C'est samedi soir et je suis installée en face de mon date. Nous l'appellerons Clément* histoire de préserver son anonymat. Il a passé la soirée à m'expliquer les détails de son travail, m'a parlé de ses amis et de ses centres d'intérêt, le tout autour d'une bouteille de rouge un peu trop fraîche dans un marché de rue un peu trop froid (les joies du dating en pleine crise sanitaire). Il est gentil et intéressant et me raconte une anecdote assez drôle impliquant un costume d'ABBA, une clôture en fer forgé et un séjour aux urgences, mais tout ce à quoi je pense en cette fin de soirée, c'est qu'on en est à notre troisième rendez-vous et que Clément va probablement vouloir m'embrasser (ou plus). Mais comme je ne suis pas du tout attirée par lui, je frise la crise d'angoisse.
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Alors pourquoi suis-je allée à trois rendez-vous avec un homme qui ne m'attire pas, me demanderez-vous peut-être ? La réponse est une question à laquelle sont confrontées de nombreuses femmes célibataires depuis fort, fort longtemps : j'ai cédé devant la pression des personnes qui me disent que je suis "trop difficile".
Certaines personnes dans ma vie m'ont dit à maintes reprises que j'étais trop difficile en amour et, pour une raison que je ne saurais nommer, cette fois-ci, je les ai écoutées. Ce n'est qu'en me tenant sur l'escalier mécanique du métro, les oreilles encore brûlantes après mes adieux gênants à Clément, que j'ai juré de ne plus jamais recommencer.
Depuis aussi longtemps que je me souvienne, l'idée d'une femme qui serait trop difficile a été utilisée pour nous pousser à nous "caser". "Trop difficile" implique que vous devriez revoir vos critères à la baisse. "Trop difficile" signifie que, au mieux, la ou le partenaire que vous espérez rencontrer est un fantasme et, au pire, que vous êtes juste désespérée et que vous n'avez pas vraiment le luxe du choix.
J'entends cette phrase de plus en plus souvent depuis que j'ai passé la barre des 30 ans il y a deux ans et, après y avoir cru pendant longtemps, je commence à la détester. Je la déteste non seulement parce qu'elle implique que la vie en couple est l'ultime et unique objectif à atteindre, mais aussi parce qu'elle pousse les femmes à remettre en question leur propre jugement. À l'extrémité la plus dangereuse de ce spectre de pensée, elle les encourage à ignorer certains signaux avant-coureurs.
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Finalement, ce n'est rien d'autre qu'une forme de gaslighting.
L'année 2020 est une année perdue pour beaucoup d'entre nous, et comme il peut sembler urgent de vouloir rattraper le temps perdu en matière de rencontres, certaines femmes risquent plus que jamais de se laisser appâter par ce genre d'idées délétères.
"On m'a dit par le passé que j'étais trop difficile en amour, ce qui m'a poussée à revoir mes attentes et à me contenter de la personne qui était là", explique Asha Adutwim, 35 ans, mannequin, actrice et thérapeute.
C'est une expérience dont elle sait qu'elle ne doit jamais se reproduire et qu'elle déconseille aux autres. "Vous savez ce que vous aimez, tout comme vous savez qui vous êtes et ce que vous avez à offrir, alors pourquoi devriez-vous vous contenter de quoi (ou de qui) que ce soit au détriment de votre bonheur, de votre sérénité et de votre amour ?
Commençons par parler de l'évidence : l'étiquette "trop difficile" est le plus souvent apposée par celles et ceux dont la vie de couple a tout l'attrait de montagnes russes un lendemain de cuite.
"Je pense que cela vient du fait que les gens sont eux-mêmes dans des relations peu satisfaisantes", convient Catherine*, 33 ans. Ils "choisissent" un partenaire médiocre et pensent que tout le monde devrait faire de même. Je me suis déjà demandée si je ne devais pas viser plus bas, mais à mesure que je prends de l'âge et au fil des nombreuses relations dysfonctionnelles de ma vie, je me rends compte que je préfère attendre un peu plus longtemps plutôt que de me contenter de moins". Le fait que de nombreuses personnes qui donnent cette étiquette aux femmes n'ont jamais connu les joies des rencontres modernes ne peut être une coïncidence, estime Jessica*, 33 ans. "Les personnes qui me qualifient de difficile sont celles qui ont rencontré leur partenaire dans la vingtaine et qui ne voient pas pourquoi il est si compliqué de faire des rencontres. Ils n'ont jamais eu à vivre l'expérience des applications de rencontre - et c'est un tout autre monde".
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La question est donc la suivante : dans un monde qui profite surtout aux couples et qui est accro à la romance, comment maintenir vos exigences et ne pas vous laisser atteindre par cette étiquette du "trop difficile" ?
Pour commencer, rappelez-vous qu'il y a tout un monde entre cette culture du "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras" et le fait de "faire des compromis". Le premier relève de la peur, le second de la générosité. La culture de la drague basée sur l'apparence peut nous faire courir le risque de passer à côté de partenaires potentiels vraiment formidables, mais cela ne veut pas dire que vous devez vous imposer trois dates avec quelqu'un qui ne vous correspond pas du tout, simplement parce que votre collègue lorgnait par-dessus votre épaule pendant que vous étiez en train de swiper sur Tinder, et vous a montré la photo d'un gars à un mariage en vous disant qu'il "avait l'air gentil".
En parlant de "gentil", ne tombez pas dans ce piège, surtout si vous sortez avec des hommes. Une personne peut être "gentille", mais cela ne signifie pas que vous devez passer le reste de votre vie avec elle. La société nous a appris à croire que lorsque les hommes sont gentils avec nous ils méritent toute notre attention, mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas parce qu'ils sont "gentils" qu'ils vont nous aider à surmonter un chagrin, une perte ou même le désespoir, et ce n'est certainement pas suffisant pour vouloir se supporter jusqu'à la fin de nos jours.
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Il faut aussi se rappeler que les personnes qui s'empressent de vous dire que vous êtes "trop difficile" sont souvent les mêmes qui adhèrent à des idéaux sociétaux qui ne sont plus forcément d'actualité pour tout le monde. Vous ne me croyez pas ? Alors laissez-moi vous demander ceci : si quelqu'un essayait de vous convaincre d'investir dans une voiture qui tombe en panne 46 % du temps, est-ce que vous suivriez son conseil ?
Que vous croyiez ou non à cette version du "et ils vécurent heureux jusqu'à la fin des temps", il y a une vérité en particulier à laquelle vous devriez vous accrocher lorsque vous avez honte d'être "trop difficile" - surtout si vous êtes quelqu'un qui aime faire plaisir aux autres. Comme le dit Glennon Doyle dans ses mémoires féministes, Untamed : "There is no such thing as one way liberation" (Il n'y a pas de libération à sens unique). Si vous revoyez vos critères à la baisse et que vous vous "contentez" d'une relation qui ne vous convient pas, vous condamnez inévitablement l'autre personne à faire de même.
*Les noms ont été changés
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