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Pourquoi tomber en public est si embarrassant ?

Photo par Nongnuch Leelaphasuk/EyeEm.
Faisant appel à la Jane Fonda qui sommeille en moi, j'ai récemment décidé de faire un peu de step dans ma journée en montant un escalator pour une fois - une occasion bien rare pour mes quadriceps. Il s'agissait d'un trèèès long escalator. Confiante, je suis partie sur la gauche, au pas. Quelques pas plus loin, j'ai raté une marche, tombant en l'air et manquant de mettre KO la personne à côté de moi avec mon sac d'ordinateur portable. Je me suis écorchée les deux tibias sur les marches rainurées de l'escalator, du sang a giclé à travers mes collants neufs. Pendant une minute, j'étais allongée, chevauchant les escaliers mécaniques comme une planche de surf, avant qu'une pieuvre de bras ne vienne vers moi pour m'aider à me relever, grâce à la bienveillance des gens - ce qui, bien sûr, m'a rendue encore plus honteuse. En regardant autour de moi, je me suis rendu compte que la centaine de personnes qui se trouvaient sur l'escalator d'en face avaient les yeux rivés sur mon corps maladroitement étalé. Je pouvais percevoir les ricanements sous les masques. Mes joues sont devenues encore plus rouges sous le mien. Et le type très spécifique d'embarras que l'on ressent lorsqu'on tombe en public s'est répandu en moi, comme mes bleus de tibia écarlates déjà profonds.
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Les bleus ont maintenant disparu mais l'embarras persiste. Pourquoi est-ce si humiliant de tomber ou de trébucher en public ? "La marche est perçue comme une tâche très simple. Les chutes sont associées aux personnes qui sont faibles, fragiles, malades, vieillissantes, déficientes, peu coordonnées, maladroites, ivres", explique le Dr Shirley Rietdyk, spécialiste du mouvement et de kinésiologie. "Il est probable que la plupart des gens préfèrent être perçus comme dynamiques et en bonne santé, et les chutes ne sont pas associées à la santé et au dynamisme. Nous pouvons avoir l'impression que les autres nous jugent comme incompétents lorsque nous tombons".
Le fait que lorsque nous trébuchons en public, les ricanements et les regards, comme ceux dont j'ai été témoin lors de ma chute dans l'escalator, sont monnaie courante n'aide pas. Bella, 29 ans, pense qu'elle se sert du rire pour masquer le choc dans de telles circonstances. "À Noël, nous sommes sortis faire une petite promenade pour prendre l'air avec ma grand-mère de 85 ans dans la campagne, près de sa maison, et elle a glissé sur de la boue", raconte-t-elle. "C'était évidemment horrible, mais j'ai éclaté de rire automatiquement - je n'ai pas pu le contrôler. Bien entendu, la situation n'était pas drôle du tout (malgré le côté comique de quelqu'un qui se retrouve couvert de boue). Elle allait bien, Dieu merci, et a même ri d'elle-même une fois qu'elle s'est relevée".
Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux - comme le "Milk Crate Challenge" (challenge de la caisse de lait), sujet aux chutes - font écho à ce type de réaction automatique. Après tout, Lele Pons a démarré sa carrière en tombant. "Rien de plus drôle que de voir quelqu'un tomber en public", déclare un TikTokeur. "Tomber en public est seulement drôle quand ce n'est pas vous", dit un autre, bien que beaucoup admettent l'immaturité perçue de cette réponse. #FallingOver a généré 47,3 millions de vues sur TikTok à ce jour, et "falling over memes" est l'une des principales suggestions automatique lorsque vous tapez "falling over" dans Google.
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D'un autre côté, certains spécialistes affirment que les réactions par le rire aux facteurs de stress sont en fait des indicateurs de mécanismes de défense "matures" (oui, j'ai été surprise moi aussi). "Nous nous signalons que la chose horrible que nous venons d'expérimenter n'est pas aussi horrible qu'elle en a l'air, ce que nous voulons souvent désespérément croire", écrit le médecin et auteur médical Alex Lickerman, qui assimile ce type de rire à une réponse au traumatisme. Si l'on en croit ce qui précède, le rire dans de tels cas provient en fait d'un désir de faire abstraction plutôt que de la méchanceté ou d'une mauvaise intention. Ainsi, nous n'avons pas à être si embarrassé·e·s par le rire. Peut-être que personne ne trouve cela vraiment drôle après tout.
