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“Oh, donc tu es hétéro maintenant ?” : la biphobie dans la communauté lesbienne

Photo par Meg O'Donnell
Lorsque Stevie a aperçu son ex-petite amie à l'autre bout de la pièce lors d'une fête chez un ami commun, six mois après leur séparation, elle s'est lancée à sa rencontre. Elle pensait, tout compte fait, qu'assez de temps avait passé pour que ce ne soit pas gênant. Bien que leur relation ait été intense, elles ne sont restées ensemble que six mois et Stevie estimait qu'il n'y avait aucune rancune lorsqu'elle avait mis fin à leur relation.
Aujourd'hui, Stevie est épanouie dans sa nouvelle relation avec un gars qu'elle a rencontré sur une application de rencontre et elle avait entendu dire que son ex sortait aussi avec quelqu'un de nouveau.
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"Je te paie un verre", a dit son ex en lui tapant sur l'épaule. "Même si je ne devrais pas me donner la peine, vu que tu es hétéro maintenant".
Le commentaire n'a pas été bien reçu. "J'étais un peu choquée, pour être honnête", dit la jeune femme de 28 ans. " Je lui ai demandé quelques jours plus tard ce qu'elle entendait par là. Elle a répondu : "Oui, j'ai peut-être un peu abusé, mais c'est pour ça qu'on ne sort pas avec des bisexuelles. Vous êtes trop peu sûres de vous et il y a trop de contraintes".
C'était la première fois que Stevie entendait son ex sortir quelque chose de biphobe, mais ce n'était pas la première fois qu'elle sortait avec une lesbienne qui avait des problèmes avec sa sexualité. 
"J'ai fréquenté des lesbiennes dans le passé où cela n'a jamais été évoqué comme un problème, mais j'ai eu plus d'une expérience de ce genre où l'on est arrivé au point critique et où tout d'un coup, le fait que je sois attirée par les hommes est une insulte valable".
Stevie est l'une des six femmes bisexuelles et personnes non-binaires qui souhaitent parler de la relation "parfois complexe" et souvent tendue entre les femmes bisexuelles et les lesbiennes.
Les six personnes tiennent à me faire bien comprendre qu'elles ne pensent pas que toutes les lesbiennes, ou même la majorité d'entre elles, soient biphobes, et qu'elles ne veulent en aucun cas ternir une communauté déjà marginalisée. Cependant, elles sont douloureusement conscientes de l'impact de la biphobie sur leur vie, en particulier lorsque les commentaires et les actes proviennent d'un·e partenaire, d'un·e ami·e proche ou simplement d'un membre de la communauté en qui elles ont confiance.
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Marina, 27 ans, a connu sa première expérience de la biphobie à l'âge de 14 ans, lorsqu'iel a fait son coming out auprès de ses amies lesbiennes sur les réseaux sociaux.

En apparence, les campagnes visant à éradiquer la biphobie au sein de la communauté LGBTQ+ ont de plus en plus de poids mais, ailleurs, des stéréotypes obsolètes et pernicieux sur les personnes bisexuelles, considérées comme inauthentiques et avides, persistent.

"Quand j'étais ado, j'avais quelques amies lesbiennes plus âgées en ligne que j'admirais vraiment", raconte Marina, qui s'identifie en tant que personne bisexuelle non-binaire.
"Lorsque j'ai fait mon coming out en tant que bi à mon amie la plus proche dans ce groupe, j'ai eu beaucoup de pression de sa part et de quelques autres personnes qui étaient également lesbiennes pour que je renonce à être bi et que je fasse mon coming out en tant que lesbienne. Quand j'ai dit que ce serait faux, j'ai été accueilli·e par ces commentaires juste insidieux et sarcastiques. Pendant longtemps, je me suis senti·e dépourvu·e de toute valeur, et j'ai eu l'impression qu'elles étaient plus légitimement queers que moi".
Alors que Marina espérait que ces commentaires étaient dus à un manque de maturité et essayait de ne pas y penser, la même hostilité s'est manifestée lorsqu'iel a commencé à dater quelques années plus tard.
Une fois, Marina a fréquenté quelqu'un à qui iel avait trop peur de dire qu'iel était bisexuel·le.
"Lors de notre premier rendez-vous, elle qualifiait les bisexuelles de traîtres, alors je me suis dit que j'allais la laisser croire que j'étais aussi lesbienne. Je l'aimais vraiment bien, j'ai mis ça de côté et j'ai essayé de passer outre. Avec le recul, je me rends compte que c'est une façon vraiment tordue d'aborder une relation", explique-t-iel.
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L'expérience de Marina semble révélatrice d'un monde queer qui ne sait pas trop quoi faire de la bisexualité. En apparence, les campagnes visant à éradiquer la biphobie au sein de la communauté LGBTQ+ ont de plus en plus de poids mais, ailleurs, des stéréotypes obsolètes et pernicieux sur les personnes bisexuelles, considérées comme inauthentiques et avides, persistent.
En 2018, une étude publiée dans la revue Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity a suggéré que les lesbiennes et les gays considèrent les femmes bisexuelles comme plus attirées par les hommes.
Dans le cadre de l'étude, 165 femmes lesbiennes et hommes gays ont été invité·e·s à répondre à une série de questions sur la façon dont elles·ils pensent que leur communauté considère les femmes ou les hommes bisexuel·le·s en général, et dans quelle mesure elles·ils pensent que les bisexuel·le·s sont sexuellement attiré·e·s par des hommes plutôt que par des femmes.
Les femmes lesbiennes interrogées étaient plus négatives envers les bisexuel·le·s que les hommes gays, et elles étaient notamment plus négatives envers les femmes bisexuelles que les hommes gays envers les hommes bisexuels, les femmes bisexuelles étant perçues comme "inauthentiques" dans leur attirance pour les femmes.
Roisin, 29 ans, a lutté pour que sa bisexualité ne soit pas perçue comme un obstacle par son ex-partenaire lesbienne. Cette pigiste a compris pourquoi son ex considérait sa sexualité comme inquiétante et elle a voulu apaiser ces craintes.
"Il y a un niveau où il est beaucoup plus facile pour moi d'être 'hétéro' que d'être 'gay'. Il est vrai que c'est plus facile pour ma famille, et il est plus facile pour moi d'avoir des enfants. Qu'il s'agisse d'une lesbienne ou d'un gay, toute personne monosexuelle (c'est-à-dire attirée par un seul genre) a du mal à comprendre comment je peux être attirée par deux sexes", explique-t-elle.
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En 2018, une étude publiée dans la revue Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity a suggéré que les lesbiennes et les gays considèrent les femmes bisexuelles comme plus attirées par les hommes.

