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#AfricansInUkraine : ces étudiant·es racontent leurs expériences du racisme

Photo : Maciej Luczniewski/NurPhoto/Getty Images.
Le 24 février, la Russie franchissait la frontière ukrainienne, envahissant le pays de toutes parts. Aussitôt, le monde occidental se mobilise pour soutenir le peuple ukrainien : le hashtag #IStandWithUkraine fait l'objet d'une tendance mondiale et les marques partagent des messages de solidarité en arborant le drapeau ukrainien. Fait rare, le public semble s'unir autour d'un sujet d'actualité internationale : le peuple ukrainien a besoin de soutien et toute personne fuyant la guerre devrait avoir le droit de se voir accorder un abri et une protection. Malheureusement, le revers caché de la diplomatie internationale est qu'elle repose sur un système de négrophobie, et le conflit actuel ne fait pas exception. Rapidement, les Noir·es d'Ukraine ont commencé à raconter le traitement horrible auquel ils ont été confrontés alors qu'ils tentaient de fuir pour sauver leur vie.
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Sur les réseaux sociaux, les histoires ont commencé à affluer. Le hashtag #AfricansinUkraine a commencé à se remplir de récits poignants d'étudiant·es africain·es battu·es à coups de matraque, jeté·es hors des trains et retenu·es au port de Medyka, en Pologne, au profit de ressortissant·es ukrainien·nes. Un espace Twitter a été créé pour partager les histoires et mobiliser le soutien des un·es et des autres, de la grande diaspora, des ambassades respectives et de la grande communauté de défense des droits. Étonnamment, les étudiant·es ont été contraint·es de se défendre contre des fils de discussion viraux insinuant que leur situation était bidon, un simple mirage issu de la désinformation russe ; ces affirmations provenaient non seulement du ministre ukrainien des affaires étrangères - qui a soutenu qu'une "approche du premier arrivé, premier servi s'appliquait à toutes les nationalités" - mais aussi de personnes de la communauté noire. Lorsque la communauté des étudiant·es migrant·es a commencé à s'organiser en plus grand nombre, elle a commencé à démentir ce narratif mensonger avec des vidéos datées et des enregistrements Instagram vérifiés : en fin de compte, les articles de CNN et des Nations Unies ont invalidé les théories du complot (bien que cela n'ait pas empêché certain·es de prétendre qu'amplifier leur problème revient à soutenir les Russes). 

Des rapports ont fait état de nazis polonais terrorisant des migrant·es africain·es à certains endroits de la frontière polonaise ; certain·es camarades de classe sont morts, une tragédie incroyable qui n'a pas été causée par des munitions russes, mais par l'omniprésence de la négrophobie.

