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Pourquoi ai-je l’impression que personne ne m’aime en ce moment ?

Photographie : Poppy Thorpe
Comment ne pas perdre la tête dans un monde qui perd tout son sens ? Pour être honnête, je n'en sais rien, mais c'est une question que je me pose tous les jours. La gymnastique mentale exigée en 2020 nous donne des courbatures au cerveau qui se contorsionne pour s'adapter à de nouveaux scénarios, règles et réalités énoncés toutes les heures, ou presque. Alors de plus en plus, je prends le temps de faire une pause, de m'asseoir sur mon balcon et d'admettre que le chaos a plus de sens que l'idée qu'il n'y ait jamais eu d'ordre ou de certitude. 
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Travaille-t-on vraiment si on travaille chez soi, sans jamais se rendre physiquement au bureau ? Comme l'arbre qui tombe dans une forêt quand il n'y a personne, le restaurant où vous mangiez avant le confinement existe-t-il encore si personne ne peut s'y rendre ? Et qu'advient-il  de nos amitiés quand on ne peut pas se retrouver ?
Cette dernière question est malheureusement devenue très pertinente pour beaucoup. Après tout, il y a une limite au nombre d'apéros Zoom qu'une personne peut tolérer. Tout autour de moi, je vois des amitiés s'effilocher. Certaines personnes se sentent blessées parce qu'un·e ami·e qui est généralement très prompt à répondre "ignore" leur message depuis plus d'une semaine. D’autres sont en colère parce qu'ils ont mal interprété un WhatsApp et ont décidé, sans fondement réel, que tout le monde les déteste. Je fais la même chose. Je n'ai jamais reçu autant de messages des personnes qui me sont chères, via Slack, e-mails, Twitter, Instagram, WhatsApp, messagerie vocale... et pourtant, je me retrouve régulièrement assise sur mon canapé à me dire "bon, et bien on dirait que personne ne m'aime".

Travaille-t-on vraiment si on travaille chez soi, sans jamais se rendre physiquement au bureau ? Comme l'arbre qui tombe dans une forêt quand il n'y a personne, le restaurant où vous mangiez avant le confinement existe-t-il encore si personne ne peut s'y rendre ? Et qu'advient-il de nos amitiés quand on ne peut pas se retrouver ?

Heather Sequeira, psychologue consultante, déclare avoir constaté une augmentation considérable du nombre de personnes orientées vers des services d'assistance en raison de leur anxiété dans leurs relations avec les autres. "Les personnes qui souffraient déjà de phobie sociale ont eu tendance à voir leurs problèmes s'aggraver", explique-t-elle, "et les personnes qui n'avaient pas ce problème auparavant avouent y être maintenant confronté". 
Des études internationales à grande échelle ont confirmé que la phobie sociale se développe dans les zones où une forme de confinement est imposée, intensifiée par la pandémie qui se traduit par une solitude excessive. Depuis que nous passons de longues journées à la maison dans nos bulles fragiles, les amitiés qui constituaient les fondations de notre monde extérieur ont été mises à rude épreuve. Comme l'a fait remarquer le professeur Robin Dunbar, professeur de psychologie de l'évolution à l'université d'Oxford, à la fin du dernier confinement, "les amitiés ont tendance à se dégrader quand on ne voit pas les gens, et elles se dégradent assez vite".
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Cet aspect de la psychologie humaine n'est pas quelque chose que l'on veut reconnaître. Ce n'est peut-être jamais personnel, mais on le ressent toujours comme un rejet. Nous savons au fond de nous que la façon dont les autres agissent (surtout en ce moment) ne concerne qu'eux et n'est jamais un jugement de votre personnalité profonde, et pourtant, se sentir laissé pour compte, sur "non-lu" ou "lu", c'est toujours comme une mort sociale. Nous interprétons le sens supposé du comportement des autres, même s'il est évident qu'il n'existe pas. 
Heather explique que ce phénomène est prévisible en raison de la façon dont les humains ont évolué. "Au cours du dernier million d'années environ, notre cerveau a appris à comprendre la dynamique de la communication en face à face", dit-elle. "Nous recherchons en particulier les menaces sociales comme le rejet, le manque de respect, la déception ou la colère et, en même temps, nous recherchons l'approbation sociale. En effet, les menaces sociales pouvaient autrefois signifier un danger direct pour notre vie ou l'expulsion de notre tribu, tandis que les signes d'approbation sociale avaient pour signification le maintien de la sécurité de notre tribu". 
Ainsi, comme notre vie sociale est, par nécessité, devenue de plus en plus numérique, on a pu constater à quel point nous dépendons des indices non-verbaux que nous recevons quand nous sommes en face d'une autre personne et que nous interagissons avec elle. "Notre capacité à saisir les minuscules nuances du langage corporel, de l'expression faciale et du ton de la voix reste essentielle à notre sentiment de sécurité, même dans le contexte de communication actuel, et nous faisons tout cela naturellement sans même nous en rendre compte", ajoute Heather. 
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En résumé, lorsque les interactions en face à face sont supprimées, notre cerveau peut se détraquer légèrement. "Lorsque nous répondons à une communication virtuelle, nous perdons l'accès à la plupart, sinon à tous les signaux dont nous disposons normalement", explique Heather très calmement. Lorsque nous n'avons pas accès à ces informations, notre système nerveux joue la carte du "mieux vaut prévenir que guérir", signale une "menace" et se met en mode hyper-vigilance face aux signes de rejet, d'irrespect, de déception ou de colère. Donc, si vous aussi, vous commencez à vous dire que personne ne vous aime, essayez de prendre du recul et d'observer ce qui se passe réellement.

