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Quand la question du (non) désir d’enfants s’invite au premier date

Photographie : Refinery29.
Nos vies vont à cent à l'heure.
On mange au fast-food, on se sape en fast-fashion et on s'attend à ce que nos achats se retrouvent sur le pas de notre porte en moins d'un jour ouvré. On prend un Uber parce que le métro, c'est bien trop lent. On change de boulot parce que notre carrière n'avance pas assez vite... La liste est longue.
Et il en va de même pour nos relations. Il fut un temps où, pour faire des rencontres, on devait galérer dans un bar, patauger dans un océan de dates improbables pour espérer tomber sur une personne acceptable. Maintenant, on a les applis de rencontre pour ça. Il suffit de jeter un coup d'œil aux photos et aux profils, de discuter juste assez pour savoir si ont est sur la même longueur d'onde avant de se rencontrer IRL. Comme ça on ne perd pas de temps.
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Et pourquoi s'arrêter en si bon chemin. En effet, des décisions de vie importantes - du genre de celles prises par deux personnes qui partagent des investissements immobiliers et des projets d'avenir - sont maintenant soumises à la conversation dès le premier rencard et, parfois, même avant. 
"Je suis allée à un premier rendez-vous avec un gars, il avait l'air assez sympa, alors on s'est revu. Nous étions chez moi, en train de boire du vin quand il m'a lancé "Ah, donc tu ne veux pas d'enfants ?" en réponse à un truc que j'avais dit", raconte Annie*, 31 ans, à R29. 
Naturellement, elle ne savait pas trop comment répondre. Ils venaient à peine de se rencontrer après tout.
"Je n'y avais pas vraiment réfléchi, et puis je venais à peine de le rencontrer", poursuit-elle. "Je ne veux pas avoir des enfants juste pour avoir des enfants, avec la première personne que je croise sur une appli de rencontre !"
"Est-ce que c'était pour savoir si j'étais sérieuse ou non ? Il m'a donné l'impression de ne voir que mon utérus et m'a jeté la question de ma fertilité au visage - j'essaie de ne pas trop y penser parce que faire des rencontres à 30 ans, c'est déjà assez stressant comme ça. Ça m'a vraiment secouée qu'il me pose cette question".
Une expérience singulière et intrusive qu'Annie ne voulait pas répéter. Jusqu'à ce que ça se reproduise avec un autre homme. 
"Il était plus jeune que moi de quelques années, et il semblait souffrir du syndrome de Peter Pan", explique-t-elle. "Je pense qu'il essayait de savoir si je cherchais un donneur de sperme ou si je voulais juste à passer du bon temps parce que je suis une meuf de 31 ans qui a une belle carrière et qui est propriétaire - peut-être qu'ils se disaient tous les deux que je cherchais juste un père pour mon bébé ?
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"Je suis allée à un premier rendez-vous avec un gars, il avait l'air assez sympa, alors je l'ai revu. Nous étions chez moi, en train de boire du vin quand il m'a lancé "Ah, donc tu ne veux pas d'enfants ?" en réponse à un truc que j'avais dit"

ANNIE, 31 ans
Pas besoin de se lancer de longues investigations pour découvrir qu'Annie est loin d'être la seule femme soumise à une analyse utérine si peu romantique dès le début d'une relation. 
Eve*, 37 ans, n'avait même pas rencontré son prétendant quand il lui a posé la question biologique.  
"Sur [l'application de rencontre] Hinge, vous pouvez cocher si vous voulez des enfants ou non sur votre profil, et j'ai coché que je n'en voulais pas. Les hommes m'en parlaient tout de suite et tout le temps.
J'ai eu pas mal de mecs qui m'ont demandé directement : "Alors, tu ne veux vraiment pas d'enfants ? Ma réponse est toujours la même : "Pourquoi tu poses la question ?" 
"Ça m'a surpis parce que je n'avais jamais été confrontée à ça auparavant. C'est seulement depuis que je me suis inscrite sur des applis de rencontres cette année. Je suis maintenant en fin de trentaine, donc peut-être qu'aux yeux d'un homme, il ne me reste plus que trois ans avant de fermer les portes de mon usine à bébés définitivement. C'est comme s'ils me faisaient passer un entretien au poste de mère de leurs mômes avant même d'avoir pris la peine d'apprendre à me connaître".