Après que Roisin et sa partenaire se soient séparées, elles se sont revues pour qu'elle puisse lui rendre ses affaires. C'est à ce moment-là, dit-elle, que son ex a commencé à la "stéréotyper" comme une "fille hétéro".
"L'anxiété liée au fait que je sois bi est devenue vicieuse et a été formulée comme un dégoût pour mon passé sexuel. Je n'ai pas apprécié cela", raconte-t-elle. "Quand je pense à la relation dans son ensemble, j'avais l'impression qu'il y avait là une autre structure de pouvoir à laquelle je ne pouvais pas m'accrocher. C'était ma première relation avec une femme et j'avais l'impression qu'elle menait la danse et qu'elle était beaucoup plus 'au courant', et je me sentais juste impuissante".
Certain·e·s pourraient faire passer ces remarques pour les mots aigris d'une partenaire blessée, mais il peut être plus difficile d'expliquer les remarques hostiles faites par des ami·e·s proches.
"J'ai eu une pote qui avait clairement un problème avec le fait que je sorte avec un homme après avoir longtemps fréquenté des femmes", raconte Meredith, 27 ans. "Elle ne me connaissait pas depuis longtemps avant que mon partenaire et moi soyons ensemble, et m'a immédiatement considérée comme un 'bébé queer', alors que j'avais sans doute plus d'expérience avec les femmes qu'elle".
Lorsque Meredith traînait avec son groupe d'amies, toutes lesbiennes, ces dernières lui faisaient comprendre que sa sexualité était distincte et la qualifiaient couramment de "Meredith la bi".
"Je ne suis pas très susceptible, mais au bout d'un certain temps, cela a commencé à m'ébranler", explique Meredith. Un soir, elle a eu une conversation honnête avec son amie et s'est rendu compte que ses remarques désobligeantes avaient été façonnées par son propre combat pour faire son coming out en tant que lesbienne.
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"Elle m'a dit combien de temps cela avait pris et combien il avait été difficile pour elle de faire son coming out. Je lui ai dit que moi aussi j'avais vraiment eu du mal, et que je ne parlais plus à mes parents à cause de cela".
"Il semble que cette histoire ait gagné sa confiance et qu'elle ait cessé de me voir comme une adversaire se servant d'une sexualité par pur plaisir. Je suis vraiment contente que la tension soit retombée entre nous, et j'ai vraiment de la peine pour elle - mais pour être honnête, j'en ai un peu marre de devoir faire mes preuves", ajoute Meredith.
Au sein de la communauté lesbienne, qui s'est battue avec acharnement pour sa visibilité - pour ne recevoir qu'une maigre représentation des hommes gays - le langage récupéré est parfois considéré comme le territoire exclusif des lesbiennes. Récemment, cette conversation s'est concentrée sur le mot "dyke" (ou gouine en français) et sur la question de savoir si les femmes bi devraient être autorisées à l'utiliser.
Le terme "dyke" fait référence à une femme dont l'expression et les caractéristiques de genre sont typiquement "masculines" et a souvent été utilisé comme une injure à l'encontre des lesbiennes.  
Mais pour certaines personnes, comme Bella, 31 ans, une femme bi qui sort avec une autre femme bi, le terme a été utilisé contre elle et "toute autre personne ayant un partenaire du même sexe".
"La bisexualité est consommée par le lesbianisme et nous sommes confrontés à la même injure lorsque nous marchons dans la rue avec un partenaire de même sexe. Les termes offensants ne sont pas nuancés, mais se réapproprier le terme peut l'être", explique-t-elle.
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Pour d'autres, les tentatives visant à définir les femmes hétéro ou bi comme étant attirées par les femmes uniquement sont apparues dans des théories de plus en plus populaires comme "l'hétérosexualité obligatoire".
Cette théorie, partagée sur un document réalisé par @cyberlesbian sur Twitter, est présentée comme une ligne directrice pour les femmes bi et hétérosexuelles, fournissant une check-list pour les aider à déterminer si elles sont réellement attirées par les hommes ou si la société leur a simplement dit qu'elles devraient l'être.
"Je jure que ce document refait surface tous les deux ans", affirme Marina. "Dans sa formule, il affirme que, si vous êtes principalement attiré·e par les femmes et que vous êtes ensuite attiré·e par les hommes, vous avez été contraint·e par les normes hétéronormatives et vous êtes donc en fait une lesbienne".
"Je pense vraiment que c'est un excellent document pour toute personne qui pense être lesbienne et qui se pose des questions, mais, comme je l'ai dit, étant donné que ma bi-identité a été invalidée, cela a déclenché des signaux d'alarme dans mon cas", ajoute-t-iel.
Rae, 30 ans, raconte que la glorification des lesbiennes "gold star" ou "étoile d'or" - des femmes qui n'ont jamais eu de relation sexuelle avec un homme - a été poussée à un niveau supérieur par l'ex-partenaire d'une de ses amies. "L'ex-femme de mon amie l'a quittée parce qu'elle ne supportait pas que mon amie soit bi", dit-elle.
"Ce n'est pas comme si elle ne le savait pas, mon amie était ouvertement bi depuis des années avant même leur rencontre. Et il y avait des signaux indiquant que sa partenaire n'était pas vraiment idéale. Elle faisait des blagues sur le fait que mon amie était l'exception par rapport à toutes les autres filles bi, et une fois, elle a acheté des étoiles en or pour elle et en argent pour mon amie lorsqu'elles faisaient leurs robes de mariée", ajoute-t-elle.
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En attendant, Bella dit être consciente que les femmes bi sont parmi les plus mal acceptées par les autres membres de la communauté LGBT.
"Nous savons tous qu'il existe une hiérarchie LGBT, où les hommes cis gays blancs sont au sommet et où les trans et les bi semblent se trouver en bas de l'échelle, tout en ne répondant pas aux difficultés des personnes LGBTQ racisées et handicapées", explique Bella.

