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Il n’y a pas que les femmes cis qui ont leurs règles. Alors parlons-en

Photo par Anna Jay.
"J'avais l'impression que mon corps me trahissait, que les médecins m'avaient menti et je me sentais tout simplement désespéré".
Kenny Ethan Jones, 27 ans, est un mannequin, militant et entrepreneur basé à Londres. En tant qu'homme trans, sa relation avec ses règles a toujours été conflictuelle. Bien avant de commencer à prendre des hormones de blocage à 17 ans, il éprouvait un profond sentiment de décalage lorsqu'il avait ses règles - "C'était automatiquement comme si une alerte rouge se déclenchait dans mon corps", dit-il - mais il s'était dit qu'à mesure qu'il avançait dans sa transition, son cycle menstruel finirait par disparaitre. Et c'est ce qui s'est passé au début, lorsqu'il a commencé à prendre des hormones de blocage. Mais lorsqu'il a commencé la testostérone, les saignements sont revenus.
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"Quand on commence à prendre de la testostérone, il y a une période durant laquelle le corps s'adapte", explique Kenny à R29. "J'ai donc commencé à avoir des saignements réguliers mais temporaires. Ça a duré environ six mois, et je me suis adapté, mais je pense que c'est à ce moment-là que j'ai eu de l'espoir et que je me suis senti bien dans ma démarche de transition. À mes yeux, c'était la fin de mes règles, et il me tardait d'en finir".
Mais cinq ans plus tard, ses règles sont reparties de plus belle. "Les médecins n'ont pas vraiment d'explication, dit-il, parce qu'il n'y a jamais eu assez de recherches sur le corps des personnes trans". Les médecins ont vérifié son taux de testostérone pour s'assurer que tout allait bien de ce côté-là, ce qui était le cas ; au-delà de ça, ils n’avaient aucune réponse à me donner quant à la raison de ce phénomène. "Aujourd'hui, j'ai toujours des règles par intermittence, mais elles ne sont pas aussi prévisibles - je ne dirais pas qu'il s'agit d'un cycle mensuel régulier. Je commence à peine à accepter [le fait] que tant que j'aurai mon utérus, cela fera partie de ma vie et de mon expérience".
Courtesy of Freda.
Kenny
Les règles font partie de la vie de nombreuses personnes (mais pas toutes) qui ont été assignées fille à la naissance (AFAN),  un groupe qui comprend les femmes cis, les hommes trans, les personnes trans masc. et les personnes non-binaires et genderqueer. Pourtant, ce que l'on nous enseigne à l'école et ce que l'on peut déduire de la culture qui nous entoure limite considérablement notre perception des menstruations et les personnes qui, selon nous, en font l'expérience. Notre compréhension du cycle menstruel se limite à un saignement mensuel et à son fonctionnement dans le système reproductif. Cela élude souvent cette réalité complexe et l'établit comme un "problème de femmes". Parallèlement, la compréhension et l'éducation en matière de genre, au-delà d'un strict binaire, sont toujours réservées aux marges de la société. Tout cela ne fait qu'exacerber la honte qui entoure déjà les règles pour toutes les personnes qui les vivent. Et pour les personnes AFAN qui ne sont pas des femmes, cette honte exacerbe leurs sentiments ambivalents vis-à-vis des règles.
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Jamie Raines, 27 ans, est un militant trans et créateur de contenu. Comme Kenny, il dit que son expérience des saignements avant la transition lui semblait complètement anormale, sans vraiment comprendre pourquoi. "D'un côté, on m'avait dit que [mes règles] se produiraient, alors bien sûr, c'est ce qui s'est passé", explique-t-il. "Mais d'un autre côté, cela semblait tellement en désaccord avec ce que je ressentais à l'intérieur. C'est un concept tellement abstrait à décrire, mais ça m'a juste donné l'impression que mon corps ne fonctionnait pas correctement". Bien qu'il reconnaisse qu'aucune personne qui a des règles ne les apprécie particulièrement, pour lui, elles étaient incroyablement déclenchantes pour sa dysphorie de genre.
