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Champignons hallucinogènes : pourquoi un tel succès auprès des femmes

Illustrated by Molly Benge
Les champignons - hallucinogènes ou non - sont partout en ce moment. Ils sont à la mode et sont présents sur tout, des pulls Zara aux boucles d'oreilles Urban Outfitters en passant par les t-shirts Online Ceramics. Vous pouvez acheter des pots en forme de champignons, des lampes champignons et des imprimés ornés d'illustrations encyclopédiques de différentes espèces. Et ce n'est pas tout : sur TikTok, le hashtag #tripptok - volontairement mal orthographié pour échapper à la modération - compte plus de 74 millions de vidéos, dont la grande majorité traite de la consommation de champignons. Sur Netflix, un épisode mémorable de The Bold Type montrait Jane et Sutton en plein trip aux champignons au boulot, tandis que le documentaire Fantastic Fungi de 2019 propose une plongée dans les vertus - curatives ou non - des champignons.
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Il est clair que cet intérêt croissant pour les champignons ne concerne pas seulement l'attrait esthétique des tabourets rouges et blancs, mais aussi les effets de la psilocybine, le composé psychédélique présent dans les champignons magiques. En France, les champignons hallucinogènes sont inscrits sur la liste des stupéfiants depuis 1990. Leur possession, leur usage, leur détention, leur transport et leur ramassage sont passibles de sanctions pénales. En 2015, l'étude Global Drug Survey  a révélé que 8,6 % des personnes interrogées consommaient des champignons magiques ; en 2020, ce chiffre est passé à 16,1 %.
Mimi*, 20 ans, a pris des champignons pour la première fois le jour de son 19e anniversaire. "Je n'avais jamais pris de drogues avant ça", dit-elle. "Mais comme mon amie me répétait constamment que les champis étaient géniaux, j'ai accepté d'essayer". Après les avoir pris, Mimi, qui vit à Leeds, a vécu un trip de cinq heures qui a changé sa vie. "C'était un sentiment de pur bonheur", se souvient-elle. "Après ça, j'ai vu la vie sous un angle très différent".
Les champignons magiques, plus connus sous le nom de psilocybe, sont un type particulier de champignons qui contiennent les substances chimiques psychédéliques psilocybine et psilocine.
L'acquisition, la possession, l'usage, la production, le transport, la cession (même à titre gratuit) et la vente d'hallucinogènes sont prohibés par le Code de la santé publique et le Code pénal.
Selon la gravité des infractions de trafic, les peines encourues peuvent aller jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité et une amende de 7,5 millions d'euros en cas de participation à un réseau de trafic organisé.
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La psilocybine perturbe les circuits ruminatifs de haut niveau dans le cortex cérébral et libère ainsi immédiatement le cerveau des pensées dépressives.

