J'avais 20 ans, je venais de poser mes valises à Londres pour ce job, quand mon boss m'a menée vers un petit bureau mal aéré pour m’annoncer que j’étais renvoyée. Je n'ai pas eu le droit de retourner à mon bureau. Au lieu de cela, je suis allée me réfugier dans des toilettes publiques pour pleurer toutes les larmes de mon corps, puis j'ai gardé la tête baissée dans le métro sur le chemin du retour pour tenter de cacher mes yeux gonflés par les larmes.
On peut le dire : c'était une mauvaise journée. Une mauvaise semaine même. Mais je n'y pense plus beaucoup. Du moins jusqu'à tout récemment, dans le contexte d’une conversation sur l'échec — et la façon dont cela peut ou non nous propulser vers de plus grandes choses.
Vous l'avez peut-être remarqué : l’échec est à la mode en ce moment. Les livres, les podcasts et les conférences TED défendent les bienfaits insoupçonnés de l’échec, nous expliquant que loin d'être une mauvaise chose, l'échec est la clé du succès. Il faut échouer. Echouer plus vite. Echouer plus fort. Echouer en connaissance de cause.
Même chose du côté des célébrités, avec Gwyneth Paltrow qui déclare : « Toutes mes plus grandes réalisations sont le fruit d'un échec. » L'échec, qui, jusqu'à récemment n'était pas considéré comme acceptable, est devenu une chose à laquelle on aspire.
Ainsi, je devrais considérer comme une chance le fait d’avoir été licenciée à 20 ans. Après tout, à peine deux semaines plus tard, j'avais déjà décroché un nouveau job mieux rémunéré — et au passage, des collègues beaucoup plus sympas. Sauf que je n'ai pas eu d'autre choix que de trouver un nouveau job dès que possible parce que je venais de signer un bail d'un an pour un appartement. Est ce que le fait de me faire virer m'a rendu plus forte ? Ou au contraire, est-ce que ça a porté un coup à ma confiance en moi et m'a fait régulièrement douter de moi-même et de mon travail ? Je pourrais trouver des moyens de présenter mon expérience comme quelque chose dont je me suis triomphalement relevée, mais je ne suis pas sûre que ce soit aussi simple que ça.
En 2008, J.K. Rowling a prononcé un discours d'ouverture à l'Université Harvard, dans lequel elle exhortait les diplômé·e·s à ne pas avoir peur de l'échec. « Il est impossible de vivre sans échouer à quelque chose, à moins de vivre avec une telle prudence que l'on pourrait aussi bien ne pas avoir vécu du tout — auquel cas, on échoue par défaut », dit-elle. Ses paroles ont touché une corde sensible, résonnant bien au-delà des belles pelouses de Harvard pour être partagées partout sur Internet et finalement, en 2015, devenir un livre : Very Good Lives: The Fringe Benefits of Failure.
Plutôt logique si on y réfléchit. À une époque où les réseaux sociaux nous poussent à toujours présenter les meilleures versions de nous-mêmes, qu’une personne nous donne non seulement la permission d'échouer, mais nous dise en plus que c'est inévitable, c’est assez rafraichissant.
Nous encourager à nous sentir plus à l'aise face à l'échec est, je pense, une chose positive. C'est un pied de nez au perfectionnisme, cette habitude toxique qui s'insinue dans tous les aspects de notre vie. La peur de l'échec est l'une des caractéristiques premières du perfectionnisme. Normaliser l'échec et nous encourager à avoir un peu plus de compassion envers nous-mêmes lorsque nous nous « plantons » ne peut être qu'une bonne chose.
Mais quelque part en cours de route, l'acceptation de l'échec s'est transformée en une célébration de celui-ci — et en une théorie selon laquelle il agit comme un tremplin vers le succès. C'est peut-être la Silicon Valley qui est à blâmer (pour changer). Là-bas, l'échec est devenu un mantra : échoue vite, échoue souvent. Chez X, le laboratoire secret où Google teste des idées radicalement nouvelles, les employés sont activement encouragés à faire des erreurs.
Cette glorification de l'échec a eu un effet boule de neige. Dans le cadre d'un mouvement mondial appelé Fuckup Nights, des entrepreneurs montent sur scène pour partager des histoires de startups ratées et d'idées avortées. Les soirées échec sont devenues une mode. Allez ! Buvons à la fois où je me suis rétamée ! (Maintenant que je suis assez riche et que j'ai assez de succès pour me payer le champagne pour le faire.)
Et c'est bien là le problème. Il n'est possible de considérer l'échec comme une chose positive qu'une fois qu'on en est sorti. Et avoir la plateforme pour partager publiquement vos échecs signifie généralement avoir connu un succès substantiel. De plus, l'échec agit comme un filtre Instagram, rendant le succès encore plus agréable.
Bien qu’il y ait quelque chose de rassurant dans le fait que tout le monde rencontre des difficultés de temps à autre, je doute de l’utilité du fétichisme de l’échec. Dans quelle mesure est-il utile d’entendre le témoignage d’une rédactrice de magazine qui, après avoir été licenciée, réussit à rebondir vers une toute nouvelle carrière — après une thalasso de deux semaines et deux coups de fil à des contacts haut-placés ? Quels enseignements retient-on lorsqu'on entend une personnalité parler du bouleversement qu'a été d'intégrer la « mauvaise » université prestigieuse Oxbridge (qui n’était pas son premier choix) ? Peut-être sommes-nous censé·e·s être réconforté·e·s d'apprendre que personne n'obtient tout ce qu'il veut. La plupart d'entre nous en sommes déjà bien conscient·e·s.
Ce n'est pas seulement qu'il soit difficile de se retrouver dans certaines histoires. C'est qu’on a tendance à créer une corrélation entre échec et succès — en forçant le lien entre les échecs passés et les triomphes présents, comme si une chose menait à l'autre. L'échec, plutôt que d'être simplement une partie désagréable et inévitable de la vie, est vu comme un tremplin vers le succès. C'est quelque chose à conquérir et à transformer en positif, ce qui, si vous avez du mal à voir le bon côté des choses, peut contribuer au sentiment d'échec. L'idée que l'échec est un signe d'une vie pleinement vécue est également imparfaite. Tout le monde n'a pas les ressources financières ou mentales pour se permettre de risquer l'échec.
La notion d'échec s'est également brouillée. Pour ce qui est de la carrière et des affaires, il est certes logique d'apprendre de ses erreurs et de vouloir mieux faire la prochaine fois — même si cela ne tient pas compte des facteurs indépendants de notre volonté qui nous aident ou nous freinent. Élargir la question pour y inclure l’amitié, la famille, les relations, la santé, semble déjà moins adapté. Dans ces domaines de notre vie, comment définir l'échec et le succès ? L'échec est complexe et déroutant, mais comme c'est devenu le dernier mot à la mode, il a été poli et nous est vendu d'une manière qui ne tient pas toujours compte des nuances.
Alors bien sûr, parlons davantage des erreurs de la vie, mettons-nous à l'aise avec nos défauts et apprenons à être plus bienveillants envers nous-mêmes lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu. Mais reconnaissons aussi que parfois l'échec est tout simplement un échec. Ce n'est pas quelque chose qu'il faut apprendre à bien faire, il faut simplement trouver le bout du tunnel.