Les témoignages des étudiant·es n'ont guère été entendus. Mais en réalité, si quelqu'un doit être contrarié par la désinformation, ce sont les étudiant·es qui ont été contraint·es de se justifier en plein cœur d'une crise où chaque instant est décisif, d'autant plus que certain·es étudiant·es ont vu venir les choses et ont essayé d'être proactif·ves pour organiser leur survie.
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Alors que l'agitation grandissait, AJ Bayero s'est senti frustré. Étudiant en troisième année de médecine à l'université nationale de médecine de Ternopil et membre de son association d'étudiants nigérians, il suivait la situation diplomatique et demandait à son école depuis des semaines quand un éventuel programme à distance serait mis en œuvre, mais il s'est heurté à des refus. "Nous avons clairement posé la question et on nous a répondus : "Vous paniquez". Nous avons des lettres et des e-mails qui le prouvent", raconte-t-il à Unbothered lors d'un appel WhatsApp depuis la Pologne, incapable de contenir sa déception. "L'ambassade des États-Unis, l'ambassade du Royaume-Uni, ont rappelé leur personnel... mais ils continuaient de nous dire 'et si rien ne se passait ?'".
Photo : courtesy of Korrine Sky.
Korrine Sky, étudiante en médecine
Le message de l'université était clair : le conflit entre la Russie et l'Ukraine durent depuis huit ans, les étudiants doivent donc poursuivre leurs activités comme si de rien n'était. Jusqu'à la veille du début des frappes, il a continué à assister aux cours en présentiel. Une fois que le conflit a gagné Kiev et que la panique a commencé à s'installer dans sa ville de l'ouest de l'Ukraine, Ternopil, Bayero a immédiatement commencé à se mobiliser, diffusant des messages à travers son réseau de l'Association des étudiants nigérians sur WhatsApp et Instagram pour rassembler des fonds et des produits de première nécessité et se rendre à la frontière polonaise.
Bien qu'il soit arrivé relativement tôt à la frontière, cela n'a pas été facile pour le groupe de Bayero : à défaut de billets de train, ils ont réservé un taxi jusqu'à la frontière via l'application Bolt, négociant un supplément pour être conduits aussi près que possible du port de Hrubieszów. Ils ont tout de même terminé assez loin - son Bolt n'a pu les emmener que jusqu'à la file d'attente pour le passage des véhicules à la douane, les contraignant à faire le reste du trajet à pied - mais ils ont eu beaucoup plus de chance que nombre de leurs camarades.
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L'histoire poignante de Jessica, une étudiante nigériane, implique de longues heures de marche sur deux jours. Après avoir pris un taxi jusqu'à la file de voitures pour la frontière, Jessica a dû marcher pendant 12 heures jusqu'à un refuge pour la nuit. Le lendemain, un bus est arrivé pour emmener les gens du refuge à la frontière, mais elle a été arrêtée. "Les Ukrainiens nous ont dit, c'est juste pour les Ukrainiens", a-t-elle raconté à la BBC. " Je les ai suppliés. Le fonctionnaire m'a regardée dans les yeux et il a dit, dans sa langue, 'Juste les Ukrainiens, un point c'est tout. Si vous êtes Noirs, vous devez marcher". Jessica a dû marcher huit heures de plus. "J'ai encore l'impression de marcher, comme si je n'avais pas encore réussi à passer", dit-elle. 
Au point d'entrée de Bayero, les fonctionnaires ukrainien·nes laissent entrer une trentaine de personnes toutes les 25 minutes environ, prétendant donner la priorité aux femmes et aux enfants. Aussi compréhensif que Bayero ait essayé d'être, après avoir marché pendant quatre heures devant toutes les voitures qui faisaient la queue, il n'a pu s'empêcher de remarquer que la plupart des femmes et des enfants étaient des ressortissants ukrainiens blancs qui ont pu s'asseoir dans des voitures, dans des bus et avoir accès à une file d'attente séparée, tandis que les autres personnes restées à la frontière étaient en grande majorité des étranger·ères et des étudiant·es africain·es contraint·es de subir l'hiver polonais pendant la nuit.
Bayero et son groupe ont finalement réussi à passer la frontière cette nuit-là, mais ils ont ensuite eu du mal à trouver un logement, car aucun délégué nigérian ne les attendait de l'autre côté pour leur offrir un abri. Finalement, Bayero et son ami, un étudiant de 17 ans, ont été accueillis par la famille d'un autre étudiant polonais. Malgré les épreuves qu'ils ont traversées, Bayero savait qu'ils avaient eu de la chance et qu'il devrait retourner aider d'autres personnes à traverser la frontière en toute sécurité, car la situation en Ukraine continuait à s'aggraver. Après une journée de repos, ils sont retournés à la frontière pour accueillir les nouvelles·eaux arrivant·es. Lors de leur deuxième voyage, des abris de fortune en plein air avaient été construits, les étudiant·es africain·es étant contraint·es de dormir à même le béton.
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Alors que Bayero et les nombreuses autres personnes victimes de discrimination aux frontières ukrainiennes tentaient par tous les moyens de survivre, leurs histoires étaient contestées par des commentateur·ices et remises en question par des racistes sur Twitter.
La succession de désintérêt et de négligences au nom de la sauvegarde du cadre binaire du "bien contre le mal" a donné lieu à toute une série de dysfonctionnements. Certain·es étudiant·es sont resté·es dans la file d'attente à la frontière polonaise de Medyka pendant des jours sans bouger, ce qui a entraîné famine et hallucinations ; d'autres ont été battus à coups de matraque pour avoir essayé de monter dans les trains. À Sumy, plus de 500 étudiant·es, majoritairement noir·es, se sont retrouvé·es coincé·es, incapables de se déplacer dans des conditions sûres en raison des violences environnantes. Des rapports ont fait état de nazis polonais terrorisant des migrant·es africain·es à certains endroits de la frontière polonaise après les avoir traversés ; certain·es camarades de classe sont morts, une tragédie incroyable qui n'a pas été causée par des munitions russes, mais par l'omniprésence de la négrophobie.

Peu importe les mouvements de protestation et de réflexion anti-racistes, les Noir·es sont toujours considéré·es comme des êtres inférieurs et se voient refuser les dignités fondamentales accordées à la classe dominante.

