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Comment j’ai su que j’étais digne d’être aimée après une relation abusive

Photo par Flora Maclean
Photo à titre d'illustration uniquement, la personne représentée est un modèle photo.
Je ne me souviens pas quand j’ai commencé à croire que je n’étais pas digne d’être aimée. C'est comme essayer de se souvenir de la première fois où j'ai su faire la différence entre le bien et le mal ou les jours de la semaine. Tout ce que je sais, c'est que je ne me souviens pas avoir déjà ressenti le besoin de le remettre en question jusqu'au moment, quelques décennies plus tard, où les cloisons de mon monde intérieur ont éclaté, projetant des pensées et des croyances que j'avais entretenues pendant des années à la loupe.
Avec mon thérapeute, nous essayions de comprendre ensemble pourquoi, par un matin d'hiver froid et humide, j'étais sortie de mon appartement sans manteau, avec de la mousse de savon dans les cheveux, fermant ainsi la porte derrière moi d'une relation que je croyais - ou espérais - éternelle. Mais comment donner un sens à l'incompréhensible ? Pourquoi avais-je passé deux ans à mentir à tout le monde dans ma vie ?
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Je suis partie quand il est devenu clair que c'était soit moi qui survivrait, soit la relation. J'avais épuisé toutes les autres possibilités. Ce n'était pas tant une décision mais plutôt un instinct. Je suis convaincue que si j'étais restée ne serait-ce qu'un jour de plus, je n'aurais jamais retrouvé mon chemin.
Les gens me demandent souvent pourquoi je suis restée si longtemps dans un environnement qui était clairement si abusif. La vérité, c'est que je ne savais pas qu'il l'était. Lorsque vous vous engagez dans une relation en croyant que vous n'êtes pas digne d'être aimée, vous avez tendance à penser que vous méritez tout ce qui vous arrive. L'abus devient normal pour vous. Pourquoi me traiterait-on avec respect ou gentillesse alors qu'il est évident que je ne le mérite pas ? Quand j'étais clairement si difficile à aimer ? Je suppose que l'on peut appeler cela une forme de syndrome de l'imposteur - j'avais dupé quelqu'un pour qu'il m'aime et j'étais terrifiée à l'idée d'être découverte. Le fait de partir me donnait l'impression d'avoir le choix entre rester seule pour toujours ou être malade mentalement. "Tu ne trouveras jamais quelqu'un d'autre qui t'aime", ont été les derniers mots de mon ex lorsque j'ai fermé la porte. "Tu es destinée à être seule".
Une partie de ce qu'il a dit s'est avérée vraie : j'étais destinée à être seule, au moins pendant quelques années. J'avais besoin de chaque seconde de ce temps pour faire le point sur ce qui s'était passé, pour comprendre le rôle que j'avais joué et - espérons-le - pour pouvoir travailler à un avenir plus positif. Selon Ammanda Major, conseillère en relations, sexothérapeute et responsable de la pratique clinique chez Relate, il n'y a pas de temps déterminé pour guérir d'un abus et le rétablissement est différent pour chacun·e. "Pour certaines personnes, se lancer dans une nouvelle relation peut faire partie du processus de cicatrisation", explique-t-elle. "Pour d'autres, prendre le temps de s'auto-guérir est important".
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Je craquais pour des personnes qui ne le méritaient pas, essayant de contourner la difficile tâche de m'aimer en me servant du désir ou de l'admiration d'autrui comme d'une procuration. Cela ne fonctionnait jamais.

La première année, je ne voulais plus entendre parler de dates. Comment pourrais-je un jour faire à nouveau confiance à quelqu'un ? "Ce qu'il faut comprendre, c'est que la faute incombe toujours à la personne abusive", explique Ammanda, "mais il faut parfois du temps à une victime pour l'accepter". Il y a une logique tordue qui tend à exister dans une relation abusive, où la victime est blâmée pour tout ce qui va mal - par elle-même et par la personne abusive. Dans mon cas, l'idée de sortir avec quelqu'un d'autre au début me semblait futile. Regardez ce que j'avais fait à ma dernière relation. Cela allait sûrement se reproduire.
Lorsque j'ai replongé mon orteil dans le monde du dating, j'ai eu l'impression qu'il me manquait une épaisseur de peau. Tout semblait plus intense : les hauts, les bas, les attirances et les répulsions. Je craquais pour des personnes qui ne le méritaient pas, essayant de contourner la difficile tâche de m'aimer en me servant du désir ou de l'admiration d'autrui comme d'une procuration. Cela ne fonctionnait jamais. Et quand les choses tournaient mal, je rentrais dans ma coquille, jurant de ne plus jamais sortir avec quelqu'un.
Avec le recul, je me rends compte que tout cela faisait partie du processus d'acceptation de la façon dont j'avais été traitée. Il m'a fallu beaucoup de temps pour accepter que j'avais été abusée - en partie, je pense, parce que j'avais beaucoup de mal à m'identifier à la notion de victime. Il m'a fallu des centaines d'heures de thérapie et des appels téléphoniques nocturnes angoissés avec mes ami·e·s et ma famille (très patient·e·s) avant de pouvoir accepter que mes sentiments de responsabilité faisaient autant partie de l'abus que les attaques plus directes sur ma personne et les tentatives de m'isoler des personnes de ma vie qui se souciaient vraiment de moi.
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Peu de temps après, je suis tombée au fond du trou d'Internet, à la recherche d'abus et de témoignages de victimes et de survivant·e·s. Cela a commencé par quelques articles ici et là, jusqu'à ce que je lise cinq livres et tous les liens des 100 premières pages de Google. J'étais une bibliothèque ambulante de la terminologie des abus et j'ai rapidement commencé à les voir partout. Soudain, tout le monde faisait du gaslighting. Tout le monde faisait du love-bombing. Personne ne faisait respecter des limites saines. "Démêler le processus par lequel les partenaires abusifs opèrent peut aider les victimes à y trouver un sens", explique Ammanda, "mais cela peut aussi vous rendre hypervigilant aux menaces et effrayé de faire confiance aux gens - ce sont toutes des réactions normales". J'ai fini par rester bloquée, incapable d'aller de l'avant face au besoin de me protéger des menaces qui se présentaient, et j'ai reçu un diagnostic de TOC post-traumatique. Ce diagnostic m'a aidé à faire preuve de plus de compassion et de patience dans mon processus de guérison.

