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Fertilité : devrait-on congeler nos ovocytes ?

Photographed by Daantje Bons
À 32 ans, Ali, responsable marketing et qui habite dans le sud-est de l'Angleterre, a mis fin à sa relation de 6 ans avec son petit ami. "J'avais le sentiment tenace que l'horloge tournait et je m'inquiétais du temps qu'il me restait pour rencontrer la bonne personne et fonder une famille", se souvient-elle aujourd'hui, âgée de 35 ans. Ses paroles toucheront une corde sensible, primaire et émotionnelle chez toute femme, célibataire ou non. Car le rapport que nous entretenons tou·tes·s, que cela nous plaise ou non, est celui de notre propre fécondité.
Un an après cette rupture, sachant que sa mère et sa grand-mère avaient toutes deux connu la ménopause à un âge exceptionnellement précoce, Ali a décidé de congeler ses ovocytes dans une clinique à Maidenhead. Cela lui a coûté 5 000 £ (5 513 €) au total. Elle avait économisé pendant trois mois et a ensuite été licenciée, ce qu'elle décrit comme "une bénédiction déguisée", car elle a trouvé un nouvel emploi très rapidement et a pu consacrer son salaire à la procédure.
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Ali, qui est maintenant dans une nouvelle relation, pense que la congélation de ses ovocytes a changé le cours de sa vie. "Si je n'avais pas fait cela", dit-elle avec insistance, "ma fertilité m'aurait peut-être poussée à avoir une famille avec quelqu'un qui ne me convenait pas, au lieu de sortir de cette relation. Le fait de savoir que mes ovocytes sont congelés supprime une partie de la pression immédiate et vous donne le sentiment de mieux maîtriser votre avenir. Vous avez fait tout ce que vous pouviez, et cela a quelque chose de très rassurant".
La congélation d'ovocytes est une procédure intensive qui consiste à s'injecter des hormones pendant environ 10 jours avant une opération qui se fait sous anesthésie pour récupérer les ovocytes. Au cours d'un cycle d'ovulation classique, une femme produit un ovocyte. Les hormones administrées au cours de ce processus stimulent les ovaires de manière à ce qu'ils produisent plusieurs ovocytes. Au Royaume-Uni, cette possibilité n'est offerte aux filles et aux femmes que pour des raisons médicales (par exemple, si quelqu'un est sur le point de subir une opération ou un traitement qui pourrait les rendre stériles, comme la chimiothérapie). En France, la règle est la même et est aussi autorisée pour les femmes faisant don de leurs ovocytes. C'est pourquoi beaucoup de Français·es se rendent dans d'autres pays pour avoir recourt à cette solution. Mais, depuis l'adoption du projet de loi de bioéthique par l'Assemblée nationale en juillet dernier, la vitrification des ovocytes va s'élargir en France à toutes les femmes. Il faudra cependant attendre, au mieux, le début de l'année 2021 avant que celle-ci ne soit appliquée.
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Des données récentes de la Human Fertilisation & Embryology Authority (HFEA) montrent que le nombre de cycles de stockage des ovocytes a augmenté rapidement, passant de 1 500 cycles en 2013 à un peu moins de 9 000 en 2018.