"[Les règles] étaient quelque chose avec lequel je me débattais", ajoute-t-il, "et je n'ai pas réalisé pourquoi jusqu'à ce que je découvre que j'étais trans, et qu'il y avait cette strate supplémentaire de difficulté interne à accepter que c'était là le comportement de mon corps". Une fois qu'il a fait son coming-out, la difficulté s'est déplacée. "Je continuais à éprouver tous ces sentiments conflictuels, mais il y avait aussi tous ces messages extérieurs [en contradiction avec mon expérience]. Il n'y a pas de poubelles [sanitaires] dans les toilettes publiques pour hommes, toutes les serviettes hygiéniques sont parfumées et clairement destinées aux femmes. Ce qui me donnait l'impression d'un [obstacle] supplémentaire. Non seulement je me disais que cela ne devrait pas se produire, mais c'est aussi la société qui me dit que ça ne devrait pas se produire".

Il n'y a pas de poubelles [sanitaires] dans les toilettes publiques pour hommes, toutes les serviettes hygiéniques sont parfumées et clairement destinées aux femmes. Ce qui me donnait l'impression d'un [obstacle] supplémentaire. Non seulement je me disais que cela ne devrait pas se produire, mais c'est aussi la société qui me dit que ça ne devrait pas se produire.

Jamie Raines
Jamie ne saigne plus, mais il ressent encore d'autres symptômes associés à un cycle menstruel, car il n'a pas subi d'hystérectomie.
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Courtesy of Freda.
Jamie
"Cela fait maintenant plus de neuf ans que je suis sous testostérone et j'ai toujours l'impression d'avoir une sorte de cycle (bien que moins régulier). Je ressens encore certaines des choses que j'avais l'habitude de ressentir lorsque j'avais mes règles, notamment des crampes, et je remarque qu'avec ma partenaire, nous sommes parfois un peu de la même humeur..."
De même, Kenny a ce qu'il appelle des "règles internes", ainsi que des saignements minimes. "Les fluctuations émotionnelles, les ballonnements, la fatigue : toutes ces choses que je vivais lorsque j'avais des "règles régulières" avant le traitement sont encore présentes maintenant". Ce qui est difficile, ce n'est pas seulement le fait de devoir composer avec les symptômes, mais aussi le fait que la médecine ne comprend pas pourquoi cela se produit pour lui, et qu'il ne dispose d'aucun soutien accessible.
"Même lorsque je l'explique à mon médecin et que je vais dans des cliniques spécialisées dans les questions trans, ils ne peuvent pas me donner de réponses parce qu'ils ne savent pas. Ces personnes essaient de nous soutenir de la meilleure façon possible et elles ont essayé de me mettre sous [une version de] la pilule qui ne contient pas d'œstrogènes, ce qui a ralenti les saignements, mais j'ai encore des traces ici et là".
Selon Kenny, c'est une réalité de la vie des personnes trans. Très peu de recherches sont réalisées sur les corps trans, et l'accès au soins de santé est bien souvent limité. Tout ce qu'on vous dit, dit Jamie, c'est que la prise de testostérone devrait arrêter vos règles et que si vous n'avez pas subi une hystérectomie au bout de cinq ans, vous devriez passer un scanner tous les deux ans pour vérifier la présence de kystes ovariens.
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Ces informations peuvent laisser penser que la transition mettra fin à vos règles et à votre cycle menstruel. "Je pense que beaucoup de personnes commencent à prendre de la testostérone en pensant qu'elles n'auront plus jamais de règles dès la première injection de T ou la première ordonnance", explique Jamie, "sans se rendre compte que même si les règles s'arrêtent assez rapidement pour vous, cela ne se produira probablement pas dans les premiers mois". Et comme dans le cas de Kenny, il n'y a aucune garantie que cela ne reviendra pas sous une forme ou une autre.
"J'ai juste l'impression que c'est un aspect pour lequel je pensais qu'il y aurait plus de soutien, parce que cela ne serait pas acceptable pour les corps cis mais ça l'est pour les corps trans", ajoute Kenny. "Et personne ne veut mettre l'argent pour faire les recherches nécessaires et savoir ce qu'il en est".
Courtesy of Freda.
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Nous sommes loin d'avoir brisé les tabous liés aux règles ou d'avoir réduit la précarité menstruelle à l'échelle de la société. D'une certaine manière, il n'est pas surprenant que le discours sur les règles soit si peu présent pour les personnes qui ne sont pas des femmes cis - ce discours est aussi fondamentalement absent pour les femmes cis.
