"Je sortais avec un mec et il a rompu. Enfin pas vraiment. C'était un coup classique de fading - c'était fini mais pas vraiment. Mes copines sont intervenues et m'ont conseillé de le bloquer", raconte Neveah. "Elles m'ont dit qu'il m'avait "bombardée d'amour" et qu'il méritait d'être bloqué".
Instagram. Facebook. Twitter (si c'est votre truc). WhatsApp. Signal. iMessage. Lorsqu'une relation - qu'elle soit romantique ou platonique - bat de l'aile, ces moyens de communication ordinaires peuvent vite devenir inconfortables. Ils mettent à l'épreuve votre patience et votre confiance dans les autres, ainsi que dans vous-même. C'est un peu comme si votre téléphone se transformait en grenade. Le silence est assourdissant, mais le moindre signe que la personne que vous essayez de faire disparaître de votre vue et de votre esprit est encore en vie et respire sur cette planète peut tout chambouler.
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Neveah (qui préfère ne pas être identifiée) n'a jamais vraiment été du genre à bloquer sur les réseaux, ce n'est tout simplement pas quelque chose qui lui viendrait à l'esprit. "Si tu ne veux pas parler à quelqu'un, dit cette Londonienne de 31 ans, alors ne lui parle pas. Ne le contacte pas et ne réponds pas s'il te contacte. Ne consulte pas son profil. C'est mon point de vue, en tout cas. Mais ce phénomène m'intéresse parce que bloquer quelqu'un qui vous a fait du mal semble être la norme aujourd'hui. Une de mes amies a récemment été bloquée puis débloquée plusieurs fois par une personne qu'elle voyait. Est-ce que c'est juste la norme de nos jours ?"
Il existe, bien sûr, des circonstances graves dans lesquelles il est nécessaire de bloquer une personne. Si une personne a été discriminante, physiquement, émotionnellement ou verbalement abusive à votre égard ou si elle vous a harcelé, le fait de la bloquer est, au minimum, une mesure de protection. Mais lorsqu'il s'agit d'un chagrin d'amour, les règles sont moins claires et le fait de bloquer complètement quelqu'un qui vous fait souffrir immédiatement après un désaccord ou une rupture peut sembler une réaction excessive une fois la tempête passée.
"Je pense que parfois, on bloque les gens sur les plateformes de réseaux sociaux aux premiers signes de rupture", explique le Dr Heather Sequeira, psychologue consultante. "Cela peut parfois être prématuré ; une grosse dispute ou un comportement blessant peuvent souvent être résolus, mais les chances de réconciliation sont compromises une fois que la colère et le ressentiment ont été davantage attisés par le fait de bloquer sur les réseaux sociaux. Cela peut faire obstacle à une éventuelle réconciliation".
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Bien sûr, même si vous pouvez toujours débloquer quelqu'un, cela pourrait exclure toute possibilité d'excuses ou de réconciliation, car être bloqué·e peut être douloureux. La personne bloquée peut riposter en vous bloquant à son tour. Si nous cliquons sur "supprimer" ou "bloquer" à la hâte, ne risquons-nous pas de limiter notre propre développement émotionnel ?
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Bloquer peut parfois être prématuré ; une grosse dispute ou un comportement blessant peuvent souvent être résolus.
DR HEATHER SEQUEIRA, Psychologue consultante
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Il fut un temps, bien avant Instagram, où si vous rompiez avec quelqu'un, il était peu probable que vous vous recroisiez. On était également moins exposés aux autres, car la vie n'était pas centrée autour d'un réseau en ligne construit à partir d'un carrousel de bribes d'informations et de fragments de la vie des autres. Aujourd'hui, il est plus facile que jamais de faire disparaître quelqu'un. Que vous ne soyez pas d'accord avec ses opinions politiques, que vous pensiez qu'il vous a fait du tort, que vous tentiez de recoller les morceaux d'un cœur brisé ou que vous le détestiez simplement parce qu'il n'arrête pas de poster des selfies, des photos de chats ou de chiens. Nous pathologisons les comportements que nous jugeons "problématiques" en les appelant "love bombing" ou "ghosting" par exemple. Il est certe important de fixer des limites, mais, comme l'a noté Eleanor Morgan, psychologue en formation, nous sommes prompts à coller des étiquettes et, ce faisant, à nous éloigner de ce que nous ressentons réellement lorsque nous nous sentons émotionnellement blessés par le comportement d'une personne.
