En 2019, j'ai découvert le Sad Nipple Syndrome, un phénomène étrangement nommé mais étonnamment commun, selon lequel les gens disent ressentir toute une gamme d'émotions étranges quand on leur touche les tétons. Ces émotions peuvent varier de Je crois que j'aime pas ça à J'ai l'impression d'être un enfant qui se fait gronder après avoir fait une grosse bêtise. Un article bien étrange à écrire, croyez moi.
Alors que je me renseignais sur cette sensation peu étudiée et difficile à cerner, un homme m'a contactée sur Twitter pour m'expliquer qu'il ressentait une sensation similaire lorsqu'on lui touchait le nombril. Cela m'a fait réagir, car je me suis rendu compte que je ressentais la même chose. Les rares fois où je trouve un peu de bouloches dans mon nombril, je dois retenir ma respiration pour farfouiller à l'intérieur, mon corps tout entier se crispe comme si j'avais été surprise en train de faire quelque chose de profondément gênant. Comme se masturber en portant un nez de clown, par exemple. Bizarrement (surtout si l'on considère cet exemple), la sensation que j'éprouve en touchant mon nombril ne relève pas du domaine sexuel en soi. C'est plutôt un mélange de confusion et de honte. Peut-être pas se masturber, du coup. Se faire pipi dessus ? Je me fais pipi dessus en portant un nez de clown que j'ai piqué à quelqu'un qui me surprend en flagrant délit et crie : "MAIS QU'EST-CE QUE TU FAIS ? C'EST MON NEZ !"
PublicitéPUBLICITÉ
Deux ans et demi après cette révélation complexe sur le nombril, je n'ai pas pu m'empêcher d'y repenser et, pour en savoir plus, j'ai décidé de contacter l'homme qui m'avait initialement envoyé ce message, ce qui m'a obligée à parcourir le chaos de mes DM (principalement des mecs pas nets qui me disaient "Salut"). J'ai été étonnée de tomber sur de multiples messages autour du nombril que j'avais complètement loupés.
"J'ai une rage en moi si profonde que je ne peux pas l'expliquer", avait écrit une femme. "J'ai l'impression d'être folle à cause de la colère que j'éprouve si quelqu'un essaie de me toucher à cet endroit. Ça arrive aussi avec mon anus".
"Ce truc du nombril est 100 % vrai. Ma mère et moi le ressentons, mais pas mon mec. C'est une sensation dégoûtante, comme des ongles sur un tableau noir", a écrit un autre.
Une troisième personne a écrit : "Je ne peux juste pas toucher mon nombril. La sensation est trop intense. C'est un peu... sexuel ? Mais pas vraiment. Mon Dieu, tu ne racontes ça à personne, hein?" J'ai demandé si je pouvais l'inclure dans cet article. "D'accord, mais appelle-moi Hilda ou un truc du genre", a ajouté Hilda.
Il n'y a pas que les inconnus dans mes DM qui ont exprimé leur dégoût pour la sensation étrange que procure le toucher de leur nombril. La très célèbre Khloe Kardashian n'a pas hésité à parler ouvertement de sa phobie du nombril, en tweetant en 2015 : "J'ai une énorme phobie du nombril ! Je suis tellement dégoûtée à l'idée de toucher le mien".
PublicitéPUBLICITÉ
I have such a phobia of belly buttons! Im so grossed out to touch my own. Yuck I just hate them. I have to scream every time I clean my bb
— Khloé (@khloekardashian) December 15, 2015
Comme le dit le Dr Christopher Hollingsworth du NYC Surgical Associates dans une interview : "Le revêtement interne de la cavité abdominale au niveau de votre nombril est appelé péritoine pariétal. Cette structure est d'une sensibilité extrême et ses fibres nerveuses sensorielles relayent les informations à la moelle épinière au même niveau que les nerfs qui relaient les sensations de votre vessie et de votre urètre".
Après m'être vu refuser une citation par tous les corps médicaux que vous pouvez nommer, j'ai pris les choses en main et j'ai mené l'expérience hautement scientifique d'enfoncer mon doigt dans mon nombril tout en courant et en criant. Je peux confirmer que la déclaration du Dr Hollingsworth se vérifie. Parce que c'est tellement inattendu, le cerveau ne peut pas interpréter que la sensation se trouve au plus profond des reins, ce qui fait que mon corps entre en mode panique, que pour d'autres la sensation est agréable, et que d'autres encore ne savent pas trop ce qui se passe. C'est comme lorsque vous prenez une gorgée de thé et que vous vous rendez compte que vous avez accidentellement bu le café de votre collègue ; le choc rend l'expérience dégoûtante - même si vous aimez le café - à cause de la confusion que votre cerveau ressent à cet instant.