Au Royaume-Uni, comme beaucoup d'autres pays européens, si vous voulez faire congeler vos ovocytes parce que vous n'êtes pas en couple ou que vous n'êtes pas prêt·e à avoir des enfants, vous devez payer pour que cela devienne possible. Certaines personnes appellent cela une congélation des ovocytes pour des raisons "sociales". Cependant, Lisa Webber, gynécologue consultante et sous-spécialiste en médecine reproductive au St Mary's Hospital Imperial College Healthcare NHS Trust, explique qu'elle préfère appeler cette congélation des ovocytes "non-médicale" ou "élective". Cette pratique n'a cessé d'augmenter ces dernières années, comme l'explique le professeur Adam Balen, consultant en médecine reproductive au Leeds Teaching Hospitals NHS Trust et porte-parole du Royal College of Obstetricians and Gynaecologists (RCOG). "Des données récentes de la Human Fertilisation & Embryology Authority (HFEA) montrent que le nombre de cycles de stockage des ovocytes a augmenté rapidement, passant de 1 500 cycles en 2013 à un peu moins de 9 000 en 2018". Il s'agit d'une augmentation stupéfiante de 523 %, ce qui signifie que le nombre de femmes qui congèlent leurs ovocytes a été multiplié par cinq.
Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi cela se produit. Lors d'une récente excursion entre filles avant le deuxième confinement, la question de savoir s'il fallait ou non se lancer dans la congélation d'ovocytes était un sujet de conversation quotidien. Nous étions toutes les cinq au début de la trentaine, travaillant à plein temps dans nos carrières et, quel que soit notre statut relationnel, ni financièrement ni émotionnellement prêtes à fonder une famille. Rien d'étonnant quand on sait que l'âge moyen auquel les femmes et les hommes ont leur premier enfant a augmenté au cours des dernières décennies. Il existe de nombreuses explications à ce phénomène. Nous disposons de moyens de contraception qui nous donnent une autonomie de reproduction, les femmes sont désormais présentes dans l'enseignement supérieur et sur le marché du travail et, en général, nous nous prenons notre indépendance plus tard. Ce qui peut s'expliquer, du moins en partie, par le fait qu'un nombre record de jeunes vivent plus longtemps chez leurs parents parce que le coût de la vie, et notamment du logement, a augmenté de façon spectaculaire au-delà des salaires depuis une dizaine d'années. Dans ce contexte socio-économique, la congélation d'ovocytes est devenue incontournable dans plusieurs pays, car si l'âge adulte peut paraître différent pour les jeunes, la fécondité des hommes et des femmes continue de décliner avec l'âge. C'est pourquoi certains employeurs, en particulier les entreprises technologiques d'avenir comme Google, Facebook et Apple, proposent à leurs salarié·e·s cette procédure comme un "avantage".
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Selon Adam, chez nos voisins outre-Manche, le coût moyen de la congélation d'ovocytes est de 3 500 £ (3 850 €), avec un supplément de 700 à 2 000 £ (770 à 2200 €) pour les médicaments. De plus, il y a un coût annuel de 125 £ (140 €) et 350 £ (390 €) pour le stockage des ovocytes (environ 390 à 550 €). La décongélation d'ovocytes et leur transfert dans l'utérus coûtent en moyenne 2 500 £ (2 760 €). Au total, l'ensemble du processus de congélation et de décongélation d'ovocytes coûte donc en moyenne entre 7 000 et 9 000 £ (7 730 € et 9 940 €). En France, jusqu'à aujourd'hui, il faut compter entre 2 000 et 3 000 € de la stimulation ovarienne à la congélation pour quatre ans. À partir de la cinquième année, il faut rajouter 250 € par an pour maintenir les ovocytes préservés. Cette procédure sera désormais remboursée 100 % par l’Assurance maladie lorsqu’elle est réalisée dans des centres publics ou privés à but non lucratif.
Pour les femmes qui ont les moyens de payer - comme Ali - ou qui s'évertuent à trouver l'argent nécessaire - comme Ruth, 36 ans, infirmière du NHS, qui est récemment passée par là - exploiter la technologie médicale pour congeler quelques ovocytes semble être une façon de reprendre le pouvoir entre leurs mains. "C'est comme une 'police d'assurance' coûteuse", explique-t-elle au téléphone après une garde de 12 heures. "Je me sens mieux maintenant que c'est fait, même si mon sentiment général est que j'aurais aimé le faire plus tôt, car ils auraient peut-être alors pu prélever plus de cinq ovocytes". Ruth était incroyablement déçue de n'avoir pu prélever que cinq ovocytes, mais elle ne pouvait pas se permettre de recommencer.
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J'entends régulièrement les jeunes femmes qualifier la congélation d'ovocytes d'"assurance", mais ce n'est pas la panacée à notre biologie et à l'inégalité économique fondée sur le genre. "Le mot 'assurance' n'est vraiment pas le bon mot", explique Lisa, "J'encourage les personnes qui pensent à la congélation d'ovocytes à y réfléchir comme pour se donner une chance. Ce n'est pas une 'assurance' car les données montrent qu'il n'y a absolument aucune garantie que cela fonctionne à 100 %". Elle ajoute qu'elle est rigoureuse avec toutes les femmes qui viennent la voir alors qu'elles envisagent de congeler leurs ovocytes et renforce le fait que cela n'offre aucune garantie d'avoir un enfant.
Lisa me parle ensuite des données. Il y a en moyenne 70 à 80 % de chances que les ovocytes congelés survivent au processus de décongélation, cette probabilité étant plus élevée lorsque les femmes ont moins de 35 ans que lorsqu'elles sont plus âgées. Elle note que l'âge est également un facteur de réussite si les ovocytes congelés survivent au processus de décongélation. La possibilité d'avoir une naissance vivante à partir d'ovocytes congelés est directement liée à l'âge de la femme au moment du prélèvement. Si l'on exclut les grossesses résultant de tout embryon supplémentaire créé à partir du lot d'ovocytes, on estime qu'il est de 28 % pour les moins de 35 ans, de 23,5 % pour les 35-37 ans, de 18 % pour les 38-39 ans, de 11 % pour les 40-42 ans et de 4 % pour les 43-44 ans.
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La probabilité totale d'une naissance vivante à partir d'un lot d'ovocytes dépend également du nombre d'ovocytes récoltés et du nombre d'embryons créés : c'est ce que l'on appelle le taux cumulé de naissances vivantes. Ainsi, une femme de moins de 35 ans qui a collecté 10 ovocytes aura 60 à 70 % de chances d'avoir une naissance vivante car elle peut subir plusieurs cycles de transfert d'embryons. Toutefois, une femme de plus de 35 ans qui a collecté le même nombre d'ovocytes aura 30 % de chances d'avoir un enfant.
Un autre gros problème, note Lisa, est celui des données elles-mêmes. Les statistiques publiées font souvent référence à des ovocytes qui ont été congelés il y a des années, avant que la technologie de congélation ne s'améliore. Depuis lors, des milliers d'ovocytes ont été congelés et ne sont pas encore utilisés, de sorte que les statistiques publiées ne sont pas encore disponibles. "La façon dont les ovocytes sont congelés peut varier", explique Lisa. "Ils étaient auparavant congelés par un processus de congélation dite 'lente' et maintenant la plupart des cliniques utilisent la vitrification. Ainsi, le moment où les données ont été recueillies et le type de méthodes utilisées pour la congélation d'ovocytes ont un impact sur leur fiabilité".

