L'idée derrière cet article me vient d'un mail. « Le Palo Santo ou la nouvelle sensation de l'industrie de la parfumerie ». J'étais propulsée des années en arrière. Cette tendance n'avait rien de nouveau pour moi. Le Palo Santo, un bois issu de l'arbre Bursera graveolens et originaire d'Amérique latine, faisait maintenant parler de lui dans le reste du monde. Cette même écorce résineuse qui avait marqué mon enfance.
Au cours des semaines qui ont suivies, le phénomène s'est exacerbé. Je n'arrêtais pas de tomber sur des communiqués de presse ou de la pub, qui parlaient du Palo Santo comme d'un bois « de luxe » « énergisant » et « exotique ». J'imaginais ce qu'en dirait ma grand-mère : « Ay mi hija, que te puedo decir ». Elle serait agacée, comme moi, peut-être même plus.
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Car pour nous qui venons d'Amérique du Sud, allumer un bâton de Palo Santo est un vrai rituel. Son nom déjà signifie « bois sacré », et son usage remonte à l'empire inca. A l'époque, le Palo Santo était indispensable à la tenue de cérémonies spirituelles et à la médecine traditionnelle. 500 ans plus tard, le Palo Santo est toujours utilisé en Amérique centrale et latine ainsi que par les communautés latino, que ce soit pour purifier l'air, se libérer des mauvaises énergies (ou mala energia) ou éloigner les moustiques ; qui sont bien les seuls à ne pas apprécier son odeur délicieuse.
Mon histoire avec le Palo Santo remonte à l'enfance. Je me souviens que quand ma grand-mère nettoyait la maison le week-end, elle ne manquait jamais d'allumer un bâton de Palo Santo. Pour elle, son ménage n'était terminé que lorsqu'elle avait désodorisé la maison avec, passant d'une pièce à l'autre avec son petit morceau de bois incandescent.
Et même si j'en plaisantais à l'époque, avec le temps j'ai fini par développer une sorte d'admiration pour la spiritualité de ma grand-mère. Ça a aussi permis de créer une sorte de connexion entre nous, comme quand elle s'est rendue pour la première fois dans l'appartement que je partage avec mon copain pour « bénir » les lieux. Je l'ai vu s'activer dans chaque pièce avec son petit bâton de Palo Santo et ses statuettes du petit Jésus placées dans la cuisine et la salle de travail. C'était sa manière à elle de me dire qu'elle m'aimait et qu'elle serait toujours avec moi.
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Pas étonnant donc que quelqu'un qui a grandi avec ce rituel se sente légèrement insulté par ce phénomène de mode. « Ça ne devrait pas être quelque chose qu'on achète dans un rayon de supermarché. » nous dit Cindy. Y Rodriguez, fondatrice d'un programme de retraite spirituelle pour les femmes de couleur. « Encore un bel exemple d'appropriation culturelle. Le Palo Santo, que ma famille originaire du Pérou utilisait discrètement aux Etats-Unis - pour ne pas subir le racisme, le jugement des autres ou l'exclusion - est maintenant à la mode. Quelle grosse claque ! »
A chaque fois que Cindy entend parler de Palo Santo ailleurs que dans sa communauté, elle cherche à savoir si les gens connaissent son histoire et sa dimension sacrée. Autre question primordiale : savoir s'il a été produit de manière éthique. Car en plus de ternir la tradition, on met aussi en danger ses conditions de production.
Le Bursera graveolens ne peut être récolté qu'après sa mort (naturelle), qui peut prendre toute une décennie. Les initiés le savent : il est strictement interdit de le couper de son vivant. Maintenant que le marché est florissant, les pratiques illégales qui consistent à couper ou déraciner l'arbre pour en extraire son huile font monnaie courante. Or, cela n'a plus rien à voir avec la tradition du Palo Santo.
Sandra Manay, qui a fondé la boutique Luna Sundara spécialisée dans la vente de produits traditionnels venus du Pérou et d'Equateurs, nous dit que pour économiser sur les coûts de productions, les entreprises ignorent de plus en plus le cahier des charges. On ne veut ni payer de taxes, ni réaliser de travaux d'inspections, ce qui est parfaitement illégal. Et d'après Sandra, qui est née au Pérou, c'est de pire en pire. Son entreprise quant à elle met un point d'honneur à exporter ses matières premières en respectant les règles de l'art de l'extraction du bois de Bursera graveolens, en garantissant de bonnes conditions de travail aux artisans et en protégeant les communautés indigènes environnantes. « Je demande aux gens s'ils sont payés correctement, combien d'heures ils travaillent par jour et si les femmes sont aussi autorisées à travailler. »
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Il faut aussi citer Rahua, une marque de cosmétiques qui propose des parfums aux extraits de Palo Santo. A sa tête, on retrouve Anna Ayers ( du sud des Etats-Unis) et Fabian Lliguin (originaire d'Equateur). Tous deux accordent une place de choix au développement durable et au commerce équitable, avec la participation de communautés locales qui replantent les arbres utilisés pour la production du Palo Santo. On veille aussi à ce que les Indigènes qui protègent la forêt vierge soit payés au dessus des normes du commerce équitable, pour les aider à diversifier leur économie.
« Pour nous, tout recours à un ingrédient suppose de se renseigner sur ses conditions de production, surtout quand il s'agit d'un produit aussi chargé de sens que le Palo Santo. On veut honorer le produit et faire en sorte qu'il ne disparaisse jamais par notre faute » nous dit Anna. « On fait vraiment le maximum. Ce serait bien que plus d'entreprises adoptent cette démarche . »
Comme le disent très bien Anna et Fabian, assurer de bonnes conditions de production ne suffit pas. L'autre dimension à prendre en compte, c'est la valeur symbolique de la marchandise. C'est prendre connaissance et honorer la signification que revêt le Palo Santo pour les communautés issues d'Amérique latine. « C'est bien beau d'allumer un bâton de Palo Santo, mais qu'en est-il de la tradition, qui parle des pratiques anciennes et des Indigènes ? » s'interroge Rodriguez.
Leah Guerrero, qui a grandi avec la double culture équatorienne et américaine, fabrique aujourd'hui des produits de beauté aux essences de Palo Santo. Elle nous dit faire des dons réguliers à des associations comme la Nature and Culture International, une organisation qui travaille main dans la main avec les communautés indigènes pour préserver les écosystèmes présents en Amérique latine. « Le problème, ce n'est pas uniquement le fait que ces communautés soient exploitées, mais c'est qu'on ne parle pas d'eux. On ne parle pas du Palo Santo comme il faudrait. »
Un erratum qui surprend peu, et surtout pas ma grand-mère. « Les gens feraient n'importe quoi pour quelques centavos (centimes) aujourd'hui. » me dira-t'elle dit en espagnol. Sandra, qui se souvient manger du quinoa au petit-déjeûner quand elle était petite, me dit que le prix a triplé depuis. Elle espère que le Palo Santo ne connaîtra pas le même sort. "Je ne veux pas que les gens perçoivent le Palo Santo comme une pompe à fric, " dira l'entrepreneure, qui incite ses consommateurs à faire leur recherche, comparer les produits et exiger des garanties sur les conditions de production du produit.
Finalement, la signification du Palo Santo dépasse largement celle que veut bien lui donner le marketing. « C'est un bois sacré qui fait partie intégrante de notre histoire, pas un produit miracle qui fait se sentir bien, » dira Cindy. « C'est moche d'annexer notre patrimoine pour vous remplir les poches. C'est soit on raconte toute l'histoire, soit on ne le raconte pas. »
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