Maya* avait 21 ans lorsqu'elle s'est rendue à sa première réunion des Co-Dépendants Anonymes.
"Je me souviens de débarquer dans ces salles sombres et un peu sordides - le plus souvent dans des églises - avec un groupe de personnes, dont certaines ressemblaient vraiment à des monstres. Je trouvais la situation assez gênante et plutôt pathétique", nous raconte-t-elle près d'une décennie plus tard.
Elle avait "touché le fond", ce qui, pour d'autres dépendances, comme l'alcool ou la drogue, peut sembler clair - un empoisonnement à l'alcool pour les alcooliques, une overdose pour les toxicomanes - mais ça l’est moins pour une co-dépendante. Pour Maya, le fond était tout aussi sombre : "C'était le projet de mettre fin à mes jours".
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" [Le fond pour un co-dépendant est] le moment où il se perd dans son addiction, et cela peut prendre la forme d’un suicide. Le co-dépendant décide de mettre fin à ses jours. J'en étais arrivé là."
Le mot "co-dépendance" est utilisé avec une certaine légèreté, à tel point que peu de gens le considèrent comme une dépendance dangereuse. Cependant, les personnes souffrant de graves problèmes de co-dépendance ont tendance à déterminer leur valeur et leur estime de soi en fonction du jugement d’autrui, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur santé mentale. Souvent, cela déclenche un besoin compulsif d'aider ou de faire plaisir aux autres, et peut conduire à des relations malsaines et dysfonctionnelles. C'est le cas de nombreu·ses·x participant·es aux Co-Dépendants Anonymes (CoDA) : un programme de rétablissement de la co-dépendance, et "une association d'hommes et de femmes dont le but commun est de développer des relations saines".
Tout comme les Alcooliques Anonymes, les CoDA garantit un certain anonymat (seuls les prénoms sont utilisés) et fonctionne selon le même programme en 12 étapes. Les réunions suivent une structure similaire : les personnes partagent leurs expériences, soit à tour de rôle, soit à mesure qu'elles se sentent concernées, et des règles similaires sont appliquées (pas de discussions croisées ni de commentaires en aparté). Les réunions sont gratuites et ouvertes à tou·tes, et la liste des lieux et des horaires est disponible en ligne. Les participant·es se voient attribuer des "parrains". Et bien que ce ne soit pas obligatoire, à la fin d'une réunion, le groupe se tient par la main et récite ensemble la prière de la sérénité.
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Nous sommes tous affectés par la co-dépendance à différents niveaux, explique le Dr Sarah Davies, psychologue spécialisée qui reçoit régulièrement des personnes atteintes de cette dépendance. "Là où cela devient un problème, c'est quand nos relations en pâtissent, que ce soit avec les autres ou avec nous-mêmes.
Si une personne co-dépendante devrait idéalement assister au programme CoDA parallèlement à la thérapie, dit-elle, cela n'est pas toujours nécessaire. "Mon conseil est de faire preuve d'ouverture d'esprit, de participer à quelques réunions, de prendre de la documentation à lire, de parler aux gens et de décider à partir de là", et d’ajouter : " J'ai moi-même participé au programme CoDA il y a de nombreuses années, parallèlement à la thérapie, et je peux honnêtement dire que c'est l'une des choses les plus utiles et les plus bienveillantes que j'ai faites pour moi".
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Il y a tellement de gens qui viennent et qui pensent qu'ils sont différents : "Je ne suis pas comme ces gens, ces losers". Et puis on se rend compte d'une chose : "Wow, on se ressemble tellement dans notre façon de voir les choses [et] de nous voir nous-mêmes".
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Pour Maya, il s'agissait au départ d'un club dont elle ne voulait pas faire partie. De l'extérieur, sa situation n'était pas catastrophique : elle avait l'air de bien s'en sortir, vivait à New York et avait un bon travail. Dans la réalité, en revanche, sa vie familiale était dysfonctionnelle (son père était un toxicomane alcoolique qui avait eu une liaison, dont elle avait eu connaissance dès l'âge de six ans). Après sa dépression, un thérapeute lui a diagnostiqué une co-dépendance et lui a suggéré d'essayer le programme CoDA.