Cela ne veut pas dire que tomber ou trébucher n'est pas traumatisant en soi. Le fait que les chutes constituent un problème de santé publique majeur est souvent négligé. Selon l'Organisation mondiale de la Santé, les chutes sont la deuxième cause de blessures ou de décès non intentionnels dans le monde, après les accidents de la route. Il n'y a pas vraiment de quoi rire. Les taux de mortalité les plus élevés concernent les personnes de plus de 65 ans, mais cela ne signifie pas que les jeunes ne tombent pas aussi. "Si vous parlez à des adultes plus âgés, un certain nombre d'entre eux s'identifient comme des personnes qui tombent fréquemment, mais ils me disent ensuite qu'ils tombaient aussi beaucoup quand ils étaient plus jeunes", explique Rietdyk, professeure à l'université Purdue, dans l'Indiana. Tout cela l'a amenée à se demander : "Existe-t-il une sorte de mécanisme sous-jacent qui prédispose une personne à tomber et qui se poursuit tout au long de la vie ?". Rietdyk a été intriguée par le nombre d'étudiant·e·s de premier cycle qui venaient lui raconter des histoires de chute. En 2021, elle a commencé une étude d'observation de 16 semaines pour examiner la fréquence et les circonstances des chutes chez les étudiant·e·s de premier cycle. Dans le cadre de cette étude (entre autres), elle a observé que plusieurs participantes avaient fait neuf chutes ou plus en un seul trimestre. Raison de plus pour ne pas se sentir gêné·e - apparemment, nous sommes nombreu·ses·x à trébucher et à tomber tout le temps.
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Des recherches supplémentaires sont encore nécessaires, mais Rietdyk me suggère une étude de 2017 qui indique que les chutes sont apparemment en augmentation, en particulier chez les jeunes femmes âgées de 20 à 29 ans. Ce groupe a connu une augmentation de 25 % des fractures liées aux chutes au cours d'une période de 10 ans de 2000 à 2010 ; chez les hommes du même âge, l'augmentation n'était que de 5 %. Plus récemment, la pandémie pourrait avoir entraîné une augmentation des chutes (bien que les sondages n'aient été réalisés que sur des populations plus âgées - allez comprendre). "Si les gens sont devenus moins actifs (par exemple, en n'allant pas à la salle de sport pour éviter les espaces clos, en évitant les sports collectifs/de contact) pendant la pandémie, ils peuvent être déconditionnés, ce qui augmente le risque de chute", explique Rietdyk.
Quoi qu'il en soit, les jeunes femmes semblent tomber ou trébucher avec plus de fréquence et de panache qu'on ne le croit, ce qui fait beaucoup de visages rouges, comme le mien, dans le monde entier. Rietdyk a observé que les jeunes sont moins enclins à signaler les incidents qui leur ont porté préjudice, voire à "nier complètement les problèmes liés aux chutes", ce qui pourrait être dû à l'embarras qui les accompagne. C'était certainement le cas pour moi : je me souviens des suites embarrassantes de la chute plutôt que de la chute elle-même ou de mes blessures. "D'après mes observations d'étudiants tombant sur le campus, après la chute, de nombreux jeunes adultes regardent d'abord autour d'eux pour voir qui les a vus tomber", ajoute Rietdyk.
Il est également important de noter que les personnes handicapées peuvent être plus enclines à tomber ou à trébucher. L'étude réalisée par Rietdyk en 2021 a révélé une corrélation positive entre les personnes prenant des médicaments sur ordonnance et les chutes. Une autre étude réalisée en 2021 met également en évidence les problèmes liés aux chutes chez les personnes présentant une déficience intellectuelle, citant des facteurs de risque tels que "la diminution des capacités physiques, l'épilepsie, les troubles parétiques, l'impulsivité, les chutes antérieures, l'incontinence et la non-utilisation d'équipements d'assistance". Chaque fois que nous étouffons un ricanement ou que nous fixons quelqu'un qui trébuche en public, nous ferions bien de nous rappeler que de nombreux handicaps ne sont pas visibles et que la meilleure façon d'aborder la situation est d'aider la personne, et non de réagir comme le font les réseaux sociaux. Si, collectivement, nous ne rions plus, la culture de l'embarras pourrait finir par se dissiper complètement.
Sinon, nous, les rois et reines de la chute, pourrions simplement essayer d'accepter et d'assumer au mieux le caractère ingrat de cette dernière. Quand je suis tombée dans l'escalator, j'ai essayé de faire face aux ricanements. "Je ne supporte pas quand ça arrive !" ai-je dit, ce qui a semblé m'aider à me sentir un peu mieux, si ce n'est plus. Ou, en cas de doute, faites-les flipper, comme le suggère le TikTokeur viral Lawrence Layton : "Levez-vous simplement, et dites 'Je suis désolé - ça fait tellement longtemps que je n'ai pas habité un corps'".
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