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Et si mon syndrome de l’imposteur était une question de classe sociale ?

Photographed par Lissyelle Laricchia.
Il y a trois ans, j'ai décroché mon premier poste de rédactrice marketing. C'était loin d'être le job de mes rêves, mais j'allais travailler dans un secteur créatif, et le poste présentait toutes les caractéristiques de ce que je considérais comme un vrai travail d'adulte : un salaire annuel de plus de 20K, des prestations de santé et un bureau en centre-ville.
Ça peut sembler banal, mais c'était un grand pas en avant par rapport à mon précédent boulot dans un supermarché, où j'emballais des courses et surveillais que les clients ne s'arrachent pas les yeux pour des biscuits en promotion. En dehors de ce travail, j'avais fait autant de piges pour des magazines que possible et j'avais suivi un cursus de journalisme avec une bourse d'études pour jeunes défavorisés. Enfin, j'allais pouvoir mettre à profit mes compétences et mon tout nouveau diplôme.
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Lorsque j'ai reçu l'appel m'annonçant que j'avais été choisie pour le poste de rédactrice, j'ai pleuré. À l'époque, je sous-louais illégalement une chambre dans une colocation. Ma chambre était complètement délabrée et tout ce que je voulais, c'était gagner suffisamment pour vivre dans un endroit décent. Les propriétaires peuvent faire preuve de discrimination à l'égard des personnes à faible revenu et si, comme moi, vous n'avez pas de parents qui gagnent suffisamment pour se porter garant, il est loin d'être facile de trouver un propriétaire qui vous offre un bon acceptable. 
Ce travail représentait un nouveau départ pour moi. J'étais aux anges, mais la peur s'est vite installée. Je me réveillais souvent la nuit, tourmentée par la crainte que mes nouveaux employeurs m'appellent pour me dire qu'ils s'étaient trompés de personne, que ce poste ne m'était pas destiné. Je me suis convaincue que je ne connaissais rien au copywriting et je me suis exercée à m'excuser d'avoir un peu gonflé mes compétences au cours des trois phases d'entretien.
La situation n'a fait qu'empirer après mon premier jour. L'équipe était sympa ; personne n'est revenu sur mon offre d'emploi ou ne m'a traité de menteuse (ouf !) mais impossible de soumettre un papier sans avoir des nœuds à l'estomac. J'ai commencé à chercher sur Google, désespérément à la recherche de conseils. Grâce à plusieurs coachs de vie qui avaient écrit d'innombrables articles sur ce que je ressentais, j'ai vite compris que je souffrais du syndrome de l'imposteur.
Le syndrome de l'imposteur a été présenté en 1978 dans "The Imposter Phenomenon in High Achieving Women: Dynamics and Therapeutic Intervention" par le Dr Pauline R. Clance et le Dr Suzanne A. Imes. Ce phénomène est défini comme le fait de douter de ses capacités et de se sentir comme un imposteur au travail. Cette première recherche avait révélé que cette "affection" ne touchait que les femmes.
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Des études ont montré que les étudiant·es issus de la classe ouvrière ne se sentent souvent pas à leur place dans l'enseignement supérieur et sont plus susceptibles de rencontrer des problèmes de santé mentale.

Aujourd'hui, le syndrome de l'imposteur est un mot qui fait le buzz. Il s'agit d'une maladie fabriquée, que nous connaissons tous·tes trop bien d'ailleurs. Ce phénomène a été monétisé par certaines personnes qui ont fait carrière dans le coaching personnel, les conférences inspirantes et l'orientation professionnelle en proposant des conseils et des solutions. Vous pouvez vous procurer des T-shirts "marrants" sur le thème du syndrome de l'imposteur.
La majorité des conseils proposés pour vaincre le syndrome de l'imposteur sont dans la même veine. Ils encouragent les femmes à se tourner vers l'intérieur, renforçant ainsi l'idée que le problème vient de nous et que c'est à nous de le résoudre. Prenez cet article, par exemple, qui affirme que vous pouvez vaincre le syndrome de l'imposteur en "prenant conscience de votre valeur", en "exprimant vos points forts" et en "prenant le temps de vous occuper de vous-même".
