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Ces féministes musulmanes sont bien décidées à s’attaquer aux idées reçues sur leur religion

Photo par Nina Manandhar.
"C'est progressivement que j'ai commencé à réaliser que j'étais féministe, puis c'est devenu une évidence", écrit l'auteure égypto-britannique Alya Mooro dans son livre The Greater Freedom: Life as a Middle Eastern Woman Outside the Stereotypes. C'est une expérience que je partage pleinement. Au cours des dernières années, je me suis lancée dans un cheminement qui m'a permis de me rallier au féminisme, mais en l'accolant à un qualificatif essentiel : "musulman". 
En tant que musulmane, j'ai longtemps évité l'étiquette de "féministe" en raison des tabous culturels qui l'accompagnent. Le féminisme est entaché de suspicion dans de nombreuses communautés musulmanes, souvent considéré comme une idéologie "occidentale" susceptible de remettre en question les fondements de la foi. Mais la justice est l'une des forces motrices de l'islam, et de plus en plus de femmes musulmanes s'identifient au féminisme intersectionnel, qui examine comment des éléments tels que la religion, la couleur et d'autres identités croisées influencent la façon dont elles vivent la discrimination et l'oppression. Une foi inébranlable dans la justice de Dieu est ce qui anime nos flammes réformistes lorsque nous retournons à la recherche, à la lecture et à l'interprétation des écritures par nous-mêmes, au lieu de suivre aveuglément une littérature islamique canonisée vieille de plusieurs siècles qui a été principalement compilée et commentée par des hommes. 
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Un retour aux racines de l'Islam

Plutôt que d'adopter une approche laïque des droits de la femme, les féministes musulmanes fondent leurs arguments sur la religion. Nombre d'entre elles désignent le Coran comme le guide qui soutient leurs convictions, même si ce texte sacré a souvent été manipulé par certain·es pour servir un objectif patriarcal. 
D'un point de vue académique, trois méthodes clés distinguent la manière dont le courant dominant de la recherche féministe musulmane tend à interpréter le Coran : la contextualisation historique, qui implique de reconnaître que le Coran a été révélé à une époque et dans un lieu particuliers à une société tribale et patriarcale. Ensuite, il y a la lecture intratextuelle, qui consiste à comparer les versets et les thèmes coraniques entre eux plutôt que de les lire isolément. Enfin, il y a le paradigme tawhidique, une théorie conceptualisée par la pionnière du féminisme musulman Amina Wadud, qui souligne le caractère unique et incomparable de Dieu. Cette théorie réfute le sexisme, qui place les hommes "au-dessus" des femmes, et affirme également que seul Dieu possède une connaissance absolue, de sorte qu'aucune lecture du Coran n'en est l'interprétation finale ou absolue. Ces cadres permettent des relectures continues et contemporaines du livre saint. 

Chaque fois que j'ai un doute, je reviens au Coran. Je lis ses pages et fouille dans ses mots jusqu'à ce que je trouve le message de compassion et d'égalité qui, je le sais, se trouve au cœur du texte.

Dr Sofia Rehman
"Chaque fois que j'ai un doute, je reviens au Coran. Je lis ses pages et fouille dans ses mots jusqu'à ce que je trouve le message de compassion et d'égalité qui, je le sais, se trouve au cœur du texte", explique Sofia Rehman, qui est titulaire d'un doctorat en islam, hadith et genre et dirige un club de lecture virtuel centré sur l'islam et le genre. Outre le Coran, le Hadith (les paroles et actions rapportées du prophète Mahomet) est l'autre source primaire de l'islam. "Lorsque nous examinons sa vie, nous découvrons un homme qui se tournait vers ses épouses pour obtenir conseil, qui encourageait l'éducation des femmes et qui établissait leurs droits", déclare Rehman. "Après la disparition du Prophète, il y a eu une régression brutale et marquée de ces acquis pour les femmes et les autres peuples marginalisés, qui n'a fait qu'empirer avec l'expansion de la base du pouvoir musulman. Un empire s'est formé et les cultures et coutumes extérieures, souvent imprégnées d'attitudes et de croyances patriarcales, ont été absorbées par la pratique islamique".
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Comment la culture entache la religion

