Si vous avez déjà parcouru les tags #vegan et #veganism sur Instagram ou TikTok, vous avez probablement vu des photos éditées de magnifiques repas, des recommandations de restaurants branchés et des mèmes destinés à faire honte aux personnes non-véganes qui mangent de la viande. Vous avez peut-être aussi entendu des moqueries sur le véganisme, souvent fondées sur des stéréotypes concernant l'apparence, le comportement et le mode de vie des végan·es. Il n'est donc pas étonnant que les personnes véganes aient une réputation très spécifique, surtout en ligne - à savoir qu'elles privilégient l'esthétique sur tout le reste. Mais les militant·e·s végan·e·s intersectionnel·le·s s'efforcent de changer cela, en lançant une conversation nuancée et réfléchie sur les nombreuses raisons interconnectées d'éliminer la consommation de viande.
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Avant de devenir végane, Debbie Morales (@sisoyvegan), 24 ans, doutait que ce soit le bon choix pour elle. Les personnes véganes qu'elle avait rencontrées ne s'intéressaient pas nécessairement aux questions qui lui tenaient à cœur, comme le changement climatique ou les droits des travailleurs. Selon une étude de Human Rights Watch, les blessures dans l'industrie de l'abattage et de la transformation des animaux sont plus fréquentes et plus graves que dans l'industrie pétrolière et gazière, les scieries et les chantiers de construction. Entre 2015 et 2018, un employé a été hospitalisé tous les deux jours, et les travailleurs gagnent en moyenne moins de 15 dollars (environ 12,80 euros) par heure.
"C'est ce qui m'a vraiment poussée à devenir végane, parce que je me suis toujours préoccupée, je pense, avant tout des questions de travail et des droits des travailleurs", explique Debbie à Refinery29. "Je suis guatémaltèque, donc je me soucie beaucoup des travailleurs sans papiers et de la façon dont ils sont exploités. Et donc, lorsque j'ai appris à quel point cela était répandu dans l'industrie de l'agriculture animale également, je pense que j'ai réalisé que je devais devenir végane afin d'aligner la façon dont je consommais la nourriture avec mes valeurs".
Selon un sondage d'Harris interactive de février 2021, près d’un Français sur deux (48 %) indique avoir diminué sa consommation de viande au cours des 3 dernières années. Les raisons en sont multiples : plusieurs études montrent que, partout dans le monde, les personnes véganes invoquent des préoccupations liées au bien-être animal et à leur santé. Mais Debbie, ainsi que d'autres activistes qui ont beaucoup de succès sur TikTok et Instagram, estime qu'il est impossible de soutenir le véganisme et de dénoncer la cruauté envers les animaux sans défendre également la justice climatique et les droits des travailleurs.
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"Quand on parle d'élevage, on ne peut pas laisser la politique de côté - et l'élevage reçoit un énorme soutien financier de l'État", déclare Debbie. (À titre d'exemple, des études récentes indiquent que le gouvernement américain dépense pas moins de 38 milliards de dollars par an pour subventionner l'industrie de la viande). "À travers tous ces différents facteurs, je suis sûre que le véganisme est intrinsèquement une chose politique".
Sur son Instagram, Debbie partage ses propres créations culinaires, ainsi que des informations sur le racisme environnemental, l'élevage industriel et la suprématie blanche au sein du mouvement végan. Son post qu'elle a publié sur ce dernier point - dans lequel elle interpelle les personnes véganes qui ne dénoncent pas les mauvais traitements infligés aux ouvriers agricoles, qui font la police aux personnes racisées qui ne sont pas véganes et qui cooptent des mouvements comme Black Lives Matter - est devenu viral. "Je pense qu'il est important que les gens reconnaissent que le véganisme n'est pas une chose intrinsèquement blanche, mais c'est en quelque sorte à la communauté végane d'arrêter de centrer la blanchité (le fait d'être perçu comme blanc, et les rapports de pouvoir que cela entraîne) dans notre véganisme pour dissiper ce mythe", dit-elle.
Jessica (@plantawhisperer), une TikTokeuse de 22 ans, partage l'avis selon lequel le véganisme est largement perçu comme un mouvement peuplé principalement de Blanc·he·s - une idée fausse qui cause beaucoup de tort. "Je pense que le véganisme blanc est la forme courante du véganisme en ce moment, et ce depuis très longtemps", déclare Jessica. "Et c'est vraiment dommageable pour ce qu'est réellement le véganisme, parce que je vois encore des gens sur Twitter qui postent des photos ou des vidéos d'ouvriers agricoles en train de récolter des fraises, et la légende est du genre : "Pourquoi les végans ne parlent-ils pas de ça ?" Mais nous le faisons. Le véganisme a réduit au silence les personnes BIPOC pendant si longtemps".
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Contrairement à ce que pensent certaines personnes, le véganisme et le végétarisme ne sont pas des mouvements historiquement blancs. Le terme anglophone "véganism" lui-même n'a été inventé qu'en 1944, mais les cultures du monde entier se passent de viande depuis des siècles : des religions comme le jaïnisme, l'hindouisme et le bouddhisme encouragent toutes le végétarisme, et de nombreux Jamaïcains de la communauté rastafari ont longtemps adhéré à l'idée de "l'alimentation Ital", un régime qui interdit la viande et tout additif artificiel. Mais le discours actuel sur le véganisme est souvent axé sur la blanchité et le capitalisme. C'est une réalité qu'Isaias (@queerbrownvegan), 25 ans, dit vouloir voir bouleversée.