Le syndrome de l'imposteur est, visiblement, partout. Selon une étude réalisée en 2020, jusqu'à 82 % des personnes en souffrent à un moment ou à un autre de leur carrière, certaines éprouvant des sentiments d'anxiété, d'inadéquation et craignant de perdre leur emploi. Mais tout n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Lister les symptômes de cette prétendue maladie ne permet pas d'en traiter les causes. 
Pendant longtemps, j'ai pensé que j'étais en quelque sorte l'incarnation même du syndrome de l'imposteur. C'était l'explication la plus raisonnable à mes insomnies du dimanche, et à l'angoisse du lundi matin qui s'ensuivait. Pourtant, au fur et à mesure que j'évoluais dans mon nouveau poste de marketing, je me suis rendu compte qu'il y avait autre chose. 
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J'ai commencé à avoir plus confiance en mes compétences, mais j'ai réalisé à quel point je ne me sentais pas à ma place parmi mes collègues qui, pour la plupart, conduisaient des voitures de luxe et partaient régulièrement en vacances au ski. 
Peu à peu, je me suis rendu compte que ma classe sociale et mon milieu étaient un élément du problème. J'ai grandi dans un foyer monoparental à faible revenu. Quand j'étais enfant, ma mère a successivement travaillé dans un magasin de vêtements, comme femme de ménage et dans un supermarché. Pas de 4x4, ni vacances au ski pour nous.
Je ne suis pas la première personne issue de la classe ouvrière à se sentir perdue dans un milieu professionnel de la classe moyenne, et je ne serai pas la dernière. Des études ont montré que les étudiant·es issus de la classe ouvrière - en particulier s'ils sont la première personne de leur famille à faire des études universitaires - ne se sentent souvent pas à leur place dans l'enseignement supérieur et sont plus susceptibles de rencontrer des problèmes de santé mentale.
Il s'avère que les causes du syndrome de l'imposteur ne se trouvent pas dans les individus. Il s'agit plutôt d'un symptôme de la honte, de la stigmatisation, de l'anxiété et des préjugés intériorisés auxquels une personne a été soumise et qui l'amènent à se sentir inférieure parce qu'on le lui a fait sentir. Ce n'est pas mon opinion, c'est un fait. Dans une enquête menée par le Chartered Institute of Personnel and Development, 76 % des employeurs ont admis avoir pratiqué une discrimination à l'encontre de candidats sur la base de leur accent, en raison de préjugés de classe. 
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Molly, 25 ans, est également issue de la classe ouvrière. Elle a quitté son village natal pour s'installer dans une grande ville afin de travailler comme conceptrice senior chez un concessionnaire automobile.
"Parfois, c'est tellement éprouvant de côtoyer des gens friqués et de n'avoir aucun lien avec eux", me dit-elle. "Le pire, c'est qu'ils ne se doutent de rien. Ce n'est pas comme si vous pouviez attaquer votre premier jour en disant "Bonjour, je suis issue de la classe ouvrière, alors ne me parlez pas de Marks & Spencer".
"Vous devez juste subir des conversations maladroites où les collègues supposent que vous partagez ces riches expériences comme voyager ou être allé à des universités de prestige", poursuit-elle.
Samantha, 29 ans, ressent la même chose après avoir récemment déménagé à Londres pour travailler sur la communication d'une organisation caritative. "Hier, je me suis effondrée en larmes parce que je ne me sens pas à ma place et que je ne sais pas comment me faire des amis parmi mes collègues", raconte-t-elle. "J'ai l'impression de n'avoir jamais connu pire syndrome de l'imposteur".
Samantha me dit qu'elle a éprouvé une certaine pression à dissimuler complètement son origine sociale. "C'est vraiment étrange de travailler dans un espace où l'expérience vécue de chacun est si largement différente de la vôtre", explique-t-elle. "Ça me pousse à faire attention à ce que je dis ou ce que je fais, comme si j'allais déraper et révéler que je suis secrètement "pauvre" ou un truc du genre". 
En analysant ses sentiments, Samantha a mis le doigt sur quelque chose qui me touche vraiment : la honte et les stigmates qui accompagnent le fait de ne pas avoir d'argent ou d'être issu d'un milieu aisé sont ce qui nous ronge. "Je ne pense pas nécessairement que les gens me traitent de manière inégale en raison de ma classe sociale ou de mes origines", réfléchit-elle, "mais on a néanmoins cette impression, cette voix qui vous dit que vous n'êtes pas à votre place."