Sam, 26 ans (qui a également souhaité ne pas être identifiée), en sait quelque chose. "Je suis une bloqueuse en série et j'ai de profonds regrets vis-à-vis de mes ex et de mes amis", explique-t-elle, "et c'est un gros problème pour moi et un schéma récurrent. Je suis queer et j'ai eu quatre relations sérieuses avec des femmes et des personnes non binaires. À la fin de chacune d'entre elles, j'ai bloqué leur numéro et leur réseaux sociaux. Aucune de ces relations ne s'est mal terminée, mais j'ai juste senti que j'avais besoin de couper les ponts".
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Il est donc parfois utile de prendre du recul pour examiner notre comportement quand nous nous sentons poussés à rompre tout lien avec une personne. En travaillant avec son thérapeute, Sam a fini par comprendre ses élans. "Je crois maintenant que le fait de bloquer est pour moi une réponse à un traumatisme basé sur la peur", poursuit-elle. "Je m'inquiète du fait que ces personnes aient encore accès à moi, de la douleur prolongée d'une rupture et cela me donne un sentiment d'impuissance. Je perds mon pouvoir d'action et l'idée que leur nom apparaisse sur mon écran me rend anxieuse, alors je bloque le contact pour avoir un sentiment de contrôle - pour retrouver un certain pouvoir d'action en déterminant qui a accès à moi et quand".
Sam marque une pause. "Je dis tout cela en étant profondément consciente qu'il s'agit d'un mécanisme de défense malsain. Je regrette souvent d'avoir bloqué parce que cela me semble tellement définitif et je me demande ce qu'ils diraient s'ils pouvaient me joindre, quelles sont les gentillesses dont j'ai pu me priver".
Comme il s'agit d'un territoire relativement nouveau pour nos petits cerveaux, des recherches sont menées sur la façon dont nous gérons cette situation. German Neubaum est le chef du groupe de recherche junior de l'université de Duisburg-Essen. Il estime qu'il est essentiel de comprendre les processus psychologiques liés aux décisions de bloquer ou de supprimer des ami·e·s et a récemment publié un article intitulé "You're still worth it" : The moral and relational context of politically motivated unfriending decisions in online networks”.
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Les recherches de German se concentrent sur les désaccords politiques qui conduisent à bloquer des personnes dans nos vies publiques. Selon lui, la facilité avec laquelle nous pouvons bloquer et supprimer des ami·es a de sérieuses implications sur la manière dont nous interagissons les un·es avec les autres et sur la façon dont nous abordons les conversations difficiles. Il se réfère à l'idée d'une "démocratie délibérative". Également connue sous le nom de "démocratie discursive", il s'agit d'une société dans laquelle la délibération est au cœur de toute prise de décision.
Il existe bien sûr une échelle mobile de désaccords. Certaines opinions sont incontestablement intolérables : le racisme, l'homophobie, la transphobie, le sexisme. Mais, plus largement, "avoir un désaccord politique ne devrait pas conduire à ne pas se parler ou même à ne plus être en contact", explique German. "La démocratie ne peut prospérer que lorsque les gens échangent des idées, des arguments et des faits. Et cela devrait se produire même si les personnes qui discutent ne sont pas d'accord les unes avec les autres".
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Nous devrions peut-être réfléchir à nos seuils de tolérance avant d'excommunier une personne pour de bon.
