De tout temps, les danses folkloriques afro-latino-américaines ont servi de moyen de protestation artistique. Entre le XVe et le XIXe siècle, les Africain·es réduit·es en esclavage communiquaient souvent entre eux par la voie des arts, chantant et dansant la liberté et la rébellion. Aujourd'hui, leurs descendant·es afro-latinx cultivent et préservent l'héritage de leur art, en redonnant vie à des danses ancestrales comme la punta, le festejo, la bomba et la rumba et, dans certains cas, en y apportant leur touche personnelle. Enraciné dans la résistance, chaque genre se caractérise toujours par la percussion, le mouvement et la libération. Après tout, les Noir·es et les Latina·os sont toujours confrontés à la négrophobie, au racisme systémique, à la violence policière et à l'effacement au sein de leurs propres communautés.
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Aujourd'hui, les danses folkloriques afrocentriques offrent une échappatoire, une libération et une voie de connexion et de guérison. À l'instar de leurs ancêtres, les danseur·euses contemporain·es utilisent le mouvement comme un moyen audacieux de riposter ; à chaque pas ou mouvement ondulatoire, ils et elles refusent d'être exclu·es et oublié·es. Si ces langages corporels peuvent être parlés différemment par les danseur·euses afro-latinx en fonction de la région d'Amérique latine, ils sont intimement liés. La danse afro-centrique est un instrument, un style de vie, un espace de rébellion et un portail vers l'empowerment. Voici comment les Latinos et Latinas noir·es préservent leur culture, cherchent à se libérer et trouvent un moyen de guérir grâce à la danse folklorique.
Sheila Osorio, danseuse et instructrice de bomba, Afro-Portoricaine
La pleine lune scintille au-dessus des vagues qui s'écrasent à Playa Puente Herrera à Loíza, Porto Rico. Des pieds nus glissent sur le sable, tandis que des jupes vertes, rouges et blanches se soulèvent, virevoltent et s'écoulent autour d'un feu de joie ; les femmes dansent la bomba, l'une des plus anciennes danses traditionnelles de l'archipel. Les danseur·euses donnent le rythme et les batteur·euses suivent - une magie harmonieuse et captivante. Sheila Osorio, une danseuse de bomba afro-portoricaine, dirige un événement de Noche Ancestral, une nuit ancestrale de danse et de célébration des libertés, des ancêtres et de la résilience.
Il y a des règles à la danse, explique Osorio, mais ce sont les émotions qui mènent la bomba. C'est une conversation rythmique entre le danseur et le batteur. Elle enseigne les pas à ses élèves, mais elle les encourage ensuite à créer leur propre style et leur propre chorégraphie, afin que la danse leur parle et soit authentique.
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"Pour moi, la danse est une expression, un art, un moyen d'émancipation", explique Osorio à Refinery29 Somos. "C'est un moyen de communiquer avec mon corps, ce que je ressens dans mon esprit et dans mon cœur".
Des femmes sont venues au batey d'Osorio, son espace de danse sur la plage, en quête de guérison et d'un espace pour se retrouver. Osorio leur enseigne comment libérer l'énergie négative, les frustrations et les charges dans leur danse.
"Ils en tombent amoureux", dit Osorio. "Au début, ils viennent lutter contre la dépression, la fatigue, et cherchent un moyen de s'évader. Dans la danse - dans la bomba - ils trouvent un moyen de se libérer, de se reconnecter avec leur corps et de guérir. Dans leur cheminement de guérison, ils trouvent une forme d’empowerment. Cette danse leur apprend à avoir confiance en eux".
Comme d'autres formes de la culture afro-caribéenne, la bomba a été une source d'expression politique et spirituelle pour les esclaves ; parfois, elle a même catalysé des rébellions. Sheila Osorio s'attache à faire vivre l'héritage de la bomba et à perpétuer la mémoire de ses ancêtres. "La danse est libre, elle est celle des esclaves libérés", affirme-t-elle. "Quand je danse, cela me libère moi aussi".
Nadia Calmet, danseuse et instructrice de festejo, Afro-péruvienne
"Quand je danse, je peux ramener les choses à la vie", explique Nadia Calmet, une danseuse de festejo afro-péruvienne de Los Angeles. "Mon âme quitte mon corps. Je me transforme en poussière. Je vois les étoiles et le cosmos. Je suis dans une autre dimension quand je danse, et ça me recharge. Je ne sais pas ce que je ferais sans ça".
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Nadia Calmet ne se souvient pas avoir été initiée aux danses traditionnelles afro-péruviennes. Ce n'est pas quelque chose qu'elle a dû apprendre, ça fait partie de son style de vie. Elle se levait le dimanche matin et écoutait la música criolla à la radio. Sa famille se réunissait autour de la table : ses tantes chantaient, son grand-père jouait du cajón, et ils dansaient. Son lien avec le festejo est naturel car il fait partie intégrante de sa vie.