Pour Eve, qu'on lui pose sans cesse la question des enfants lui donne l'impression d'être vue "comme un animal" et "valorisée uniquement en raison de ses organes reproductifs". 

Eve, 37 ans
Pour Eve, qu'on lui pose sans cesse la question des enfants lui donne l'impression d'être vue "comme un animal " et "valorisée uniquement en raison de ses organes reproductifs". 
"C'est pire qu'un mec qui veut juste te baiser", ajoute-t-elle. "Au moins, ça, tu peux le comprendre. Il y a un certain niveau d'attirance. On n'est pas seulement 'interviewée' pour devenir une épouse ou une mère potentielle."
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Un grand nombre de femmes entre 25 et 40 ans avec qui Refinery29 s'est entretenu font état d'expériences similaires : un curieux manque à tous les protocoles habituels afin de déterminer quelque chose dont la plupart des couples discutent longuement après avoir passé plusieurs années ensemble. 
Ça ne veut pas dire qu'il s'agit d'un phénomène unilatéral et sexiste. Valeria, 35 ans, est depuis longtemps catégorique sur son souhait de ne pas vouloir d'enfants, et en parle souvent à ses partenaires avant même de les rencontrer. 
"Je ne voulais pas perdre mon temps à sortir avec quelqu'un qui pourrait finir par vouloir des enfants", dit-elle. 
"Je ne voulais pas tomber amoureuse et découvrir ensuite qu'on voyait les choses différemment et avoir le cœur brisé. Outre les conversations habituelles sur les goûts musicaux et les lieux où on aime sortir, je n'ai pas demandé grand-chose d'autre avant de rencontrer mon copain actuel, Tom.
"Il était tellement soulagé quand j'ai abordé la question des enfants parce qu'il n'en veut pas non plus, mais il ne savait pas comment m'en parler de peur de me décevoir".
Son habitude de dire très tôt aux hommes qu'elle ne compte pas avoir d'enfants n'a cependant pas toujours été très bien accueillie. 
"Au début, je me disais que c'était peut-être moi qui avais un problème, quelque chose de cassé, parce que je ne ressentais pas du tout l'instinct maternel et ça se remarquait", poursuit-elle.
"Après plusieurs mois de thérapie, j'ai commencé à me sentir plus sûre de moi. J'ai commencé à réaliser que je n'étais pas au service d'un homme. Ma mission ultime n'est pas de me trouver un mari sur qui mettre le grappin. J'ai alors commencé à vraiment prendre ma vie en main et j'ai rencontré beaucoup plus de gens qui ne voulaient pas d'enfants".
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C'est là que le bât blesse. La vérité est que, qu'une femme veuille des enfants ou non, il y a toujours un certain degré de pression et de jugement sociétal qui pèse sur ses épaules. 
Si vous voulez des enfants, on sous-entend que vous cherchez un "donneur de sperme", comme le dit Annie, une façon de "coincer" un homme. Mais vouloir être mère un jour revient-il à vouloir l'être maintenant et donc à ne pas avoir envie de s'amuser ? 
Si vous dites non aux enfants, il y a tout un autre champ de stigmatisation. Qu'est-ce qui ne va pas chez vous ? Êtes-vous une femme au cœur froid qui ne pense qu'à sa carrière ? Est-ce que ça fait de vous une compagne moins attentionnée ? Peut-être croquez-vous des hommes au petit-déjeuner ? Une vraie mante religieuse.
Et si vous n'êtes pas sûre ? Alors, il faut se décider, ma petite ! L'horloge tourne, ce n'est pas comme si vous aviez la vie devant vous. Combien d'années vous reste-t-il pour faire un bébé ? 
Le tic-tac de cette horloge biologique résonne dans nos vies, et les préjugés qui l'accompagnent ont la peau dure. 
Pour beaucoup d'entre nous, demander à quelqu'un s'il veut des enfants lors d'un premier rendez-vous, c'est complètement déplacé.

