concentrer sur la portée de sa plateforme. "C'est fou de savoir qu'en créant des vidéos TikToks, je peux aider les gens à ce point. La jeune fille de 16 ans espère créer une organisation à but non-lucratif sur sa plateforme pour établir une ressource plus permanente et recruter de l'aide extérieure.
Ce type de contenu est un pas dans la bonne direction, ouvrant la voie à des conversations difficiles au sein de la communauté musulmane dans son ensemble et améliorant la visibilité des musulmans LGBTQ+. Malgré les essaims de commentaires haineux, cette représentation en ligne permet aux communautés qui vivent dans l’ombre de se retrouver et de former des liens hors ligne et au-delà de l'application. Les TikTokers musulman·es queer peuvent se sentir plus en sécurité en ligne que dans la vraie vie, mais ils et elles continuent de risquer régulièrement leur vie, car les plateformes ne les protègent pas contre les attaques IRL. Pourtant, une chose est claire : ce qu'ils et elles font est une véritable révolution.
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