Elle parle de la danse comme on parle d'une âme sœur. "Je suis morte de nombreuses fois, physiquement et métaphoriquement", dit-elle. "La danse m'a aidée à guérir de la violence dans laquelle j'ai grandi, de cette société qui m'hypersexualisait. J'ai eu honte de mon corps. J'avais honte, mais quand il s'agissait de danser, je me sentais libérée. Je ne voyais rien d'autre que la danse. Je dansais en toute liberté."
Et dans les moments où elle ne pouvait pas danser, la pensée du festejo l'encourageait à guérir pour pouvoir bouger à nouveau. Il y a six ans, juste après la naissance de son deuxième enfant, les médecins lui ont trouvé une tumeur à l'estomac. C'était un cancer. Au cours de son pénible combat, elle a subi une intervention chirurgicale intensive pour retirer 60 % de son estomac, et a bien failli y rester. À sa sortie de l'hôpital, elle a perdu toute amplitude de mouvement. Cette jeune mère et danseuse de longue date était découragée. C'est son désir de tenir son fils dans ses bras et de danser à nouveau qui l'a poussée à réapprendre à marcher.
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"La danse m'a sauvée", dit Nadia Calmet, les larmes aux yeux. "Je n'aurais jamais retrouvé ma vie sans la danse. Nos ancêtres m'ont tant donné. Je suis ici une femme libre. Eux n'ont pas eu cette chance. Alors, pour moi, danser seulement pour qu'on m'applaudisse ? Seulement pour le spectacle ? Non, merci. Ça sera sans moi. J'ai le sentiment de devoir rendre la pareille, d'une manière ou d'une autre, à mes ancêtres, à ces âmes qui n'ont pas eu la liberté de danser."
Luz Soliz-Ramos + Catherine Oshún Soliz-Rey, danseuses et instructrices Punta, Garifuna
À New York, Luz Soliz-Ramos et sa fille, Catherine Oshún Soliz-Rey, font partie d'un groupe toujours plus nombreux de femmes garifunas qui préservent les arts et la culture des communautés afro-indigènes de la côte d'Amérique centrale.
Soliz-Ramos et Soliz-Rey dansent toutes deux la punta, une danse rituelle originaire des Garifuna, marquée par des tambours à une tête appelés primera et segunda, des hochets en calebasse appelés chaka et des trompettes en conque.
Soliz-Ramos, qui a été artiste de scène et danseuse toute sa vie, est spécialisée dans l'histoire du peuple garifuna et dans la pratique de la langue, de la musique et de la danse garifuna. Elle a fondé le Garifuna Heritage Center for The Arts and Culture Inc. et occupe le poste de directrice artistique et de chorégraphe au Wabafu Garifuna Dance Theater. Ainsi, elle a élevé sa fille, Soliz-Rey, pour qu'elle adopte et préserve les mêmes éléments culturels. "Je pense qu'il est très important pour nous de savoir qui nous sommes et d'où nous venons", explique Soliz-Rey à Refinery29 Somos. "Pratiquer ces danses, et en connaître le sens, c'est réparateur. Vous devenez plus proche de la personne que vous êtes, fier de vos origines, et confiant dans vos racines et votre ascendance. Lorsque vous dansez sur ces chants, vous vous connectez avec vos ancêtres, et c'est thérapeutique pour moi."
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Liethis Hechavarria, danseuse de rumba et instructrice, Afro-Cubaine
La danseuse afro-cubaine Liethis Hechavarria adore ajouter une touche personnelle à la rumba. Un peu comme si elle le ferait avec son propre "arroz con pollo". Lorsqu'elle enseigne, elle veut que ses élèves sachent qu'il y a une histoire et une intention derrière chaque mouvement. Elle leur demande donc de donner un nom à ceux-ci et de se concentrer sur ce que leur corps leur dit lorsqu'ils les exécutent. Cela les aide également à éveiller la conscience et à guérir leurs corps et leurs âmes ; Liethis Hechavarria confie qu'elle y trouve également une forme d’apaisement.
"La danse est mon identité, ma culture, ma représentation la plus vraie", dit-elle. "C'est ma façon de me guérir moi, et de guérir les autres par la même occasion. Je ne peux pas imaginer un monde sans danse. J'en ai besoin. J'en ai besoin pour exister. La danse m'a appris à me lever et à me battre, à ne pas me laisser abattre, à être sur plusieurs fronts et à me connecter avec ce qui m'entoure à un niveau spirituel."
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