Avoir confiance dans le fait que quelque chose pourrait être différent peut être une étape énorme. Cela peut être un tournant pour beaucoup.

Ammanda Major, Relate
Au cours des années qui ont suivi ma rupture avec mon ex, j'ai oscillé entre l'optimisme et la peur, l'un me poussant en avant et l'autre me tirant en arrière. Lorsque j'ai commencé à dater, je me suis souvent retrouvée dans des aventures intenses qui se terminaient rapidement. Je pense que c'était une forme d'autodéfense : je choisissais des personnes qui n'étaient pas disponibles sur le plan émotionnel pour ne jamais avoir à leur montrer ma vulnérabilité, sinon je les repoussais inconsciemment par un comportement erratique et intense. Il y a eu quelques points positifs et une personne en particulier à qui je me suis ouverte et qui était incroyablement attentionnée, mais qui n'était tout simplement pas prête pour quelque chose de sérieux. Nous sommes restés en contact.
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Des années plus tard, enfermée seule à la maison pendant la première vague de la pandémie, j'ai eu un moment de prise de conscience où toutes les heures de thérapie, d'auto-soins et de guérison se sont conjuguées. Je venais d'être maltraitée par un autre homme qui, à bien des égards, ressemblait à mon ex, et j'ai soudain pensé : "Qu'est-ce que je fais ? Je ne mérite pas ça". J'ai bloqué le gars et j'ai juré de changer de disque. Ce n'est pas de ma faute si j'ai été abusée. Je n'étais pas indigne d'être aimée ; je ne le suis pas non plus aujourd'hui et ne l'ai jamais été. Le fait d'y croire - d'y croire vraiment, profondément - m'a aidée à fixer de nouvelles limites et attentes, et j'ai même commencé à reprendre espoir. "Avoir confiance dans le fait que quelque chose pourrait être différent peut être une étape énorme", m'explique Ammanda. "Cela peut être un tournant pour beaucoup".
Peu de temps après, j'ai rencontré mon nouveau partenaire. Dès le premier jour, les choses ont changé - j'étais différente. Convaincue que j'étais digne d'être aimée et n'ayant plus peur d'être seule, j'ai pu laisser tomber ma peur et faire confiance à mes propres limites, sachant que quoi qu'il arrive, tout irait bien.
"Il n'y a pas de remède pour se rétablir d'une relation", explique Ammanda. "Ce qui fonctionne pour une personne ne fonctionne pas pour une autre, mais une combinaison de soutien professionnel et de soutien des personnes qui vous entourent, ainsi que du temps et de l'espace pour comprendre l'impact sur vous émotionnellement, sexuellement, physiquement et (parfois) financièrement est crucial".
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"Pour certaines personnes, le fait d'entamer une nouvelle relation plus saine peut s'avérer très bénéfique", explique-t-elle, et c'est là que je me trouve actuellement. Cela n'a pas été sans problème. J'ai eu du mal à accepter les attentions, la compassion et la bienveillance de mon petit ami, sans craindre les inévitables répercussions ou le besoin de lui rendre la pareille. Depuis le début, nous avons parlé clairement et ouvertement de ce qui m'est arrivé et nous prenons l'habitude de faire le point une fois par mois pour voir comment les choses se passent. Il me fait sentir facile à aimer tous les jours. Il ne remplace pas ma propre estime de soi, mais cela aide certainement de me le rappeler.  
Non pas que j'attribue à mon partenaire le mérite de mon rétablissement - c'est moi qui l'ai fait (avec le soutien de personnes incroyables). Mais je me surprends chaque jour à me dire que, pour la première fois de ma vie, je suis complètement et totalement amoureuse et que je n'ai pas peur. Parce que je sais maintenant que, quoi qu'il arrive, je serai toujours de mon côté. Je ne m'abandonnerai plus jamais. Comme ma mère le dit toujours, tout le reste n'est que du plus : pas nécessaire, mais sympa quand même.
Si vous, ou l'un·e de vos proches, êtes victime d'une relation abusive, rendez-vous sur le site Solidarité Femmes pour plus d'informations et de ressources ou appeler le 3919, le numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences.
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