Que vous soyez accro aux produits de beauté ou pas, ne pas se faire bombarder de publicités pour des produits cosmétiques devient de plus en plus compliqué. Un nouveau fond de teint par ici, un sérum par là... Si bien qu'on finit souvent parfois par craquer pour des produits dont on n'avait pas besoin, ou dont on ignorait qu'on avait besoin.
Avec plus de 13 millions d'euros de ventes en France en 2018, la cosmétique se porte très très bien, et pas que chez nous. Le bureau d'étude Cosmetics Business estime qu'en Angleterre, c'est plus de 27 millions de livres sterling qui devraient être dépensés par an dans des produits cosmétiques d'ici 2022. En attendant, plusieurs études concourent aussi à montrer que cette surexposition à la pub et aux cosmétiques pourrait avoir un effet négatif sur notre santé mentale.
Certes, pour beaucoup de femmes, avoir une routine beauté aide à retrouver calme et confiance en soi. Mais se sentir obligé d'acheter le dernier produit de beauté en date, c'est encore autre chose. Se voir bombarder de pubs sur toutes les plate-formes juste parce qu'on s'est rendu une fois sur Sephora ou le site officiel de Clinique, c'est encore autre chose. Non seulement c'est épuisant, mais ça peut aussi être très démoralisant quand on a pas les moyens, ou que notre type, couleurs de peau et/ou de cheveux nous exclut de l'euphorie générale.
Selon Jess Lowe, fondatrice de @FYI_Beauty sur Instagram et éditrice à ukmakeupnews.co.uk, la pression vient beaucoup du fait qu'on cherche aussi à être un membre actif de la communauté, en commentant sur les dernières sorties de produits, les collections exclusives, en les testant, en partageant son expérience du produit etc. Il y a une telle activité sur les réseaux sociaux qu'on se sent presque obligé d'y participer, simplement parce qu'on aime une marque ou un produit. « C'est facile de tomber dans un cercle vicieux avec les social médias. Je connais beaucoup de femmes qui se sentent obligée de connaître les dernière sorties de produits, ou qui les connaissent de toutes façons parce qu'elles sont constamment bombardés d'informations à ce sujet. D'autres finissent par se désengager totalement car elles ne trouvent plus de plaisir dans ce qui autrefois leur procurait beaucoup de joie. C'est dommage, et c'est parfois même dangereux. »
Selon Karen Kwong, psychologue et fondatrice d'un cabinet de consulting spécialisé dans le changement, RenOC, ce sentiment d'obligation de « s'y connaître en cosmétique » viendrait du fait qu'on a peur de se sentir inadaptée. « C'est le problème avec le marketing. On a vite fait de nous laisser entendre qu'on est pas suffisamment cool si on n'a pas le dernier produit à la mode. A force de nous dire ce qu'il est cool d'avoir, on fait l'amalgame entre ce qu'on possède et ce qu'on vaut, surtout les cibles les plus jeunes. »
Dr Elena Touroni, psychologue et cofondatrice de The Chelsea Psychology Clinic à Londres, confirme : « Celles qui ont déjà une mauvaise estime de soi sont les premières à trinquer. Peu importe ce que vous possédez déjà, si vous n'avez pas le dernier produit en date de telle marque, vous finirez par ressentir un manque. "Et si c'était ce produit qui allait enfin me rendre plus belle, plus attirante, plus jeune, plus heureuse etc. ?" On commence à avoir des schémas de pensée du type Il faut que j'ai x pour me sentir bien, autrement dit, les conditions parfaites pour développer une anxiété chronique. Forcément, on est vite incapable de suivre le rythme, et ça finit par nous atteindre psychiquement, avec l'apparition de troubles de l'humeur et même une dépression. » nous dit-elle.
J'étais vraiment inquiète à l'idée de manquer des lancements de produits et ne pas être en mesure d'acheter un produit en rupture de stock.