En parlant à Kathryn, 29 ans, l'intrigue se corse. Enfant, elle avait l'habitude de se tripoter le nombril (je ne juge pas, mais franchement?!) et je lui ai demandé ce que ça lui faisait : "J'avais une sensation de chatouillement dans la bouche, au point de devoir me mordre la lèvre".
PublicitéPUBLICITÉ
La science me fait défaut une fois de plus, avec trois chargés de relations publiques de diverses associations médicales qui m'ont dit qu'ils n'avaient personne dans leurs registres qui puisse me donner une idée de la raison pour laquelle certaines personnes sentent leur nombril dans leur derrière et d'autres dans leur bouche. En plus de cela, alors qu'il existe de multiples nerfs dans la moelle épinière reliés à vos jambes, vos bras, votre poitrine et bien d'autres zones du corps, aucun n'est relié à votre visage.
"Je n'appuis pas sur mon nombril", ajoute Kathryn lorsque je l'informe qu'elle est une merveille de la science moderne. "Je dirais plutôt que je pince la peau. J'ai un nombril qui ressort. C'est peut-être pour ça ?"
Toucher délicatement le nombril ne va pas activer les nerfs de la colonne vertébrale - il faut y aller franchement pour ressentir cette sensation, les personnes qui ont un nombril qui ressort ne vont donc peut-être pas réveiller les bonnes terminaisons nerveuses aussi facilement. Qui sait pourquoi Kathryn ressent quelque chose dans sa bouche ? Il est possible que ce soit d'ordre psychologique, mais on n'en saura probablement jamais rien, car les chercheur·euses sont trop occupés à trouver un traitement contre le cancer pour perdre du temps avec mes questions sur le nombril.
En revanche, il n'est pas vraiment surprenant que ces sensations aient été exploitées et intégrées à un fétiche sexuel. En 2012, le nombril était le deuxième fétiche le plus recherché sur Google. Il a malheureusement depuis disparu du palmarès, évincé par la cigarette, les collants et les pets (entre autres), mais cela ne veut pas dire que ce n'est pas encore un phénomène très répandu.
PublicitéPUBLICITÉ
"J'ai fait l'expérience de toucher mon nombril pendant l'acte sexuel", raconte l'homme qui m'a contacté il y a de nombreuses lunes (et qui souhaite rester anonyme). "Cela peut bizarrement me faire jouir plus vite, mais je ne l'ai fait que quelques fois quand j'étais plus jeune parce que ça me fait bizarre, comme si je faisais quelque chose de mal".
Une autre femme dans mes DM partage cet avis : "Ce n'est pas comme si c'était quelque chose qu'on voit dans les films ou qu'on lit dans les livres - je ne comprenais donc pas vraiment ce qui se passait. Mais c'est assez réconfortant de savoir que je ne suis pas seule ! Peut-être que je devrais rejoindre ces fétichistes du nombril !"
Il s'avère qu'il est assez difficile de rejoindre une communauté de fétichistes du nombril. Le Great Navel Forum, par exemple, est décrit comme "un diamant brut". Il s'agit non seulement d'un forum sur le nombril - qui sont eux-mêmes assez difficiles à trouver - mais il est aussi relativement actif. Pourtant, les messages les plus récents datent de 2016. Même Reddit ne parvient pas à fournir un contenu actualisé : le dernier message dans r/bellybuttonfetish remonte à un an.
Heureusement, des hashtags Instagram comme #bellybuttonfetish (qui compte plus de 42 000 publications) ou le plus nébuleux #bellybutton (630 000) sont là pour nous informer. Les publications sont en majorité celles de comptes de femmes postant des selfies de nombril comportant des commentaires appréciatifs tels que "wow joli nombril". Il est dommage qu'il n'existe pas de lieu centralisé pour les amateur·ices de nombril des temps modernes (peut-être sur le dark web ?), mais voilà l'un des avantages des réseaux sociaux : on ne rend vite compte qu'on n'est jamais seul·e dans ses penchants. Qu'il s'agisse de fétichisme de la chaussure ou du nombril, il y a toujours un hashtag pour vous.
Pas pour moi, cependant. Je vais fièrement continuer à éviter tout contact avec mon nombril. Avec un petit soupçon de honte sur fond de clown.