La sieste, d'après mon expérience, soit on adore, soit on déteste. Et pour celles et ceux qui la détestent, c'est probablement en raison de leur incapacité à apprécier quelque chose que d'autres considèrent comme un des petits plaisirs de la vie. "Elles me rendent tellement grognon", se plaindront les réfractaires à la sieste, perplexes et frustré·es, désespérant de croire qu'ils ne ratent rien de trop fantastique. Et pourtant ! La sieste est objectivement bénéfique, c'est pourquoi j'en suis venue à croire que - comme pour le goût de la coriandre - la préférence pour la sieste est génétique. Ou plutôt, l'incapacité à faire une sieste réussie est (probablement) le résultat d'une triste mutation dans une séquence aléatoire de notre ADN. Espérons qu'un jour, la sélection naturelle se charge de rectifier ça.
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Vous l'aurez peut-être deviné : je suis une grande adepte de la sieste. Je l’ai toujours été ; "sieste" est le premier mot que j'ai appris à épeler, et mes parents disent que je demandais à faire des siestes quand j'étais enfant. (Mon frère, quant à lui, était un bébé démoniaque qui n'a pas dormi les trois premières années de sa vie). Je fais encore la sieste au moins une fois le week-end, mais je ne demande plus la permission à mes parents.
Étant donné ma propension à faire la sieste, je ne sais pas comment expliquer le fait qu'il ne m'est jamais venu à l'esprit de piquer un petit somme durant ma journée de travail, bien que je suis en télétravail - souvent à deux pas de mon lit - depuis plus d'un an maintenant.
L'idée m'est venu récemment, après avoir mangé un bagel pour le déjeuner. Quelle erreur : à 15 heures, j'étais si fatiguée que je pouvais à peine former une phrase cohérente. Ce jour-là, je travaillais dans un coin de ma chambre. J'ai établi un contact visuel aguicheur avec ma couette. C'est là que ça a fait tilt : j'aurais pu faire la sieste pendant tout ce temps.
Je me suis sentie tellement bête ! Mon regret, mon chagrin et ma perplexité ont eu pour effet de me tirer de ma stupeur post-bagel, ruinant mes chances de faire une sieste un jour de plus. Je me suis dit que j'étais sûrement la seule adepte de la sieste à avoir raté cette belle occasion. De cet imbroglio amer, j'ai posé la question sur mon fil Twitter : Est-ce que vous, les télétravailleur·euses, faites tou·tes la sieste en ce moment ?? Les réponses ont confirmé mes suspicions.
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"Je fais généralement une sieste d'une heure ou de 30 minutes, selon le temps dont je dispose", explique Kimberly Lara. Elle travaille de 9 heures à 16 heures tous les jours (plus des heures supplémentaires occasionnelles), et est étudiante en master à plein temps. "D'habitude, je ne fais pas la sieste, mais fixer un écran pendant des heures est mentalement épuisant. Mes siestes sont vraiment mes seules pauses".
"Je me sens généralement déprimée en milieu de journée pour une raison quelconque", note Maryam Perez, qui dit faire des siestes d'environ 30 minutes, trois à cinq jours par semaine. "Quand je fais une sieste, c'est comme si mon cerveau se réinitialisait. Je me réveille en me sentant de moins mauvaise humeur. J'ai tendance à faire une sieste après une réunion ou un appel professionnel important. Je résiste durant les contacts en face-à-face et je fais une sieste avant de devoir travailler en ligne."
Au début, Ebony Brown a délibérément essayé de ne pas faire de sieste. Elle essayait encore de surmonter l'anxiété, la dépression et la solitude liées à la pandémie. "Aujourd'hui, j'en suis arrivée à accepter une situation que je ne peux pas contrôler et j'ai accepté que faire des zooms toute la journée, c'est juste chiant. Alors je m'accorde une petite siesta, voilà tout - pas plus d'une heure. Et si je ne fais pas de sieste, je m'accorde une heure de déjeuner pour regarder Hôpital Central afin de me remettre au travail l'esprit frais", explique-t-elle.
Karyn, elle aussi, a d'abord essayé de réfréner son envie instinctive de faire la sieste. "J'étais contre et j'essayais vraiment de maintenir une routine, mais quand j'ai réalisé que Covid-19 allait durer beaucoup plus longtemps que nous le pensions, j'ai commencé à faire des siestes pendant la journée", dit-elle. Elle s'est fixé des règles strictes, notamment celle de ne pas dépasser 30 minutes et de les faire suffisamment tôt pour ne pas perturber son cycle de sommeil nocturne.
