On le sait, religion et LGBTQ+ ne font pas toujours bon ménage. Heureusement, les choses sont en train de changer. Comment ? Grâce à des leaders religieux qui se font plus tolérants et des LGBTQ+ qui se battent pour se faire accepter par leurs communautés religieuses. J Mase III fait partie de ces militants. Mase est né femme. Aujourd’hui trans, éducateur spé et poète, il a reçu une éducation religieuse chrétienne et musulmane. S’il parvient aujourd’hui à concilier religion et identité trans, ca n’a toujours été chose simple. Retour sur ce témoignage émouvant, où l'on nous parle du statut des transgenres dans les communautés religieuses, les problèmes qui se posent encore pour les LGBTQ+ et en quoi se réapproprier son corps peut être vu comme un acte spirituel.
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Cette interview a été éditée dans un souci de clarté.
Quelle éducation religieuse as-tu reçu ? Que voulait dire la religion pour toi enfant ?
« J’ai été élevé dans une famille chrétienne et musulmane. Ma mère et sa famille sont chrétiens et mon père musulman. Pour mon père, la foi c’était quelque chose d’ouvert. Il m’a toujours dit : « tu es constamment en communication avec Allah. » C’est la religion de ma mère qui a pris le dessus, car on allait à l’église tous les dimanches. Tu vas à la messe, on te dit ce que tu dois croire et puis tu finis par intérioriser. Je me souviens que quand j’ai eu 11 ans, j’ai commencé à prier Dieu qu’il fasse disparaître mon homosexualité ou mon désir de changer de corps. Même si concrètement, personne ne m’avait jamais dit qu’être trans ou gay était quelque chose de mal.
« J’ai fait mon coming-out quelques années plus tard, au milieu de l’adolescence. J’ai connu plusieurs personnes qui ont essayé d'exorciser mes démons et faire de moi une femme hétéro. Avant ça, j’ai essayé en vain d’avoir une conversation avec ma mère, mais à l’époque elle était incapable de m’accepter comme j’étais. J’ai fait plusieurs fois mon coming-out auprès de mon père et de sa famille, parce que je n’étais pas sûr qu’ils aient bien entendu ce que je leur ai dit. Ca me semblait trop simple. »
Comment est-ce que votre relation à la religion a changé une fois que vous avez accepté votre identité queer et transgenre ?
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« Pendant un moment, je me suis éloignée de la religion. J’y suis revenu quand j’ai commencé à travailler dans un centre pour jeunes queer. Notre département avait organisé pas mal d’ateliers avec des communautés religieuses. A l’époque, mon chef n’était pas très à l’aise avec tout ce qui a attrait à la foi. Et moi j’étais là : « J’adore l’église ! J’adore la mosquée ! C’est mon truc ! ». C’est quand j’ai commencé à prendre part à ses ateliers que j’ai compris qu’il y avait deux écoles : la posture « défensive » et la « théologie de la libération ». Surtout quand on parle de religions abrahamiques (comme l’Islam, le Christianisme et le Judaïsme), où la posture défensive consiste à se fonder sur six ou sept textes, qui vont être constamment utilisés pour dire qu’être gay ou trans c’est mal ou c’est péché, comme dans Sodome et Gomorrhe. Les gens se servent des Saintes Ecritures pour dire « ce texte dit que Dieu a tué ces gens parce qu’ils étaient gay. » Moi dans ce cas, je réponds « Ce n’est pas ce que dit Ezekiel. C’est pour leur avarice qu’on les a condamné, pas pour leurs pratiques sexuelles. » Comme ça, j’arrive à leur prouver que les Saintes Ecritures n’ont rien d’incompatibles avec les LGBTQ+. Donc même la théologie défensive a un point de vue neutre sur nous, pour peu qu’on sache lire les textes.
C’est vers 25 ans que j’ai entendu parler de la théologie de la libération. La théorie de la libération, c’est l’idée que Dieu aime toutes ses Créations, et que donc il s’adresse à tout le monde. Ca veut dire aussi qu’il devait y avoir une mention sur nous, dans les Textes. C’est ce qui m’a poussé à aller vers d’autres textes. L’un de mes textes préférés - qu’on retrouve d’ailleurs dans la Bible et le Coran - est celle de Joseph dans la Genèse - ou Yusuf pour les musulmans. Il peut être lu comme l’histoire d’un personnage qui fait des rêves prophétiques, mais aussi comme celle de quelqu’un de non-conformiste, voire même qui refuse le genre binaire. Or, Joseph est perçu comme quelqu’un de bon, quelqu’un qui sauvera des dizaines de personnes de la famine et d’une mort certaine. C’est en relisant certains textes avec un oeil nouveau que j’ai retrouvé l’envie de me plonger dans la Bible ou le Coran. Ca m’a rendu plus critique aussi. J’en suis arrivé à me demander comment on avait pu me détourner de ces livres. J’ai eu envie de réclamer ce dont on m’avait possédé. Alors je me suis remis à prier et à faire de la théologie de mon côté. C’est là que j’ai compris que je pouvais non seulement être trans et croyant, mais que j’étais croyant quoiqu’il arrive et quoi qu’on en dise.