Notre capacité à saisir les minuscules nuances du langage corporel, de l'expression faciale et du ton de la voix reste essentielles à notre sentiment de sécurité, même dans le contexte de communication actuel, et nous faisons tout cela naturellement sans même nous en rendre compte

Heather Sequeira, psychologue consultante
Heather note que ce problème est "exacerbé" par les textos et les messages écrit, car les retards de réponse peuvent beaucoup nous faire souffrir. "Notre cerveau a évolué pour être le plus apte à échanger des messages en temps réel", explique-t-elle, "donc quand nous nous retrouvons face à une très grande incertitude, quelque chose que les humains ne supportent généralement pas bien, nous voyons ça comme une menace". Vous pouvez avoir l'impression qu'une conversation écrite est la même chose qu'une conversation en face à face et vous attendre à ce que votre interlocuteur lise votre message instantanément et vous réponde mais, en réalité, cette personne peut avoir posé son téléphone, être allée faire du café ou avoir reçu un autre message plus urgent. Vous le savez et pourtant, ça ressemble à de la torture car vous êtes programmé·e pour attendre de la rapidité dans la communication. 
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Cela, ajoute Heather, fonctionne également dans l'autre sens. Nous nous mettons à réfléchir à la vitesse à laquelle nous répondons aux messages des autres. Par exemple, j'aime garder une boîte de réception vide, alors j'essaie de lire et de répondre rapidement aux messages. Quand je répond tardivement, je me sens coupable et je n'aime pas le sentiment de commencer chaque message par un "pardon pour ma réponse tardive". Toutefois, pour une autre personne, le fait d'attendre de pouvoir répondre lorsqu'elle est libre de le faire en étant concentrée peut être rassurant. Tout cela est assez simple et, pourtant, nous avons maintenant créé toute une culture d'analyse autour du temps de réponse des gens.
On a peur qu'une réponse trop rapide nous donne l'air trop "enthousiaste" et de baisser dans l'éstime de notre interlocuteur à cause de ça", explique Heather. Nous sommes également obsédés par l'idée d'élaborer une réponse "parfaite" aux messages textes parce que nous avons pris plus de temps pour le faire alors que dans une conversation en face à face, nous aurions répondu immédiatement. Les réponses d'un mot sont également problématiques (on connait tou·te·s le fameux "OK"). Si quelqu'un répond par un seul mot, on a tendance à penser qu'on les dérange ou qu'ils n'ont tout simplement pas envie de nous parler". Or, c'est rarement le cas. 
La vie moderne, en particulier au moment où nous entrons dans le confinement 2.0, nous a tous aspirés dans un vortex virtuel sans fin. C'est comme si on était pris dans un engrenage dont on ne peut s'extirper. Au début, on s'amusait, mais petit à petit, on est tombé·e dans un cercle vicieux et on a commencé à remettre en question tout et tout le monde. Non seulement vous ne savez plus si on veut vraiment de vous dans la salle, mais vous n'êtes plus sûr·e de vouloir y être vous-même.
"Le problème", dit Heather, "est que la peur que les gens ne nous aiment pas peut se transformer en une prophétie autoréalisatrice". On pourrait s'emporter, se fermer ou commencer à éviter quelqu'un dont on craint qu'il ne s'éloigne de nous et, à son tour, déclencher ces sentiments chez lui. Pour Heather, c'est comme "jeter de l'huile sur le feu qu’est cette pandémie". 
Il y a de fortes chances que les personnes qui vous entourent soient actuellement confrontées à leurs propres problèmes. Nous sommes tou·te·s sous pression d'une manière ou d'une autre. Nous vivons tou·te·s dans l'incertitude. Donc, si vous pensez que "tout le monde vous déteste", essayez de vous souvenir de ça. Il ne s'agit certainement pas de vous. Pensez à ce que vous ressentez les jours où vous pouvez à peine envoyer un message ou passer un appel et où vous vous dites simplement "Salut, je pense à toi. J'espère que tu vas bien. Dis-moi quand tu auras envie de parler". Essayez de moins envoyer de textos, de parler au téléphone si vous ne pouvez pas voir les gens dans la vraie vie et sachez qu'un jour, on va finir par se retrouver.

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