Certaines femmes musulmanes ont été les témoins directs d'atrocités commises à l'encontre des femmes, ce qui a façonné la manière dont le féminisme est imbriqué dans leur foi. "Je me suis toujours considérée comme féministe et j'ai remis en question le patriarcat dès mon plus jeune âge, car j'ai été témoin d'un environnement extrêmement hostile aux femmes, au Yémen, de 1990 à 1995", explique Zinah Nur Sharif, spécialiste de la mode de luxe, qui a été l'une des premières blogueuses de mode modeste au Royaume-Uni. "Avant d'avoir une meilleure connaissance de l'interprétation patriarcale des textes scripturaires islamiques, j'étais sceptique quant au fait que l'inégalité des sexes fasse partie de l'islam et j'avais l'intuition que la prévalence du sexisme provenait de la domination masculine dans certaines cultures".  
Prenant les coutumes culturelles misogynes (telles que les abus domestiques et conjugaux, les meurtres "d'honneur" et l'inégalité des droits politiques) pour des normes religieuses, de nombreuses féministes font campagne pour le changement dans un cadre laïc. Le militantisme est devenu une forme de culte pour Huda Jawad, basée à Londres, cofondatrice de la coalition Faith and Violence Against Women & Girls et coprésidente de la coalition End Violence Against Women. "Je crois passionnément que les femmes et toutes les créatures de Dieu ont le droit à la liberté, à la sécurité et à l'alimentation", explique-t-elle. "Il ne fait aucun doute que la religion a été utilisée de la manière la plus insidieuse et la plus brutale qui soit pour perpétuer la violence contre les femmes et renforcer le patriarcat, mais supposer qu'il s'agit d'une caractéristique inhérente à toute croyance est aussi faux que de dire que la misandrie est inhérente au féminisme." 
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Le site web de Jawad regorge de ses écrits sur l'intersectionnalité et le féminisme islamique. Elle pense que le féminisme est boudé par les conservateur·ices dans de nombreuses communautés musulmanes simplement parce qu'il représente une menace pour le patriarcat. "La religion, et donc l'islam, ont été utilisés par les privilégiés pour consolider leurs pouvoirs et accumuler des richesses, des ressources et un contrôle... tout ce qui menace cela est abordé avec hostilité et activement rejeté", explique-t-elle.

Le renouveau des idéaux religieux

Bien que les hommes aient toujours été les gardiens publics de l'islam, Rehman affirme que la tolérance était autrefois plus importante qu'aujourd'hui. "Il est toujours intéressant pour moi de constater que certains des points de vue les plus rétrogrades associés à l'islam sont apparus récemment, alors que la doctrine classique laisse souvent plus de place à la diversité des opinions", dit-elle, en soulignant qu'aujourd'hui, la notion de femmes muftis, ou expertes en jurisprudence, est souvent considérée comme ridicule par les clercs orthodoxes. Pour celles et ceux qui reconnaissent la légitimité des femmes muftis, leurs avis sont souvent limités à des questions considérées comme des "questions féminines". Les savants des époques passées, explique Rehman, tels que l'imam al-Nawawi, estimaient cependant qu'il était permis aux femmes d'occuper ces postes d'autorité tant que les critères de connaissance et de compétence - les mêmes critères que pour les hommes - étaient remplis. 

L'objectif du féminisme islamique est de déconstruire les hiérarchies et démanteler les "trônes" sur lesquels les hommes, en position dominante, monopolisent le discours depuis trop longtemps sans tenir compte des problèmes qui touchent les femmes musulmanes.