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Quel rôle joue la religion dans ta vie et dans ton travail aujourd’hui ?
Je suis poète et je suis aussi consultant dans le secteur de l’éducation. Mais j’ai toujours été très spirituel. Ensemble avec une amie à moi, Lady Dane Figueroa Edidi, j’ai co-écrit le #BlackTransPrayerBook, une sorte de manifeste pour une théologie plus inclusive, qui s’adressent aussi aux Noirs et aux Trans. C’est aussi un livre qui entend connecter les religions. En tant que transsexuel noir, on est souvent confronté à des situations où on se retrouve à prier un Jésus blanc, sans que personne ne questionne le fait que c’est cette vision du christianisme qui a servi à la colonisation.
C’est un travail de création et d’analyse, une théologie qui entend contrecarrer toute forme de ségrégation, que ce soit contre la négrophobie, la transphobie ou transmisogynie. J’écris pour les noirs et la libération des trans. Voilà ce qui m’intéresse. Et c’est aussi ce qu’on retrouve dans mes poèmes.
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Comment ne pas reconnaître le fait de se réapproprier son identité, son corps et ses pronoms comme un acte spirituel ?
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Le christianisme a la réputation d’être une religion hétéronormative, pour Blancs. Toi qui est noir et transsexuel, est-ce qu’il t’est arrivé d’avoir à défendre ton attachement pour cette religion ?
Certes, les communautés chrétiennes et musulmanes ont tendance à voir les trans comme des personnes non pieuses, parce qu’on n’accepte pas le corps que Dieu nous a donné. C’est là que j’aime bien rappeler que l’humain ne peut pas être réduit à son corps physique, ce que prône d’ailleurs très bien la religion. Et qui mieux que les trans pour incarner cette idée ? Comment ne pas reconnaître le fait de se réapproprier son identité, son corps et ses pronoms comme un acte spirituel ?
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Il y a quelque chose de fort dans le fait de lier la réappropriation de son corps et la spiritualité, non ?
Ça va contre la religion de croire que les hommes devraient se contenter du monde physique, ou de croire qu’on sait tout de la mission qu’il nous est donné de remplir sur cette Terre. Je pense que le genre - comme pleins d’autres sujets - doit être dissocié de la façon dont on s’examine.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes croyants qui se questionnent sur leur identité de genre ?
Aux jeunes musulmans, et spécialement aux musulmans trans, j’aimerais dire "vous n’êtes pas les seuls. Et vous n’êtes pas les premiers. Il y a toute une communauté derrière vous. Alors ne baissez pas les bras et entrez en contact avec ces communautés." Certes, la communauté gay est largement tenue (ou soutenue) par des Blancs, et il y a le risque de nous faire exproprier notre culture. Et non, être queer ne se limite pas au discours académique ni aux langues globales comme l’anglais. On a toujours existé, il y a toujours eu des gens pour se sentir trans.
A tous ces gens qui sont plus jeunes que moi, sachez que ce n’est pas parce que quelqu’un vous donne sa vision de la foi que vous êtes obligés de le croire. Ce n’est pas parce qu’il y a tant de haine dans ce monde que ça doit nous empêcher d’exister. Dites-vous bien que si nous sommes là c’est qu’il y a quelque chose de sacré en nous.
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Selon toi, qu’est-ce qu’il faudrait que les communautés religieuses comprennent sur le fait d’être trans ?
L’une des pires choses que j’ai jamais expérimenté, ce sont ces églises LGBTQ+ qui n’ont aucune idée de ce que c’est qu’être trans. Pareil, c’est énervant quand on demande à voir des textes qui mentionnent les trans, et que tout ce qu’on trouve à vous dire c’est « Dieu est amour ». Certes, ça part d’un bon sentiment, mais ce n’est pas suffisant pour contrer les remarques de haine qu’on entend constamment sur nous. On mérite mieux que ça. On mérite une théologie. On mérite d’avoir des communautés qui nous comprennent intimement, et cessent de nous voir simplement comme des corps physiques. On a besoin d’avoir plus de lieux de cultes pour pouvoir se rassembler, de plus de fonds pour subsister. Parce que ce dont on a besoin est très différent de ce qui existe actuellement.
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