"Mon véganisme est vraiment centré sur les droits de l'homme, les droits des animaux et la justice, qui reconnaissent que les systèmes alimentaires industrialisés à grande échelle soutiennent un avenir non durable, ce qui affecte intrinsèquement beaucoup de personnes et d'animaux dans la chaîne d'approvisionnement", explique Isaias à Refinery29. Auprès d'un nombre de followers combiné de 121 000 sur TikTok et Instagram, iel discute des questions de racisme environnemental, d'injustice alimentaire et de capitalisme végan. Pour Isaias, le cœur du véganisme est l'idée que notre système alimentaire actuel ne fonctionne pas - pour l'environnement, pour les animaux et pour nous.
"En reconnaissant le véganisme, nous reconnaissons que ces systèmes sont injustes et qu'ils n'ont jamais été conçus pour payer éthiquement et réellement les personnes qui y travaillent à un salaire décent pour nous nourrir", explique Isaias. "Vous vous détachez d'un système qui surproduit de grandes quantités de viande. Vous contribuez à restaurer réellement les écosystèmes locaux, ce qui permet de soutenir ceux qui vous entourent, de soutenir les marchés de producteurs locaux. Et l'autre avantage environnemental est de reconnaître que les industries polluantes pour l'eau et l'air s'installent bien trop souvent dans des zones où vivent des communautés racisées à faibles revenus".
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Selon le Food Empowerment Project, les entreprises construisent souvent leurs installations dans ces communautés. Cela contribue à la pollution industrielle qui, à son tour, a un impact sur leur santé respiratoire, leur accès à l'eau potable et leur qualité de vie. Par exemple, en Caroline du Nord, les élevages de porcs sont tellement omniprésents que les porcs sont plus nombreux que la population humaine de l'État. En raison du grand nombre de porcs, la Caroline du Nord a de vastes paysages parsemés de fermes remplies de fumier, ce qui peut entraîner des maladies respiratoires et intestinales généralisées, rapporte l'Institute for Agriculture and Trade Policy. "Les exploitations porcines se trouvent généralement dans les communautés BIPOC, et ces communautés se retrouvent à vivre en quelque sorte dans le lisier de porc", explique Jessica.
Il est important de sensibiliser le public à l'impact de l'industrie de la viande, et le fait de supprimer ou de réduire sa propre consommation de viande est considéré comme le meilleur moyen pour un individu de réduire son empreinte carbone. Mais les activistes estiment qu'il est contre-intuitif de convaincre tout le monde de devenir végan. Après tout, la viande est souvent plus pratique et plus abordable grâce à cette industrie à grande échelle, subventionnée par le gouvernement et qui vaut des milliards de dollars - ce que certains "défenseu·r·se·s" du véganisme ne reconnaissent pas lorsqu'elles ou ils vantent les avantages de smoothies hors de prix à leurs followers.
"Ce que beaucoup de végans soutiennent, c'est que nous ne voulons pas que des gens viennent dans nos communautés, en particulier les communautés à faibles revenus, et nous disent de devenir végans", explique Isaias. "Nous voulons que les gens s'attaquent d'abord au racisme systémique, aux politiques et aux problèmes qui nous empêchent de cultiver notre nourriture. Pourquoi notre eau n'est-elle pas saine ? Pourquoi notre sol est-il contaminé ?"
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Debbie reconnaît également que, pour beaucoup de gens, le véganisme peut sembler être un luxe inaccessible. "Une grande partie de ma famille n'a pas vraiment le temps de lire sur le véganisme et la crise climatique. Et bien sûr, ils s'en soucient, car cela affecte leur vie - vous savez, le Guatemala a été frappé par deux ouragans majeurs l'année dernière, et beaucoup de réfugiés climatiques viennent d'Amérique centrale", explique Debbie. "Mais quand vous êtes vraiment juste préoccupé par le fait de garder de la nourriture sur la table, vous n'allez pas vraiment penser à ce que vous mangez exactement… Et je sais que beaucoup de végans diront : 'Le véganisme n'a pas besoin d'être cher. Vous pouvez manger des haricots, vous pouvez manger du riz'. Mais ces choses prennent du temps, et elles nécessitent l'accès à une cuisine, ce que beaucoup de gens n'ont pas".
Une chose qui pourrait rendre le véganisme plus accessible, selon Isaias, est l'éducation. Dans ses vidéos et ses posts, Isaias partage des conseils et des informations sur la recherche de nourriture, la cuisine et l'apprentissage de la souveraineté alimentaire et de la justice environnementale. "Je considère que cultiver sa propre nourriture est très révolutionnaire, c'est un acte d'amour de soi", dit-iel. "Et donc je pense que lorsque plus de gens se reconnectent à eux-mêmes, que ce soit en jardinant ou en cultivant dans leur propre appartement des fruits ou des champignons - ce sont des actes qui contribueraient à rendre le véganisme plus accessible".
Pour certain·e·s, le véganisme n'est qu'une simple préférence alimentaire, ou un choix fait dans le seul souci du bien-être animal. Il n'y a rien de mal à cela en soi, mais cela ne représente pas la totalité du tableau. Pour ces militant·e·s et bien d'autres encore, la valeur du véganisme consiste à évaluer et à comprendre la relation entre ce que vous mangez et le monde qui vous entoure. Il s'agit d'identifier ce que contient réellement votre nourriture, pourquoi vous y avez accès et qui est lésé par sa consommation. Comme tout mouvement progressiste, le véganisme est intrinsèquement politique, mais il s'agit aussi de communauté, de culture et de choix personnel - un peu comme la nourriture elle-même.
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