L'idée que les traumatismes peuvent être transmis de génération en génération est assez récente. C'est en 1966 que le concept de traumatisme intergénérationnel a été reconnu pour la première fois, lorsque des psychologues ont commencé à étudier les enfants et les petits-enfants de personnes ayant survécu à l'Holocauste. Une étude de 1988 a révélé que les petits-enfants des survivants de l'Holocauste étaient surreprésentés d'environ 300 % dans les consultations psychiatriques. Les chercheurs ont alors émis l'hypothèse que les effets des traumatismes peuvent être transférés d'une génération à l'autre.
Ce phénomène est également connu sous le nom de traumatisme transgénérationnel et, lorsqu'il fait référence à une expérience partagée par un groupe de personnes, comme les Noir·es ou les réfugiés, il peut être appelé traumatisme historique.
PublicitéPUBLICITÉ
Il est particulièrement pertinent en ce moment. Des milliers de personnes descendent dans les rues pour protester contre le meurtre brutal par la police de George Floyd, un Noir désarmé - pour ensuite être exposées à des gaz lacrymogènes et à des balles en caoutchouc, et être traitées de voyous dans un tweet par le président des États-Unis. Ce n'est là que le dernier exemple d'un héritage de racisme vieux des centaines d'années.
Nous avons demandé à Mariel Buquè, thérapeute spécialisée en traumatologie, d'expliquer comment fonctionne le traumatisme intergénérationnel - et ce qui peut être fait pour en guérir.
Comment les traumatismes peuvent-ils être transmis entre les générations ?
Il existe des données indiquant que les traumatismes peuvent altérer les gènes ; si cela est vrai, ces variations génétiques pourraient alors être transmises d'une génération à l'autre, ce qui prédisposerait les personnes concernées à être plus vulnérables aux traumatismes et aux facteurs de stress qui peuvent survenir. Les traumatismes peuvent également être transmis par le comportement : l'enfant d'une personne souffrant de stress post-traumatique pourrait apprendre et intérioriser certaines attitudes de ses parents.
Comment le stress traumatique lié au racisme provoque-t-il des traumatismes intergénérationnels ?
"Les vies des Noirs ont été attaquées depuis qu'ils ont mis le pied aux États-Unis, et bien au-delà des États-Unis ; c'est un phénomène mondial et une épidémie qui dure depuis des centaines et des centaines d'années", explique Buquè.
En plus des éventuelles modifications génétiques dont ils ont peut-être hérité de parents et de grands-parents traumatisés, les Noirs américains sont également confrontés à des sources de traumatismes psychologiques et sociales qui se transmettent d'une génération à l'autre.
PublicitéPUBLICITÉ
"Leurs parents ou grands-parents ont peut-être raconté comment leurs proches ont survécu à l'ère des lois Jim Crow (une série de lois, qui constituaient l'un des éléments majeurs de la ségrégation raciale aux États-Unis, qui distinguaient les citoyens selon leur appartenance ethnique), des récits marqués par la terreur et la peur de la communauté raciale", précise Buquè. "Il y a beaucoup de messages qui sont transmis dès le plus jeune âge et qui font croire aux Noirs que le monde est un endroit menaçant, et c'est le cas. Mais quand on est enfant et qu'on essaie encore de comprendre sa place dans le monde, être inondé de ces messages - qui sont protecteurs à bien des égards - peut tout de même être traumatisant", souligne Buquè.
Cela s'inscrit dans ce que les psychologues appellent le modèle biopsychosocial, qui examine comment les facteurs biologiques, psychologiques et socio-environnementaux sont interconnectés.
Ce type de stress traumatique basé sur le racisme n'est toujours pas reconnu comme un critère de diagnostic dans le monde psychiatrique - bien que depuis une dizaine d'années, de nombreuses études attestent de son existence, note Buquè. "La raison en est que les personnes qui créent les codes de diagnostic ne sont pas, pour la plupart, des personnes qui nous ressemblent", explique-t-elle. "Il semble qu'il n'y ait pas une seule personne pour dire que nous devons tenir compte des expériences des personnes noires et racisées, et de la façon dont celles-ci produisent un type très spécifique de stress : un stress traumatique basé sur les origines ethniques et qui présente les marqueurs du syndrome de stress post-traumatique, tels que l'hyper-vigilance, l’hyper-excitation, les pensées intrusives et les troubles du sommeil".
PublicitéPUBLICITÉ
Comment les traumatismes intergénérationnels peuvent-ils être soignés ?
La première étape pour traiter ce type de traumatisme est de comprendre les facteurs déclenchants et les symptômes. Compte tenu de la nature des traumatismes historiques, ceux-ci sont probablement différents pour chaque personne.
Buquè donne cet exemple : une personne noire peut donner beaucoup de son énergie lors d'une réunion pour faire passer un message d'inclusion. Une fois le travail terminé, cette personne se sent lourde. Elle n'a pas d'appétit. Elle ne se sent pas ancrée. Mais il se peut que cette personne ne soit pas capable de faire le lien entre le travail émotionnel qu'elle vient d'accomplir et ses symptômes.
"Il est très important pour nous de connaître les facteurs déclenchants et les marqueurs psychologiques, de savoir à quoi ressemble un traumatisme", explique Buquè. Elle recommande des méthodes de pleine conscience, qui aident les individus à prendre conscience de la zone de leur corps où se situe le traumatisme. Ce type de travail peut être effectué avec un professionnel de la santé mentale ou seul·e, dit-elle, ajoutant : "Comprendre les origines d’un traumatisme spécifique peut être très enrichissant pour les personnes en souffrant, et peut être le tout début d'un processus de guérison visant à briser le cycle du traumatisme pour les générations à venir".
Comment aider un·e ami·e à surmonter un traumatisme intergénérationnel ?
"La chose la plus importante à garder à l'esprit pour les individus noirs et les personnes racisées en général, c’est l’absence d’un sentiment de sécurité. On peut donc se demander à quoi peut ressembler la sécurité ou un lieu refuge pour la personne qui subit un traumatisme", explique Buquè. Efforcez-vous d'être une source de protection et de refuge.
"Une chose qu'il est essentiel de prendre en considération, c'est de prendre davantage conscience du fardeau supplémentaire que doivent porter les personnes noires", ajoute Buquè. "Il arrive souvent que des personnes blanches pleines de bonnes intentions et de bienveillance, dont je sais qu'elles se soucient vraiment de moi, fassent des remarques sur la culpabilité des Blancs ou expriment qu'ils ne savent pas quoi faire. Il existe de nombreuses ressources autour de la notion “d'allyship” et de solidarité active. Ce que je recommande, c'est de faire des recherches, plutôt que de faire porter le fardeau de leur propre culpabilité et de leur honte à une personne qui souffre déjà et qui est traumatisée".
PublicitéPUBLICITÉ