"Je trouve ça terrible", raconte Korrine Sky, une étudiante en médecine de 26 ans qui a fait le voyage de Dnipro vers la Roumanie, au cours d'un appel avec la presse américaine. "L'Ukraine était mon foyer, alors pourquoi voudrais-je documenter quelque chose qui n'est pas vrai ?" À l'origine, elle a commencé à documenter son expérience de fuite de l'Ukraine sur les réseaux sociaux afin que sa famille puisse savoir où elle se trouvait au cas où ils perdraient le contact ; cela s'est avéré très utile pour déboulonner toutes les tentatives de manipulation, ainsi que pour faire passer le message aux bons samaritains qui cherchaient à envoyer de l'aide aux étudiant·es africain·es dans le besoin.
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Sky est originaire du Zimbabwe et possède la double nationalité britannique. Sa famille a quitté le Zimbabwe en tant que demandeurs d'asile lorsqu'elle était très jeune. Aujourd'hui épouse et mère, elle répète le même parcours, laissant tout derrière elle dans son appartement pour se confronter à des frontières fermées et à la violence raciste (elle a même été menacée par une arme à feu) tandis que les pays d'Europe font des déclarations dans lesquelles ils annoncent accueillir les ressortissants ukrainiens sans condition ni qualification, un privilège rarement accordé aux communautés noires, comme en témoigne récemment le tollé provoqué par les expulsions d'Haïtiens aux États-Unis. 
Heureusement, certaines mains secourables ont commencé à se manifester. Touchées par les témoignages de Korrine, deux femmes, Tokunbo Koiki et Patricia Daley, se sont adressées à elles sur Twitter pour leur demander comment les soutenir. En 72 heures, les trois femmes noires sont passées du statut de parfaites inconnues à celui de partenaires en mission, œuvrant à la collecte de plus de 70 000 euros sous la bannière "Black Women for Black Lives" et assurant une transparence immédiate quant aux bénéficiaires et aux services offerts selon les principes de l'Ubuntu : Je suis parce que nous sommes. Après avoir vu sur les réseaux sociaux des vidéos d'Africain·es laissé·es pour compte sans moyen de transport, Carey Carter a été poussée à s'engager, et à utiliser sa plateforme et son réseau pour amplifier les histoires et les vidéos vérifiées de personnes telles que Bayero, mais aussi pour servir d'intermédiaire aux étudiant·es et aux migrant·es ayant désespérément besoin de ressources en les mettant directement en contact avec des personnes en mesure de proposer une aide financière immédiate. 
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Elle recherche également les moyens de transport disponibles, les Airbnbs et les cartes téléphoniques pour contacter la famille restée au pays. Elle rédige également un petit résumé de la demande de financement pour le groupe sur le terrain, contenant des éléments tels que l'urgence, la durée et des détails concernant les étudiant·es. "[Connaître leurs antécédents] permet de rendre le projet plus personnel, vous savez. Cela donne un visage à qui ils sont et à ce qu'ils font", explique Carter en me montrant les demandes de mini-subventions qu'elle expédie heure après heure. "J'ai trouvé que cela aide vraiment, juste pour souligner qu'ils sont humains et qu'ils sont quelqu'un". Elle n'a pas accepté de fonds elle-même, mais son travail a suscité l'action de personnalités publiques notables, comme le célèbre champion américain de l'UFC Tyron Woodley, qui a envoyé des milliers de dollars en bitcoin.
Il faudra un certain temps avant que la communauté noire migrante d'Ukraine ne digère pleinement ses expériences traumatiques - le traumatisme a tendance à transformer le temps en un ruban de Möbius - mais la colère remonte déjà à la surface. "Personnellement, je blâmerais les écoles d'avoir gardé les étudiants [en présentiel pour les cours]", souligne Bayero, toujours bouleversée de ne pas avoir été mise en sécurité et conseillée. "Cette attaque n'est pas sortie de nulle part". Mais peu importe le timing, il faut agir immédiatement, car les vies des personnes noires restent menacées à la frontière, et à pied. "Il est difficile pour les gens de vivre de telles choses et de continuer à compatir pleinement à ce qui se passe en Ukraine", admet Bayero. "La plupart de ces enfants, nous sommes là depuis des années... c'est tellement déchirant". D'autres, comme Sky, ont pris la peine de continuer à souligner qu'ils soutiennent toujours la lutte ukrainienne, appréciant les quelques citoyen·nes qui les ont aidé·es en cours de route. Les deux approches sont légitimes, tout comme leur colère.
Dans Le Diable et le bon dieu, Jean-Paul Sartre disait "Quand les riches font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent". L'Ukraine a parfaitement le droit de protéger sa souveraineté contre l'invasion de Poutine, et la communauté internationale est invitée à se tenir à ses côtés. En revanche, le rejet de la diaspora noire d'Ukraine et le fait de la réduire au silence au profit de la guerre, alors qu'elle tente de survivre, témoignent d'une cruauté étonnante à une époque où chaque instant compte. Peu importe les mouvements de protestation et de réflexion anti-racistes, les Noir·es sont toujours considéré·es comme des êtres inférieurs et se voient refuser les dignités fondamentales accordées à la classe dominante. Les médias russes n'ont pas besoin de promouvoir cette simple vérité ; la suprématie blanche s'en charge d'elle-même.
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