ProfessEUr David Nutt
Pourtant, les jeunes femmes déclarent prendre des champignons à des fins récréatives et le faire principalement pour améliorer leur santé mentale. De nombreuses recherches ont été menées récemment sur l'impact de la psilocybine sur la santé mentale, notamment la dépression, l'anxiété et la dépendance. En 2016, le Dr Robin Carhart-Harris et l'équipe du Centre de recherche psychédélique de l'Imperial College de Londres ont publié les résultats révolutionnaires de leur essai de recherche sur l'efficacité du traitement par psilocybine en parallèle à la psychothérapie chez les patients souffrant de dépression persistante, qui représentent environ un tiers de toutes les personnes souffrant de dépression. Les chercheur·euses ont constaté que "les symptômes dépressifs étaient nettement réduits" après un traitement comprenant deux doses de psilocybine et une thérapie.
Comme Mimi, Starr, 24 ans, aime consommer des champignons hallucinogènes. Elle vit actuellement aux Pays-Bas, où les "truffes" contenant de la psilocybine sont légales, et c'est là qu'elle a essayé les champignons pour la première fois. Elle continue à en consommer à titre récréatif. "Les effets récréatifs des champignons sont intenses. Votre cœur s'ouvre, vous ressentez tellement d'amour que votre corps picote avec une énergie paisible et aimante. Je suis émerveillée par le monde comme un bébé lorsque je prends une dose récréative", dit-elle.
"Les champignons sont meilleurs que les autres drogues récréatives car ils vous rapprochent de la nature et de l'amour de vous-même et des autres", poursuit-elle. "Les sentiments agréables persistent pendant des jours après". Mimi partage ce sentiment : "D'autres drogues comme la MDMA et la kétamine sont très engourdissantes, si bien que vous n'êtes pas en phase avec vous-même lorsque vous en prenez. Mais les champignons vous rendent plus vivant·e et plus conscient·e. Vos sens sont incroyablement éveillés et vous êtes beaucoup plus en phase avec vos émotions."
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Alys*, 25 ans, est également consommatrice de champignons. C'est lors de festivals et de fêtes qu'elle a commencé à les utiliser de manière récréative. "J'aimais juste la façon dont ils me faisaient me sentir. C'était comme si je prenais de l'altitude, cette chaleur, cette douceur." Pour Alys, il y avait aussi une raison pratique pour se mettre aux champignons : comme elle était sous antidépresseurs à l'époque, les drogues comme la MDMA étaient totalement à proscrire en raison du risque de syndrome sérotoninergique. "Les champignons étaient tout simplement ce truc parfait qui me permettait d'être sociable, de voir toutes ces belles couleurs, de ne pas me prendre au sérieux, de vraiment rire avec mes amis, mais aussi de me sentir en paix à l'intérieur."
Il y a soixante ans, les champignons étaient largement considérés comme l'apanage des hippies et des beatniks, dont la présence alarmait tellement les générations plus âgées qu'elle a poussé le président américain Nixon à déclarer la fameuse "guerre contre la drogue" en 1971. Mais si l'on remonte à des milliers d'années, les champignons hallucinogènes étaient vénérés comme des cadeaux des dieux. Les Aztèques les utilisaient souvent lors de rituels et de cérémonies religieuses, tandis que certains historiens affirment qu'une peinture rupestre vieille de 9 000 ans, en Algérie, représente un chaman tenant des champignons. Aujourd'hui, dans certains cercles universitaires, les champignons psilocybines suscitent à nouveau ce genre de respect.
Au début de l'année, une petite étude a été menée par des chercheur·euses du Centre for Psychedelic Research de l'Imperial College de Londres. Elle a révélé que la psilocybine est "aussi efficace pour réduire les symptômes de la dépression que les traitements conventionnels" et que "pour la question d'améliorer activement le bien-être des personnes et leur capacité à ressentir du plaisir, la drogue psychédélique peut avoir eu un effet plus puissant."
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Le professeur David Nutt, neuropsychopharmacologue et membre du Centre de recherche psychédélique, explique comment la psilocybine brise instantanément les processus de pensée négative. "Les ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine - un type d'antidépresseur largement utilisé) agissent dans le système limbique (la partie du cerveau impliquée dans nos réponses comportementales et émotionnelles) pour réduire les réponses au stress et permettre au cerveau de guérir sur une période de plusieurs semaines", explique-t-il. "Mais la psilocybine perturbe les circuits ruminatifs de haut niveau dans le cortex cérébral et libère ainsi immédiatement le cerveau des pensées dépressives."
Dans le passé, Mimi avait du mal à gérer ses émotions, mais les champignons magiques lui ont apporté de la clarté. "Ça a tout mis en perspective, alors je me suis dit que j'allais en prendre de temps en temps pour rester connectée à cette partie de moi-même", dit-elle. "Chaque fois que je le fais, c'est comme si j’appuyais sur un bouton de réinitialisation dans ma vie, car cela m'aide à prendre conscience de toutes mes émotions et à entrer en contact avec mon moi intérieur. Après, j'ai un changement énorme et positif dans ma vie, à chaque fois."
Un trip le jour de son 20e anniversaire a été particulièrement utile pour améliorer sa santé mentale. "Ça m'a donné l'impression d'être tellement vraie - tout ce que j'avais évité au cours des deux derniers mois m'est tombée dessus d'un seul coup", se souvient-elle. "J'ai senti que je devais changer ma vie. J'ai réalisé ce qui me rendait malheureuse et j'ai changé tellement de choses par la suite. Ça a eu un impact tellement positif sur ma vie".
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Starr utilise également les champignons hallucinogènes à des fins thérapeutiques et prend régulièrement des microdoses, ajoutant que sa relation avec les champignons est devenue plus "intime" lorsqu'elle a déménagé de Manchester aux Pays-Bas et a traversé un épisode dépressif majeur.
"Je suis passée d'une situation où je n'avais aucune énergie et aucune envie de vivre à une situation où je travaillais sur mes problèmes, où je prenais le temps de réfléchir à ce qui me faisait mal, à la façon dont je pouvais me soigner et à la façon de continuer à vivre la vie que je mérite", dit-elle. "Je constate que je suis capable de me lever et de vaquer à mes occupations parce que les pensées anxieuses et les sentiments de terreur ont disparu et que je peux penser clairement."
De même, après en avoir fait un usage récréatif, Alys s'est rendu compte que les champignons pouvaient aussi l'aider sur le plan thérapeutique, alors qu'elle commençait à les utiliser plus souvent pendant le confinement. "Mon estime de moi était au plus bas et j'ai vraiment l'impression que les champignons m'ont aidée parce que j'ai réalisé que je pouvais être positive ici", dit-elle. "Je me souviens de quelques fois où je suis allée aux toilettes ou autre lors d'une fête et j'ai eu ces moments de révélation, d'épiphanie. Je me souviens d'une fois où j'ai regardé le coucher de soleil et où je me suis dit : "Wow, il faut vraiment que tu arrêtes d'être si dure avec toi-même à propos de tout".
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Alys ajoute qu'elle a trouvé les ISRS inefficaces pour traiter sa dépression et qu'elle en est arrivée à se sentir suicidaire au début de l'année. "La sertraline ne fonctionnait pas", dit-elle. "Pour moi, les champignons auraient dû être une alternative, c'est sûr. Si j'avais pu en prendre au lieu de la sertraline, je pense que ça aurait fait une énorme différence dans ma vie. Je n'aurais peut-être pas passé autant de temps à vouloir mettre fin à mes jours, pour être tout à fait franche."

