Vous vous souvenez des premières émotions qui ont marqué votre éveil sexuel ? Vous étiez peut-être allongé·e dans votre lit à fantasmer sur le mec le plus cool de votre bahut qui ne connaissait probablement même pas votre prénom ; peut-être avez-vous croisé le regard d'un·e inconnu·e dans le train et fantasmé sur le fait de l'embrasser dans les toilettes. Ou peut-être que ressentir une attirance sexuelle envers un inconnu est totalement insondable pour vous.
Lorsqu'elle était adolescente, Maria*, aujourd'hui âgée de 23 ans, n'arrivait pas à comprendre comment ses amies pouvaient avoir envie de "draguer" en soirée. "Je voyais toutes mes copines sortir avec des inconnus et je trouvais que c'était... Je ne sais pas", me dit-elle. "L'idée de toucher quelqu'un que je ne connaissais pas ne me semblait pas particulièrement attrayante".
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Il existe une étiquette pour les personnes qui ressentent ceci : la demisexualité. Ce terme a été introduit en 2006 par un membre de Asexual Visibility and Education Network (AVEN) pour décrire leur expérience consistant à ne ressentir une attirance sexuelle qu'après avoir établi un lien émotionnel avec un·e partenaire.
L'étiquette a trouvé un écho auprès de nombreux membres de l'AVEN, a rapidement gagné du terrain en ligne et a fini par s'imposer auprès du grand public, avec la création d'un drapeau de la demisexualité au début des années 2010. Bien que l'on ne sache pas exactement combien de personnes demisexuelles il y a en France en 2021, il est évident qu'elles constituent un groupe important : #demisexual sur Instagram compte plus de 2 millions de publications.
Comme Maria, Kimi*, 23 ans, s'identifie comme demisexuelle. "J'ai eu des relations sans lendemain dans le passé, j'ai eu des coups d'un soir, et je n'en ai tout simplement rien retiré", dit-elle. "C'était juste très mécanique."
Kimi a réalisé qu'elle était demi vers la fin de sa première année d'université. "J'ai quelques amis qui sont complètement asexuels et je leur en parlais. Je savais que [l'asexualité] ne me correspondait pas complètement à ma situation, mais l'un d'eux m'a suggéré de me renseigner sur la demisexualité, et c'est ce que j'ai fait. Ça avait l'air correspondre à ce que je ressentais et à ma façon de voir le couple."
Zara*, 23 ans, est également demisexuelle. "Je pense que je me suis activement identifiée comme telle à l'âge de 17 ans environ", dit-elle. "Je me souviens qu'à cet âge-là, je faisais des recherches sur les différents niveaux d'attirance sexuelle, j'ai trouvé ce terme et je me suis dit : Bingo !".
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Beaucoup de jeunes femmes d'aujourd'hui ont grandi en rebloguant des GIFs d'hommes étranglant des femmes, croyant à tort qu'être une bonne féministe était synonyme d'avoir une vie sexuelle débridée.
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Il n'est peut-être pas vraiment surprenant que pour Maria, Kimi et Zara, le sexe et l'intimité soient des sujets à aborder avec précaution. Toutes trois sont des femmes de la génération Z qui ont grandi pendant la troisième vague du féminisme - une période assurément marquée par de grandes avancées en matière d'égalité des sexes, mais aussi où le contenu prétendument "sex positif" pullulait sur Tumblr et où l'hypersexualité était présentée comme une forme d'émancipation. Beaucoup de jeunes femmes d'aujourd'hui ont grandi en rebloguant des GIFs sans contexte d'hommes étranglant des femmes et en chantant des paroles de Lana del Rey comme "my pussy tastes like Pepsi cola", croyant à tort qu'être une bonne féministe était synonyme d'avoir une vie sexuelle débridée. Il semblait y avoir très peu de place sur des sites tels que Tumblr pour l'idée que, parfois, avoir le contrôle sur son corps, c'est choisir de ne pas avoir de relations sexuelles.
Dans ce contexte, il n'est pas surprenant qu'en entrant à l'âge adulte, les femmes de la génération Z prennent le temps de réfléchir à ce qu'elles ont appris et de se demander si le sexe sans lendemain était réellement ce qui leur convenait. Si, pour Zara, cette pression sexuelle n'a fait qu'affirmer sa demisexualité - "Je pense que j'étais trop désintéressée dans ce domaine et je suis très têtue, donc plus de pression, pour moi, mène toujours à plus de résistance", dit-elle - Maria pense que le fait d'avoir grandi à cette époque a activement façonné sa sexualité aujourd'hui.