Au Royaume-Uni, le coût moyen de la congélation d'ovocytes est de 3 500 £ (3 850 €), avec un supplément de 700 à 2 000 £ (770 à 2200 €) pour les médicaments.

La question que les femmes se posent souvent, ainsi qu'à leurs ami·e·s et aux professionnels de santé, est de savoir quel est, le cas échéant, l'âge idéal pour congeler ses ovocytes. Lisa note que plus vous êtes jeune, mieux c'est, mais ajoute que, bien sûr, de nombreuses femmes ne peuvent pas se permettre de le faire dans la vingtaine et que plus vous êtes jeune, plus vous avez de chances de rencontrer un·e partenaire et d'avoir un bébé naturellement. La France a également fixé une limite de dix ans pour les ovocytes congelés, de sorte que, par exemple, si vous passez par cette procédure à 22 ans, vos ovocytes ne seront disponibles que jusqu'à 32 ans. La même règle s'applique au Royaume-Uni, cependant le RCOG demande que cette limite soit étendue pour offrir plus de possibilités aux femmes.
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Il y a donc certainement des questions éthiques à se poser sur les cliniques privées qui profitent de la biologie des femmes. Il n'existe pas de chiffre officiel sur la valeur de cette industrie au Royaume-Uni, mais comme les femmes paient des milliers de livres pour un cycle de traitement au minimum, il est juste de dire que c'est une activité lucrative.
Adam déclare : "Alors que certains spécialistes suggèrent que si une femme n'a pas eu de bébé à l'âge de 37 ans, elle devrait faire congeler ses ovocytes, cela représente une démarche trop poussée et les femmes doivent être informées des résultats possibles - car la technologie ne garantit pas un bébé et exige qu'une femme passe par un cycle de FIV, ce qui n'est pas une mince affaire".
Julia, une graphiste de 33 ans, a récemment connu un certain succès lors de sa collecte de congélation d'ovocytes qu'elle a décidé, comme Ali, d'entreprendre un an après avoir mis fin à une importante relation à long terme. Elle a payé 5 000 £ (5 538 €) et ils ont réussi à obtenir 10 ovocytes adaptés à la congélation. Pourtant, elle n'est que trop consciente de cette épée à double tranchant. "J'ai l'impression qu'il s'agissait moins de payer pour ma fertilité que de payer pour ma tranquillité d'esprit", explique-t-elle. "Je sais que la congélation de mes ovocytes ne garantit pas que j'aurais un bébé à l'avenir, mais cela me rend plus confiante. Je pense que toutes les femmes devraient y avoir accès. La fertilité des femmes est tellement mystifiée et de nombreuses femmes dans la vingtaine et la trentaine n'en ont aucune idée avant de commencer à essayer de concevoir, et il est alors peut-être trop tard. Je ressens une certaine force en sachant quelle est ma situation".
Voilà le hic. Je ne sais pas pour vous, mais j'entends rarement les hommes dire "j'ai perdu des années avec…" après une rupture. Pourtant, la fertilité des hommes diminue aussi avec l'âge. Quel que soit le chemin parcouru, les femmes sont toujours hantées par une horloge biologique invisible mais incontournable, qui plane sur nous en faisant 'tic-tac' chaque fois que nous prenons une décision concernant une relation ou une carrière. Les hommes sont également impliqués dans cette discussion, mais nous sommes généralement les seules à la mener. Il n'est pas surprenant que plus d'une personne ait repéré une opportunité de business dans ce domaine et qu'un nombre croissant de femmes qui souhaitent avoir le sentiment de pouvoir agir, d'être autonomes et, surtout, d'avoir des options, sont prêtes à payer si cela leur donne le sentiment de pouvoir gagner du temps.
Janet Lindsay, directrice générale de l'organisation caritative de recherche sur la santé des femmes, Wellbeing of Women, le formule peut-être le mieux. "Nous soutenons la décision d'une femme de prendre en main sa santé reproductive et de préserver sa fertilité dans la mesure du possible, mais il est important de reconnaître que la congélation d'ovocytes 'non médicale' n'est pas la 'police d'assurance' qu'on lui prête parfois. La congélation d'ovocytes sociale ne doit pas être considérée comme la solution miracle de la société pour ce qui est du déclin naturel de la fertilité au cours de la vie d'une femme".

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