C'était comme si la réalité me tombait dessus et j'avais l'impression d'être dans un monde à part. Je retournais en quelque sorte dans cet état d'esprit négatif et dépressif pendant la semaine. Si les champignons ont eu un impact positif considérable sur ma santé mentale, ce n'était pas suffisant en soi. Ce qui a vraiment fait évoluer la situation pour moi a été la thérapie et d'apprendre à me respecter.

ALYS, 25 ANS
Aussi convaincantes que soient ces histoires, le fait est qu'à l'heure actuelle, la psilocybine n'est pas légalement disponible comme traitement alternatif de la dépression. Tant que les champignons resteront illégaux, il y aura toujours des risques pour votre santé physique et psychologique si vous vous approvisionnez auprès de distributeur·ices non réglementé·es. 
Même si vous récoltez vos propres champignons, vous pouvez facilement les confondre avec les variétés vénéneuses, dont l'ingestion peut être mortelle. En définitive, si les résultats de la recherche sont prometteurs, ils ne constituent en aucun cas un feu vert pour prendre des champignons au gré de ses envies. Le Dr Carhart-Harris, qui a participé à l'étude, a récemment déclaré sans ambages au Guardian qu'une tentative d'automédication avec des champignons magiques serait "une erreur de jugement". 
En outre, la recherche n'a pas pour but d'essayer de traiter la dépression uniquement avec des champignons hallucinogènes. Il s'agit surtout d'un essai de traitement de la dépression avec des doses contrôlées de champignons en parallèle à une thérapie. Bien qu'Alys utilise les champignons en dehors d'un essai clinique, elle souligne que c'est la combinaison de la psilocybine et de la thérapie qui l'a vraiment aidée à surmonter ses problèmes de santé mentale. Elle explique que si les sensations fortes qu'elle éprouvait sous l'effet des champignons étaient euphorisantes et lui ouvraient les yeux, il lui était difficile de les transposer dans la vie de tous les jours.
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"C'était comme si la réalité me tombait dessus et j'avais l'impression d'être dans un monde à part. Je retournais en quelque sorte dans cet état d'esprit négatif et dépressif pendant la semaine", dit-elle. "Si les champignons ont eu un impact positif considérable sur ma santé mentale, ce n'était pas suffisant en soi. Ce qui a vraiment fait évoluer la situation pour moi a été la thérapie et d'apprendre à me respecter."
S’il ne semble pas plausible que les champignons hallucinogènes soient légalisés de sitôt, les choses s'améliorent en ce qui concerne la possibilité de légaliser la psilocybine pour un usage thérapeutique. Le professeur Nutt est optimiste car les recherches récentes donnent des résultats prometteurs. "Cette utilisation des psychédéliques pour le traitement de la dépression est maintenant testée dans les addictions également et pourrait révolutionner de nombreux aspects de la psychiatrie", dit-il, ajoutant que les champignons sont relativement sûrs. "Si vous en prenez beaucoup, vous risquez de vomir ou de faire un mauvais trip, mais au-delà de ça, les risques restent très faibles." Nous pouvons espérer que si la recherche continue à produire des résultats positifs, la thérapie psychédélique deviendra bientôt disponible pour celles et ceux qui en ont besoin.
Il reste cependant une bataille à mener. Comme l'a dit le Dr Carhart-Harris : "Beaucoup continueront à voir les psychédéliques comme des drogues illégales qui sont, par définition, dangereuses [...] la désinformation et le sensationnalisme autour de la thérapie psychédélique dans une population aussi encline à la polarisation que la nôtre, est inquiétante."
Il convient ici de faire preuve d'empathie. De l'empathie pour les personnes souffrant de dépression comme Alys, qui ont touché le fond et sont prêtes à tout pour aller mieux. Et il est bon de rappeler que, dans le passé, les humains se sont tournés vers des méthodes plus nocives et brutales pour traiter la dépression - comme l'ECT (électroconvulsivothérapie) ou les lobotomies - que ce médicament naturel utilisé pour ses propriétés médicinales depuis des milliers d'années. La prudence est de mise et enfreindre la loi n’est pas recommandé, mais les chercheur·euses qui travaillent sur les essais cliniques sont clairs : nous n'avons rien à perdre en faisant progresser la thérapie psychédélique, et tout à gagner.

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