L'échange de banalité, c'est le carburant de l'interaction sociale, c'est un véhicule qui favorise l'engagement. C'est intuitif, une forme d'intelligence émotionnelle. Quand on rencontre quelqu'un, on commence d'abord par s'habituer à cette personne.

dr siobhan mccarthy
Le Dr Siobhan McCarthy, psychologue, explique : "Nous avons tous une étiquette sociale qui évolue avec le temps. On apprend cela au cours de l'enfance. Dans la plupart des contextes, il serait inconcevable de poser immédiatement ces questions très personnelles. Il y a des règles".
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Échanger des banalités, dit-elle, remplit une fonction importante.
"C'est le carburant de l'interaction sociale, c'est un véhicule qui favorise l'engagement. C'est intuitif, une forme d'intelligence émotionnelle. Quand on rencontre quelqu'un, on commence d'abord par s'habituer à cette personne", explique-t-elle. On juge si on peut lui faire confiance. "Platonique ou non, si vous vous faites un ami, vous n'allez pas essayer de tout savoir sur lui dans les premières minutes qui suivent votre rencontre".
On ne vous dit pas que ça ne va que dans un sens. Un certain nombre de femmes (hétérosexuelles, cis) qui souhaitent avoir des enfants et qui veulent être directes sur leurs attentes dès le début ont confié à Refinery29 qu'elles posent régulièrement aux hommes des questions sur leurs projets d'avenir. Mais comme le souligne Valeria, la question n'est pas aussi chargée dans l'autre sens.  
"Bien entendu, les hommes se moquent que l'on leur pose des questions sur les enfants", explique-t-elle. "C'est un truc de femmes. Porter l'enfant, s'occuper de l'enfant... Les hommes sont toujours salués pour être "si gentils et attentionnés" lorsqu'ils s'occupent tout simplement de leurs propres enfants, alors que les femmes sont censées le faire, et sous haute surveillance. Et vous n'avez pas intérêt à faire des erreurs !
Elle n'a pas tort. Avoir un enfant a un impact sur les femmes tout à fait différent que sur les hommes. Ça affecte notre corps, et il nous faut alors composer avec une culture qui valorise la perfection plus que tout autre chose. Ça affecte la façon dont on se sent dans notre corps : nos hormones, notre santé mentale, le fait de faire face à une perte d'indépendance que les hommes ne vivent tout simplement pas de la même façon. En France, la dépression post-partum touche 10 à 20 % des jeunes mères. 
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Et puis il y a tout ce que qui arrive à la carrière d'une femme après la naissance - le salaire revu à la baisse, dans une société qui oublie de valoriser les milliers d'heures de soins gratuits qu'on va accorder aux membres de notre famille tout au long de notre vie. Selon une étude UN Women, les femmes assument 1,7 fois plus de tâches non-rémunérées que les hommes, un chiffre en hausse depuis la crise du Covid-19.

L'une des raisons pour lesquelles l'écart salarial femmes-hommes continue à favoriser les hommes, c'est que l'on s'attend à ce que les femmes s'occupent des enfants. C'est pourquoi la question de savoir si, et quand on veut avoir des enfants est toujours aussi épineuse.

Les temps changent. Le congé de paternité ou le congé parental partagé deviennent de plus en plus courants, mais l'une des raisons qui fait que l'écart salarial femmes-hommes continue à favoriser les hommes (19 % en 2019 selon l'INSEE), c'est que l'on s'attend toujours à ce que ce soient les femmes qui s'occupent des enfants. 
C'est pourquoi la question de savoir si, et quand on veut avoir des enfants est toujours aussi épineuse, en particulier pour les femmes hétérosexuelles. Chaque jour, on a à l'esprit ce que l'on pourrait devoir sacrifier si on le faisait. 
"Certaines questions sont extrêmement sensibles. Lorsqu'on interagit pour la première fois avec quelqu'un de façon très personnelle et très rapide, on ne tient pas compte de ce facteur. Psychologiquement, ça n'est pas rassurant et vous risquez de faire fuir votre interlocuteur." 
Plutôt que d'essayer d'arriver au point où on connaît (vraiment) quelqu'un au même rythme tout le reste dans nos vies, on devrait essayer d'avancer pas à pas, parce que ça donnera presque toujours de bien meilleurs résultats. 
*Les noms ont été modifiés.

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