Ce sentiment d'être dépassée, Hannah, 22 ans, le connaît mieux que personne. « Je passais mon temps à regarder des vidéos de maquillage sur Instagram et Youtube, sans me soucier de si c'était de la publicité ou non. J'étais avide de ça. » dira-t-elle à R29. « Je suivais tout plein de comptes insta d'influenceurs et de marques de cosmétiques, sur toutes leurs plateformes. On m'avait diagnostiqué un trouble de l'anxiété, une tendance à la dépression et des TOC. Ça peut sembler ridicule, mais je me souviens qu'au pic de mon anxiété, j'étais incapable de dormir avant d'avoir vu toutes les dernières nouveautés des marques que j'aimais. »
Manque de bol, Hannah explique qu'elle était particulièrement intéressée par les marques pas disponibles en Europe, Colourpop, Kylie Cosmetics, Too Faced, Tarte ou encore Anastasia Beverly Hills. « Je dépensais des fortunes dans des frais de livraison et les taxes douanières. Je pensais vraiment que je serai plus heureuse si j'avais les tout derniers produits de l'industrie cosmétique. J'étais anxieuse à l'idée de rater le lancement de nouveaux produits et que ceux-ci soient en rupture de stock. Tout ça s'ajoutait à mon lot d'anxiété quotidienne et ça a finit par devenir ingérable. Mes crises d'angoisse se faisaient de plus en plus régulières, et je sais que ça venait aussi de ça, de mon obsession pour la beauté. »
Sans parler de l'aspect financier. Hannah avoue s'être retrouvée endettée de plus de 4000 euros à cause de ce qu'elle appelle une « addiction au maquillage », et elle n'est pas la seule. Samira*, 25 ans, dira aussi à R29 : « Après une rupture difficile qui m'avait donné le sentiment que je ne valais rien, j'ai commencé à acheter du maquillage et me payer des traitement cosmétiques en masse. Aujourd'hui, je me sens angoissée rien que quand je pense à combien je dépense dans ce genre de choses. »
« Ça peut devenir vite accablant » continue Samira*. « On nous fait constamment croire que tel ou tel produit est révolutionnaire, par rapport aux autres, par rapport au précédant produit etc. Ça ne s'arrête jamais. Si bien qu'on finit par mordre à l'hameçon et se mettre à tout tester. A chaque fois, on se dit que ça y est, que c'est le produit dont on rêvait et qu'on a attendu toute notre vie. « Forcément, on ne peut qu'être déçues. Donc on va se remettre à la recherche d'un autre produit, et ça recommence, ad vitam aeternam. »
Et maintenant qu'il est de plus en plus facile de demander des mini-crédits - ou plutôt de payer en différé - ce genre d'obsession sont de plus en plus courantes, car on met du temps à réaliser le problème. Richard Lane, Directeur des Affaires Etrangères chez StepChange Debt Charity, nous dit que ce genre de facilités de paiement sont plus risquées qu'il n'y paraît. A force de différer le paiement, on finit par surévaluer ses revenus. C'est d'autant plus dangereux chez les jeunes, qui n'ont pas encore pu vraiment développer des habitudes de dépenses saines. Ou pour les personnes qui ont un petit salaire. »
« Il faut aussi garder en tête que vous risquez d'avoir un mauvais historique de paiement, ce qui peut affecter vos chances d'obtenir un gros crédit plus tard. Je pense qu'il est dangereux de banaliser la chose, pour moi, prendre un crédit est une décision active, il faut être conscient des répercussions que ça peut avoir sur votre avenir financier. »
Heureusement, comme le rapporte le bureau d'étude Voxburner, on a vu émerger ces dernières années tout un mouvement de décroissance, même chez les « beauty junkies ». On s'encourage à acheter moins ou acheter mieux, voir à ne plus acheter du tout, non pas seulement pour se sentir mieux mais aussi dans un soucis écologique.
D'après Alexia Inge, cofondatrice du site Cult Beauty « On a passé le pic de consommation. Les gens n'achèteront jamais autant qu'ils achetaient hier. « Comme pour tout ce qui nous fait du bien – comme manger, boire, faire du sport, le sexe etc. on a tendance à en abuser. Sauf que dernièrement, les principes de la "fast fashion" sont remis en cause. On aimerait arrêter d'acheter tout et n'importe quoi pour aller vers plus de durabilité, une meilleure qualité et inocuïté des produits etc. Tant mieux. »
Et même s'il est peu réaliste de s'attendre à ce que les jeunes femmes achètent moins de cosmétique, il y a des manières de contourner la sur-publicisation et la tentation du toujours plus. « Dites-vous bien que les produits permanents sont constamment refabriqués. Vous avez le temps de les tester. Pour ce qui est des éditions limitées, mieux vaut passer son tour. Quel intérêt d'acheter un produit que vous ne pourrez pas retrouver par la suite ? » Rappelez-vous que vous ne pouvez pas tout acheter et forcez-vous à finir les fins de tubes avant de racheter un produit. Oui, ça vaut aussi pour vos shampooing et après-shampooing.
Hannah explique qu'elle a fini par arrêter de suivre pas mal d'influenceurs et de marques de cosmétiques sur Instagram, pour éviter la tentation. Et la bonne nouvelle, c'est que le mois prochain sera le premier mois où elle entamera son salaire sans être dans le négatif. « Je pensais vraiment que du nouveau maquillage pouvait me rendre plus heureuse, mais je savais que ce ne serait que temporaire. J'ai fini par réaliser que ce qui me faisait peur, c'était plus de manquer tout court que de manquer de cosmétiques. C'est là que j'ai réalisé qu'acheter autant de maquillage n'était rien d'autre que de mettre un pansement sur une jambe de bois. »
D'après les psychologues, se fixer un budget mensuel et s'y tenir peut vous aider à limiter la casse. Non seulement cela responsabilise, mais ça incite également à n'investir que dans des essentiels, plutôt que de craquer sur toutes les dernières tendances. Effacer régulièrement votre historique peut aussi limiter l'afflux de publicités sur Internet. Encore mieux, installer un AdBlocker, comme uBlock sur Google Chrome. Enfin, pensez à personnaliser vos paramètres sur Instagram pour décider ce que vous voyez.
Si vous souffrez d'addictions, dépressions, anxiété ou de toute autre souffrance psychologique, rendez-vous sur cette page pour trouver un numéro d'écoute adapté à vos besoins.
* Pour préserver l'anonymat des personnes interrogées, les noms ont été changés.