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"Je me suis essentiellement laissé exploiter pour la validation masculine à un jeune âge", dit-elle. "J'ai un frère de 17 ans qui est la personne la plus innocente du monde et je le regarde et je chéris son innocence. J'aurais aimé que ça soit le cas pour moi et que je ne ressente pas cette pression de faire des rencontres et avoir une vie sexuelle."
"Je voulais me sentir forte, je voulais avoir des expériences sexuelles - mais je ne savais pas comment prendre du plaisir par moi-même comme je le fais aujourd'hui, et je recherchais assurément la validation masculine. Je pense que pour certaines personnes, cela est inextricable du pouvoir et de la liberté d'action que procure le fait de faire des rencontres sexuelles", explique-t-elle. "Pour l'instant, le célibat est probablement la meilleure façon d'avancer [pour moi] jusqu'à ce que je rencontre quelqu'un avec qui j'ai une véritable connexion."
Comme toute orientation sexuelle qui déroge, même légèrement, à la norme perçue, la demisexualité a été publiquement ridiculisée et critiquée. Le commentateur politique américain Ben Shapiro a récemment tweeté : "Être membre de la coalition intersectionnelle est maintenant tellement tentant que nous inventons des termes comme 'demisexuel' pour que les gens puissent y adhérer." Même le chroniqueur Dan Savage, habituellement ouvert aux idées sur le sexe, a tourné en dérision la demisexualité, la qualifiant de "terme à consonance clinique de sept syllabes que les partenaires potentiels doivent chercher sur Google".
Mais bien sûr, le terme "demisexuel" n'a pas été créé pour marquer des points dans les soi-disant "Olympiades de l'oppression", ni pour aliéner des partenaires potentiels. "C'est très frustrant quand on dit à quelqu'un que c'est comme ça qu'on s'identifie [et qu'il] répond : "Mais c'est normal ça !" parce que non, ça ne l'est pas", explique Zara. "Pour moi, la demisexualité est une asexualité totale vis-à-vis de tout le monde, sauf s'il s'agit d'une personne choisie. J'ai éprouvé une véritable attirance sexuelle pour trois personnes dans ma vie. Je pense donc que l'étiquette rend compte d'une expérience spécifique, et qu'il est important de le reconnaître."
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Il semble que le nombre croissant de jeunes femmes qui s'identifient à l'idée de demisexualité soit, en partie, une réaction à la tentative bâclée du début des années 2010 de faire du sexe une forme d'empowerment.
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Pour d'autres demisexuels comme Kimi, l'étiquette est moins importante. L'accent est davantage mis sur l'idée derrière le terme, qui procure aux demisexuels un sentiment de compréhension, une communauté et un cadre pour aborder leur sexualité.
"Les étiquettes ne me dérangent pas vraiment, ni dans un sens ni dans l'autre. Je les utilise principalement pour d'autres facettes de ma sexualité, comme ma bisexualité", explique Kimi. "Je n'aborde pas vraiment la demisexualité avec les gens, sauf si je sais qu'ils savent déjà ce que c'est. Sinon, je me contente d'expliquer, sans me préoccuper de l'étiquette. Mais l'étiquette peut servir de raccourci".
En fin de compte, il n'est pas surprenant que cette montée de la demisexualité se produise alors que les femmes de la génération Z atteignent l'âge adulte. Si l'étiquette est plutôt récente, la demisexualité est aussi vieille que le monde. Mais il semble que le nombre croissant de jeunes femmes qui s'identifient à l'idée de demisexualité soit, en partie, une réaction à la tentative bâclée du début des années 2010 de faire du sexe une forme d'empowerment. Une véritable connexion émotionnelle, ce n'est pas aussi vendeur que le sexe sans lendemain a pu l'être à une époque (et l'est encore souvent). Et à mesure que les discussions sur la demisexualité gagnent le grand public, il est clair qu'il s'agit d'une communauté qui ne cesse de s'agrandir.
Comme le dit Kimi : "Je pense qu'il y a peut-être bien plus de personnes demisexuelles qui ne le savent pas encore".
*Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes interviewées.
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