Sherin Khankan, Women Are The Future of Islam
Ensuite, il y a le sujet controversé des femmes qui dirigent les prières. Lorsqu'Amina Wadud a dirigé une congrégation de prière mixte à New York en 2005, les réactions ont divisé la communauté musulmane dans son ensemble, de nombreux théologiens modernes et traditionnels rejetant publiquement la possibilité pour les femmes de diriger des prières mixtes. Et ce, bien que, comme le note l'universitaire américain Jonathan A.C. Brown dans son livre Misquoting Muhammad, le célèbre théologien du 10e siècle Al Tabari et le philosophe du 13e siècle Ibn Arabi aient tous deux autorisé les femmes à diriger les prières. En 2016, l'imame syro-finlandaise Sherin Khankan a fondé et dirigé la prière du vendredi inaugurale de la Mariam Mosque au Danemark, la première mosquée pour femmes en Europe. Dans ses mémoires, Women are the Future of Islam, elle définit l'objectif du féminisme islamique comme étant de "déconstruire les hiérarchies et démanteler les "trônes" sur lesquels les hommes, en position dominante, monopolisent le discours depuis trop longtemps sans tenir compte des problèmes qui touchent les femmes musulmanes."
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Si les femmes courageuses qui occupent des fonctions religieuses importantes dans les communautés musulmanes sont souvent confrontées à des réactions hostiles, elles n'en brisent pas moins le plafond de verre des normes communautaires enracinées dans la culture, en œuvrant à étendre les droits des femmes et à délégitimer les rôles de genre imposés. Elles revendiquent des fonctions qui, pendant des siècles, n'ont été considérées comme acceptables que pour les hommes, qu'il s'agisse d'offrir de nouvelles perspectives et interprétations des textes religieux, de diriger des prières ou même de célébrer des mariages.
"Jusqu'à récemment, dans de nombreuses communautés musulmanes du monde entier, un nombre disproportionné d'hommes ont occupé des postes de pouvoir religieux", explique Yousra Imran, auteure de Hijab and Red Lipstick. "Cela a conduit certaines personnes à croire que seuls les hommes sont qualifiés pour étudier, écrire sur, enseigner ou interpréter la religion. À divers moments de l'histoire de l'islam, nous avons vu comment des savants et des juristes masculins ont donné à l'islam une interprétation qui favorisait les désirs des hommes. Nous souhaitons désapprendre ces interprétations patriarcales et revenir à l'essence de l'Islam - une religion qui défend la justice sociale et ne place pas les hommes au-dessus des femmes."
Au cœur du mouvement, après tout, il n'y a pas de sentiment intrinsèquement radical, illogique, chimérique ou anti-masculin, il s'agit simplement d'un appel à la dignité et à la liberté sur un pied d'égalité ; un thème que les féministes musulmanes croient pleinement ancré dans les principes islamiques. Seema Malji, coach de vie basée à Preston, pense que ces nouvelles interprétations de la religion peuvent aider les jeunes musulman·es à démystifier le féminisme musulman pour les aînés de leur communauté. "D'après ma connaissance de l'islam, il ne pourrait pas y avoir de religion plus féministe", dit-elle. "Il y a une idée fausse répandue selon laquelle le féminisme existe pour éradiquer la masculinité ou émasculer d'une certaine manière, surtout auprès des générations plus âgées. Nous sommes maintenant en mesure de fournir des exemples plus précis et de partager davantage de témoignages auxquels nos familles n'avaient pas accès avant l'avènement d'Internet."
Pourtant, ces interprétations de la foi (et du féminisme) sont largement contestées. "Les termes "islam" et "féminisme" ont une signification différente pour différentes personnes dans différents contextes et sont utilisés à des fins, politiques et identitaires différents", explique Jawad, faisant référence à un essai de 2011 intitulé Beyond 'Islam' vs. 'Feminism' de Ziba Mir-Hosseini, anthropologue juridique et cofondatrice de Musawah, l'initiative féministe mondiale qui défend l'égalité des genres et la justice dans les familles musulmanes. La foi, pour Jawad, agit comme une "source d'autonomisation" et un "corps d'armure grâce auquel on peut lutter pour l'égalité et faire naître une vision du monde où la dignité humaine et le respect des droits humains universels sont la pierre angulaire de la société", explique-t-elle. "C'est mon islam et c'est mon féminisme".
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