Je comprends que les lesbiennes, par exemple, peuvent se dire que les personnes bisexuelles peuvent se marier avec un homme et avoir une 'vie normale', mais nous devons comprendre que les personnes bisexuelles ne sont pas l'ennemi.

bella
"C'est un véritable challenge de trouver un espace pour représenter toutes les femmes qui aiment les femmes quand on est défié par le regard masculin, et pour la visibilité dans une société qui reconnaît les hommes queer avant de reconnaître les femmes queer", ajoute-t-elle.
Même au travail, Bella se bat contre les stéréotypes et le mépris extérieur envers les bisexuels au sein de shOUT, une association caritative pour les jeunes LGBT basée à Dublin. 
"J'étais à cette conférence LGBT quand j'ai commencé à discuter avec une lesbienne ukrainienne. Quand elle a entendu comment je m'identifiais, elle a sorti 'Oh, je déteste les bisexuelles', et tout le monde a ri", raconte-t-elle.
Comme les autres femmes et personnes non-binaires qui ont du mal à comprendre comment gérer la biphobie de leurs proches, Bella tient à souligner que rien ne servira de "faire des bisexuels des ennemis".
Trop souvent, les personnes monosexuelles considèrent la bisexualité comme un "tremplin". Le voir ainsi est biphobe, mais il est peut-être facile de comprendre pourquoi certaines lesbiennes, qui se sont battues pour leur propre identité et qui ont peut-être connu l'homophobie, ont cette réaction à l'égard des personnes bisexuelles. Elle peut être motivée par une homophobie à la fois internalisée et externe.
"Je comprends que les lesbiennes, par exemple, peuvent se dire que les personnes bisexuelles peuvent se marier avec un homme et avoir une 'vie normale', mais nous devons comprendre que les personnes bisexuelles ne sont pas l'ennemi", conclut Bella. "Nous faisons partie de la solution parce que la seule façon de vivre une 'vie normale' est de se renfermer sur nous-mêmes, et ce n'est pas un privilège".
*Certains noms ont été changés dans cet article pour protéger les identités.

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