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German pense que bloquer ou supprimer des ami·es est souvent une tentative d'éviter de réaliser que nous aurons toujours dans notre orbite des personnes avec lesquelles nous ne sommes pas entièrement d'accord. "Les personnes qui souhaitent retirer quelqu'un de leur liste d'amis pour des raisons politiques cherchent à réduire la dissonance cognitive (un état psychologique de frustration) qu'elles perçoivent lorsqu'elles sont confrontées à deux faits simultanément : 'Je connais cette personne' et 'Je suis fondamentalement en désaccord avec cette personne'".
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Il existe des parallèles entre les conclusions de German sur la façon dont la facilité avec laquelle nous pouvons ne pas voir et ne pas entendre les opinions auxquelles nous ne voulons pas être confrontés façonne la société, et la façon dont le fait de bloquer a un impact sur nos relations intimes. Dans la vie, nous sommes souvent obligés d'avoir deux idées contradictoires en tête en même temps. Comme le fait remarquer Sam : on peut aimer quelqu'un profondément mais aussi avoir peur de sa capacité à nous faire du mal.
"Le fait qu'il soit désormais si facile de bloquer ou de supprimer une personne de sa liste d'amis pour quelque raison que ce soit devrait nous amener à repenser le concept de relation ou de connexion virtuelle, explique German, et ce qui nous motive à l'initier, à la maintenir et à la dissoudre. Cela soulève des questions intéressantes, à savoir si le fait de retirer quelqu'un de sa liste d'amis virtuelle est comparable au fait de retirer quelqu'un de sa vie hors ligne."German prend à nouveau soin de souligner qu'il existe différents niveaux de désaccord. "Nos recherches montrent que les gens réfléchissent beaucoup à leurs relations interpersonnelles (en ligne) et souhaitent généralement entretenir des relations (comme ils le feraient hors ligne)", explique-t-il. "Mais, si les désaccords politiques sont très importants et liés à des divergences morales fondamentales, les gens (comme ils le feraient hors ligne) souhaitent ne plus être exposés à ces personnes".
Dans nos relations intimes également, nous devrions peut-être réfléchir à nos seuils de tolérance avant d'excommunier une personne pour de bon. Si une démocratie saine et évolutive se forge par la discussion et le désaccord, peut-être des relations interpersonnelles saines peuvent-elles l'être aussi ?
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Neveah n'a pas suivi le conseil de son amie. Elle n'a pas bloqué le type qu'elle voyait et a choisi d'aller de l'avant dans sa vie. "Pour être honnête, je pense que le bloquer aurait fait plus de bruit que de ne pas le bloquer et je crains que nous ne soyons en train de nous engager sur un terrain où nous sommes incapables de communiquer, où nous bloquons les gens au lieu de reconnaître que nous sommes blessés ou contrariés. Je pense que cela se produit aussi bien sur le plan professionnel que personnel", ajoute-t-elle.
Il est possible de créer un espace et une distance entre vous et une autre personne sans la bloquer. " En cas de rupture définitive de la relation, il est important de ne plus avoir de contact ", explique Heather. "Je recommanderais généralement de mettre les gens en sourdine sur les réseaux sociaux pendant au moins un mois, que l'on veuille se remettre avec eux ou que l'on souhaite rester "amis" à plus long terme, car il faudra déterminer les nouvelles limites de la relation".
Elle précise toutefois que "les moments difficiles font partie de toutes les relations et apprendre à les gérer et à les résoudre fait partie de toute relation réussie".
Sam est déterminée à travailler avec cette idée. "J'essaie de ne plus fermer les portes de manière aussi définitive", explique-t-elle. "Cela peut me permettre de me sentir en sécurité dans les jours et les semaines qui suivent, mais, au bout du compte, j'aurais aimé laisser un peu d'espace à mes ex dans ma vie et à moi dans la leur".
"Au final, ajoute-t-elle, je sais que mes peurs et mes angoisses m'ont empêchée d'avoir des relations durables avec des personnes qui, autrefois, représentaient beaucoup pour moi".
*Les noms ont été modifiés pour protéger les identités.
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