Mais lorsque nous positionnons les règles comme faisant partie intégrante de la féminité et comme une chose dont seules les femmes font l'expérience, cela ne contribue en rien à soutenir les femmes. Cela ne fait que rendre la vie plus difficile pour tout le monde.
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"Si l'on exclut les personnes transgenres de la conversation et que l'on se contente de parler des femmes cis qui ont des règles, aucune femme cisgenre n'aura toujours ses règles", explique Kenny. Il cite la grossesse, la ménopause, l'endométriose et les troubles de l'alimentation comme exemples de facteurs qui peuvent modifier ou interrompent le cycle menstruel - et si l'on suit la logique "règles = femme", cela signifierait que ces personnes ne sont pas des femmes. Mais ce n'est pas le cas. L'objectif n'est pas de jeter la pierre aux personnes qui estiment que les menstruations les lient intimement à leur féminité. Comme le dit Kenny : "Si c'est ce qui vous met à l'aise et que vous voulez vous sentez en phase avec l'idée que les règles font de vous une femme, qui suis-je pour vous dire le contraire ?". Cela ne fait que souligner le fait que définir la féminité comme étant liée aux règles et donc suggérer que les règles ne peuvent arriver qu'aux femmes est une définition bien trop restrictive.
Il est clair qu'il faut changer la façon dont nous parlons et abordons les règles, pour le bien de toutes les personnes qui ont leurs règles. Ce changement ne s'opère pas en "effaçant" l'idée que les règles ne concernent que les femmes cis - il s'opère en élargissant la conversation et en présentant un plus large éventail d'expériences.
"Je pense qu'il s'agit de créer différents récits et de permettre aux gens de choisir celui qui leur convient le mieux", déclare Kenny. "En ce qui me concerne, je ne considère pas les règles comme une affaire de femmes, mais comme une fonction corporelle que je subis en raison de mon sexe. Mais je pense que plus il y a d'histoires, plus il y a de récits, plus les gens peuvent s'aligner sur la version qui leur convient le mieux, ce qui les aide à se rassurer et à améliorer leur santé mentale".
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Une partie de la diversification de ces récits consiste à supprimer le langage explicitement genré, en particulier pour les produits de soins menstruels. 
"Un premier pas important et accessible serait de rendre neutre le langage utilisé dans les conversations autour des règles", déclare Jamie. Il cite en exemple des gammes de produits comme Cycle by Freda, dont l'emballage est totalement neutre. "Je pense qu'en rendant le langage neutre, qui ne s'adresse pas spécifiquement à un certain groupe de personnes, on envoie le message implicite que les règles sont vécues par un éventail de personnes plus large que ce que nous avions imaginé au départ". Inclure toutes les personnes qui ont des règles dans les produits et les publicités fait partie d'un changement subtil dans la façon dont les règles sont perçues. Et cela peut avoir un impact positif sur toutes les personnes qui se sentent marginalisées par les marques plus délicates, florales et explicitement féminines de produits d'hygiène menstruelle - des femmes butchs aux personnes genderqueer en passant par les hommes trans.
Ce type de changement n'est pas contraire à la lutte pour la justice menstruelle mais en fait partie - en déstigmatisant les règles pour tous·tes, nous pouvons faire pression pour un meilleur accès aux produits et aider à atténuer la honte qui entoure encore les règles. De plus, cela permettra de faire davantage pression pour investir dans la recherche et le soutien des corps trans, puisque de plus en plus de personnes reconnaissent que les règles n'affectent pas seulement les femmes.
Et pour ceux qui pensent qu'élargir la conversation revient à prendre "l'espace des femmes" ? "Le genre d'argument que j'entends toujours, c'est que lorsqu'on devient neutre, cela revient à parler des hommes", répond Kenny. "Mais les hommes ne seront jamais au centre d'une conversation sur les règles, cela n'arrivera jamais, statistiquement. Les personnes transgenres ne représentent que 1 % de la population". Il poursuit : "Ouvrir une porte sur le genre et accepter les gens pour ce qu'ils sont.... Je ne sais pas ce que les gens pensent qu'il va se passer. Je pense simplement que tout le monde sera plus heureux".

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