Elle a fini par accepter. "On nous dit qu'il faut se concentrer sur les similitudes, et non les différences", explique-t-elle. "Il y a tellement de gens qui viennent à ces réunions et qui pensent qu'ils sont différents. C'était mon cas quand j’y suis allée pour la première fois : "Je ne suis pas comme ces gens, ces losers." Et puis on se rend compte d'une chose : "Wow, on se ressemble tellement dans notre façon de voir les choses [et] dans notre façon de nous voir nous-mêmes".
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Et maintenant, dix ans plus tard ? "Ça a changé ma vie", dit-elle sans hésitation.
Nous sommes en milieu de matinée, quand nous échangeons au téléphone, et le bourdonnement de la circulation londonienne se fait entendre en arrière-plan. Maya est enjouée, mais emphatique, son ton est chaleureux, mais assuré. Elle a accepté de me parler à condition de garder l'anonymat. Ce qui m'amène à lui demander si ses proches sont au courant de ses réunions hebdomadaires, parfois bihebdomadaires. "Je préfère éviter de rompre mon anonymat trop rapidement", dit-elle. Dans la mesure où l'un des principes de la CoDA est la mise en place et le respect des limites, elle reste sélective.
Sur ce point, apprendre à qui faire confiance et avec qui prendre ses distances - amis, famille, partenaires - a été l'un des plus grands changements qu'elle a apportés à sa vie au cours de la dernière décennie. "Qui se ressemble s'assemble. La folie attire la folie", dit-elle. Lorsqu'elle a commencé à assister à des réunions, elle était en couple avec un homme de 11 ans son aîné. Bien que ce soit fortement déconseillé par le programme (il est "fortement suggéré" de rester célibataire sa première année, pour "garder l'attention sur soi-même"), cette relation s'est poursuivie pendant les années suivantes avant de prendre fin, "malgré tous mes efforts pour m'y accrocher". À partir de là, elle est tombée dans une autre série de relations douteuses, qu'elle considère maintenant comme n'étant guère plus qu'une recherche de validation. "Il m'a vraiment fallu un certain temps pour pouvoir mieux choisir mes relations, pour connaître ma valeur".
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Aujourd'hui, elle est célibataire et fait des rencontres. Plus important encore, elle estime maintenant pouvoir se lier à quelqu'un sans se perdre dans la relation. Au bout du compte, elle est comme toute autre femme de trente ans qui parle de sa vie sentimentale, comme en témoigne son changement de ton toujours aussi léger lorsque nous abordons le sujet. Bien sûr, je ressens de l'excitation et de la nervosité et je me dis : "Quand est-ce qu'il va m'envoyer un message ? Et qu'est-ce qu'il fout ?", dit-elle fébrilement. "Ce n'est pas comme si j'étais comme Bouddha, constamment en paix avec le monde. Cette attente est toujours là". Ce qui a changé, c'est sa nouvelle spiritualité, qui est au centre de ce programme en 12 étapes. "Il s'agit du sentiment d'être spirituellement connecté à quelque chose de plus grand que moi, qui veille sur moi - l'univers me protège. Appliquer cela aux rencontres, dit-elle, c'est ne pas se contenter de quelqu'un qui est "plutôt génial, mais..."
Au cours de la dernière décennie, les réunions des CoDA ont été un rendez-vous régulier dans la vie de Maya. Est-ce que ce sera encore le cas dans dix ans ? Très probablement, oui. Tout comme vous ne pouvez pas aller à la salle de sport une fois par mois et vous attendre à voir des résultats, les réunions CoDA sont un "exercice émotionnel", explique-t-elle : "Je dois m'entraîner chaque semaine pour m'assurer que tout va bien". Comme tout programme d'addiction, elle applique le mantra du "juste pour aujourd'hui", en prenant un jour après l'autre, car "chaque jour où l'on se réveille, on repart de zéro".
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Lorsqu'elle a commencé, se souvient-elle, son thérapeute lui a dit qu'un jour elle en viendrait à pouvoir porter son rétablissement "comme un large manteau de laine". Aujourd'hui, elle a l'impression d'avoir atteint ce point : moins serré, moins prenant, mais toujours présent, sûr et fiable.
*Le nom a été changé
En raison du Covid-19, les réunions en présentiel sont annulées jusqu’à nouvel ordre.