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L'intersection de la classe sociale et du genre avec les sentiments de malaise ou d'inadéquation au travail doit être discutée plus ouvertement. Le syndrome de l'imposteur est peut-être un raccourci utile pour désigner une expérience en réalité complexe et, qui plus est, certains des conseils qu'il a suscités peuvent même être utiles. Mais si nous ne déballons pas ce phénomène et n'abordons pas son contexte structurel, nous rendons un mauvais service à tout le monde, en particulier aux personnes les plus concernées.

Souffrez-vous du syndrome de l'imposteur ou êtes-vous simplement fatiguée ? Souffrez-vous du syndrome de l'imposteur ou êtes-vous en proie au sexisme et au classisme sur votre lieu de travail ?

Dans son étude "Belonging and Wanting : Meanings of Social Class Background for Women's Constructions of their College Experiences" (Appartenance et désir : la place de la classe sociale dans les expériences des femmes à l'université), Joan Ostrove note que les femmes de la classe ouvrière sont plus susceptibles que quiconque de souffrir du syndrome de l'imposteur. Elle a découvert que cette situation était en partie due au harcèlement et aux abus qu'elles avaient subis au travail.
Yuwei Lin, une experte en technologies numériques qui lutte contre le syndrome de l'imposteur et l'étudie, estime que l'écart des salaires entre les hommes et les femmes entretient l'inégalité institutionnelle, ce qui conduit inévitablement un plus grand nombre de femmes à éprouver les sentiments que l'on regroupe aujourd'hui sous le terme de syndrome de l'imposteur. La recherche suggère que cela peut créer un cycle sans fin. En 2019, l'étude "Imposter Syndrome Research Study" a montré que 31 % des femmes souffrant du syndrome de l'imposteur ne demanderaient pas d'augmentation de salaire, même si elles pensent le mériter, et que 47 % ne se lanceraient pas dans de nouveaux projets qui, elles le savent, mettraient en valeur leurs compétences. 
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En définitive, je (et beaucoup d'autres, j'en suis sûre) ne suis plus convaincue que mon syndrome de l'imposteur est ou n'a jamais été réel. Techniquement, je suppose que j'étais une outsider dans mon premier job, mais je ne bernais personne. J'avais le droit d'être là. Le problème ne venait pas de moi, mais du fait que j'étais la seule personne issue d'un milieu à faible revenu dans mon équipe. Le monde du travail aujourd'hui est encore conçu de manière disproportionnée pour répondre aux besoins des hommes. Nous essayons toujours d'obtenir la parité salariale, des horaires vraiment flexibles et de mettre fin à la discrimination de la maternité. C'est pourquoi les femmes ont du mal à organiser leur travail autour de la grossesse, de la garde des enfants et des menstruations. C'est également la raison pour laquelle certaines personnes handicapées ont du mal à s'adapter aux modèles de travail traditionnels et pourquoi les personnes de la classe ouvrière ont parfois l'impression qu'elles ne sont pas à leur place. Bien entendu, les préjugés raciaux sont aussi très présents sur le lieu de travail.
Nous ne pouvons ignorer le fait que la mobilité sociale stagne. Il faut s'attendre à ce que les femmes de la classe ouvrière ressentent ce qui ressemble à un syndrome de l'imposteur tout au long de leur vie professionnelle si elles accèdent à une nouvelle classe sociale ou économique. 
Il est peut-être temps d'arrêter de dire aux femmes qu'elles souffrent du syndrome de l'imposteur. Ne pourrions-nous pas plutôt consacrer notre énergie à encourager les entreprises et les employeurs à s'attaquer aux inégalités qui se produisent sous leur responsabilité ?
Souffrez-vous du syndrome de l'imposteur ou êtes-vous simplement fatiguée ? Souffrez-vous du syndrome de l'imposteur ou êtes-vous en proie au sexisme et au classisme au travail ? Ce n'est pas à chaque travailleur qu'il incombe d'assumer ces luttes. Diagnostiquer les sentiments très réels d'isolement et de doute de soi d'une personne comme étant le syndrome de l'imposteur et lui demander d'y remédier elle-même revient à rejeter la faute sur quelqu'un d'autre. On ne peut pas se débarrasser de l'inégalité structurelle à coup de girlboss. S'en rendre compte pourrait bien être le remède au syndrome de l'imposteur. 
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