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Les réticences de Brown et de Karyn relèvent de quelque chose de similaire : la crainte que la sieste pendant la journée de travail ne soit le premier pas vers une rupture totale avec la normalité. Le seul anti-sieste que j'ai interrogé fait écho à ce sentiment. "Je ne pense pas qu'il y ait de mal à [faire la sieste pendant le télétravail] - les gens devraient faire ce qui leur convient le mieux ! Mais en ce qui me concerne, je trouve que maintenir une structure est ce qu'il y a de mieux pour ma santé mentale", déclare Annabel Fay. "J'adore la sieste du dimanche, mais j'ai constaté que depuis la pandémie, je suis beaucoup moins stimulée et stressée, donc j'ai moins besoin de dormir en général".
Malgré les rares exceptions comme Fay, il est devenu évident que les gens font la sieste pendant la journée, et malgré leurs inquiétudes initiales, cela semble leur réussir. J'étais prête à rejoindre leurs rangs. Mais la première fois que je me suis glissée entre les draps lors d'une accalmie dans ma journée de travail et de mes niveaux d'énergie, une émotion familière m'a envahie : la culpabilité. Mon ordinateur portable était posé de l'autre côté de mon grand matelas, mais je ne pouvais pas me résoudre à le fermer. J'avais peur d'être une flemmarde - ou plus exactement, de passer pour une flemmarde. L'idée que je puisse laisser un message sans réponse pendant 30 minutes me faisait honte - et peur.
Je savais que cette peur n'était pas fondée. Mes collègues s'encouragent activement et avec beaucoup d'enthousiasme à faire des pauses régulières. Lorsque nous étions au bureau, je faisais régulièrement un saut dehors pour prendre des appels, déjeuner ou simplement faire un tour pour me vider la tête. La pression de paraître occupée ou d'être disponible à tout moment n'est pas quelque chose que je souhaite renforcer dans notre culture d'entreprise. Mais c'est une préoccupation commune aux personnes qui font la sieste en télétravail avec lesquelles j'ai discuté.
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Si je fais une sieste, j'utilise généralement mon temps de "déjeuner" pour le faire, mais je laisse tous mes appareils allumés au cas où des appels entrants ou des messages urgents me seraient envoyée", explique Lara. Karyn garde son téléphone professionnel à proximité, de sorte à être réveillée par les notifications. "En général, je ne fais une sieste que les jours où je n'ai pas de réunion et je m'assure de m'occuper de toute tâche importante ou urgente avant de m'allonger", ajoute-t-elle.
Une culpabilité post-sieste peut cependant se faire sentir. Brown dit qu'elle se réveille souvent en pensant à tout ce qu'elle a peut-être manqué. Désormais, elle s'efforce de prendre de l'avance sur sa to-do list avant de se coucher. "J'ai constaté que si je ne finissais pas de travailler après la sieste, j'étais anxieuse et j'avais l'impression d'être un échec", dit-elle. "Donc même si c'est une petite tâche, j'arrive à faire quelque chose et créer cet espace m'aide à gérer l'anxiété".
Kamara Ferrell, de son côté, souligne que sa routine de sieste fait probablement d'elle une meilleure employée. "Avant, je faisais partie de ces personnes qui ne pensaient pas qu'il était possible de faire une sieste pendant la journée et d'être tout de même productive", dit-elle. "Cependant, mon point de vue a beaucoup évolué au cours de l'année dernière, car je souffrais de plus en plus d'insomnie. Les siestes diurnes sont devenues en quelque sorte une nécessité pour moi et j'ai découvert que, même si elles étaient courtes, elles avaient un impact important : elles compensaient le manque de sommeil, me redonnaient de l'énergie et me permettaient de me sentir plus concentrée et plus fraîche pendant la journée".
Si, bien entendu, le fait de pouvoir travailler à domicile présente de nombreux avantages, le burn-out de télétravail n'en est pas moins réel. Nous devrions vraiment faire tout ce qui est en notre pouvoir pour favoriser la santé mentale de chacun·e, y compris en nous encourageant à consacrer une heure à la sieste plusieurs fois par semaine. À moins que la sieste ne vous rende plus grincheu·se·x ; si c'est le cas, j'imagine que vous pouvez trouver autre chose à faire durant cette heure, ça ne sera juste pas aussi bien.
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