Je suis une écrivaine originaire de Dublin et avant le coronavirus, tout allait bien pour moi.
J'écrivais à plein temps depuis que j'avais signé un contrat pour un livre il y a un an (mon premier livre, Exciting Times, est sorti ce mois-ci). En raison des engagements promotionnels que ça implique, je n'ai pas mené une vie géographiquement stable depuis des mois. Je ne prends pas l'avion en raison de la crise climatique, et je suis facilement épuisée par la socialisation. Je prenais donc le bateau et le train entre le Royaume-Uni et l'Irlande, je parlais aux médias et aux libraires, j'essayais de dire ce qu'il fallait et de faire bonne figure.
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En tant qu'autiste, je trouve qu'il est plus facile de se socialiser une fois que j'ai assimilé le scénario. Pendant des mois, cependant, je me suis retrouvée dans de nouvelles situations, et souvent sans un autre écrivain à proximité pour reproduire ses faits et gestes. Il n'y a rien de tel qu'un changement de circonstances pour me faire comprendre à quel point je compte sur le mimétisme.
Je m'étais également fondée sur la routine. Comme mon lieu de résidence changeait constamment, j'ai trouvé une familiarité sensorielle dans les supermarchés, les cinémas, les cafés. Ils ont des intérieurs similaires de ville en ville, les mêmes produits, les mêmes goûts et textures, les mêmes sons et odeurs. Je déteste mon habitude de faire 10 000 pas par jour après avoir appris que ce chiffre avait été arbitrairement choisi comme outil de marketing pour vendre des podomètres, mais j'ai quand même fait en sorte de les faire entrer dans ma routine. Pour atteindre cet objectif, j'ai dû quitter la maison ; pour quitter la maison, j'ai dû m'habiller, et pour m'habiller, j'ai dû sortir du lit : autant de bonnes habitudes, toutes automatisées par la règle des 10 000 pas.
Puis la pandémie est arrivée.
En mars, je me trouvais à Londres lorsque le confinement en Irlande a commencé. Le Royaume-Uni était derrière le reste de l'Europe en matière d'action gouvernementale. J'avais souvent ma mère au téléphone et sentais la panique sur le Twitter irlandais, tandis que les Londonien·nes autour de moi continuaient à vivre normalement. Je les voyais assis·es dans des restaurants lorsque je faisais ma promenade de santé mentale quotidienne et je sentais que leur vie était complètement parallèle à la mienne.
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Lorsqu'il est apparu clairement que d'éventuelles restrictions de voyage pourraient me bloquer au Royaume-Uni si je n'en sortais pas rapidement, j'ai pris le bateau pour retourner à Dublin à la mi-mars. J'y suis toujours. Avant le coronavirus, j'attendais que la promotion de mon livre se termine pour pouvoir avoir une adresse fixe et mener une vie normale. Comme dans un jeu de chaises musicales, je me suis retrouvée chez mes parents parce que c'était le seul endroit où je pouvais aller quand tout s'est arrêté.
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Ma convalescence de dix ans m'a permis de profiter de la vie, mais aujourd'hui, je me comporte de la même façon que lorsque je ne pouvais pas.
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Après mon retour en Irlande, j'ai dû me mettre en quarantaine pendant deux semaines ; même mes voyages réconfortants au supermarché n'étaient pas autorisés. Les quinze premiers jours sont passés, mais j'ai toujours peur de sortir. Les promenades sont autorisées, mais je suis obsédée par les règles. Je compte les mètres et j'appréhende de les dépasser. L'audace de Mary Typhoïde semble m'avoir échappée.
Rester à la maison a rendu mon monde plus petit et plus calme. Je me sers moins de lunettes de soleil et d'écouteurs que lorsque j'en avais besoin pour faire face à l'afflux audiovisuel des rues bondées. Mais quand quelque chose ne va pas à l'intérieur de moi, ça ne va vraiment pas. J'ai des maux de tête à cause des robinets qui gouttent ou de l'odeur du désinfectant. Parce que je suis dans la maison de mes parents, et parce que je fais ce que j'ai fait pendant une longue dépression nerveuse à l'adolescence - ne jamais quitter la maison - il y a un sentiment inévitable de régression. Ma convalescence de dix ans m'a permis de profiter de la vie, mais aujourd'hui, je me comporte de la même façon que lorsque je ne pouvais pas. Je suis une personne solitaire, mais ça ne veut pas dire que j'aime être seule dans une maison pour un futur prévisible.
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Avant le coronavirus, je tombais régulièrement dans des "spirales climatiques", où je ne pouvais pas me concentrer sur ma situation immédiate parce que j'étais trop absorbée par la réalité du réchauffement de la planète. Je n'ai pas pris l'avion pour des raisons similaires à celles qui font que les gens respectent la distanciation sociale actuelle : refuser une urgence devient finalement plus stressant que de s'y adapter. Je déteste ne pas savoir comment la pandémie va se dérouler et je déteste ne pas être en mesure de faire abstraction de ce que je déteste ne pas savoir. Il semble plus productif de suivre l'actualité toute la journée, parce qu'au moins de cette façon, j'apprends quelque chose et mes craintes sont quelque peu ancrées dans la réalité. L'alternative à la recherche effrénée, pour moi, tend à être une spéculation tout aussi effrénée. Je ne peux pas ne pas penser au coronavirus.
Mais au quotidien, il semble que je ne sois pas aussi sensible aux changements que ne le sont les neurotypiques (personnes non-autistes). Je suis relativement insensible aux rituels et aux objets ; je vois des auteur·es débutant·es qui désespèrent de ne pas pouvoir serrer la main de leurs lecteur·rices ou de voir leur livre dans les magasins et qui se demandent si je ne suis pas antipathique de ne pas partager leur déception. Mais je pense que c'est du capacitisme internalisé qui parle, alors qu'en réalité je suis juste câblée différemment.
Le même capacitisme internalisé me crie que j'ai tort de voir quelque chose de positif dans mon changement de situation. Mais il est juste que les personnes handicapées, y compris les autistes, soulignent que de nombreux aménagements qu'on voit émerger aujourd'hui auraient pu être accordés plus tôt si les gens s'étaient souciés de l'accessibilité. Je trouve qu'il n'est pas adapté pour une autiste de devoir promouvoir mon travail en personne pour de nombreuses raisons : la socialisation, la surcharge sensorielle, les exigences organisationnelles et pratiques. Il a fallu que j'accepte tout ça comme le coût d'une carrière d'écrivaine. Mais dès que les auteur·es neurotypiques ont eu besoin de s'adapter à distance, alors là, les choses ont changées.
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D'aussi loin que je me souvienne, j'ai oscillé entre porter un masque et le burnout. Avec les meilleures intentions, le neurotypique me rassure souvent en me disant que je m'en sors bien - mais c'est exactement le problème pour moi. Ce n'est pas que je ne puisse pas communiquer avec eux, mais le niveau de performance et de décision qu'ils exigent est totalement insoutenable. Ça épuiserait n'importe qui de devoir le faire si longtemps. Je peux maintenir une interaction sociale conventionnelle pendant un certain temps, et puis je m'effondre. J'ai souvent souhaité être enfermée ; non pas parce que j'aime être confinée à la maison, mais parce que je ne peux plus continuer à vivre ma vie.
Ma situation est bien sûr spécifique. L'autisme n'est jamais le seul spectre que les autistes occupent, et ce n'est pas toujours le facteur le plus important qui façonne notre expérience du confinement. Comme l'a relevé l'activiste autiste Riah Person, les Noirs "sont plus susceptibles de ne pas présenter de symptômes [du coronavirus] ou d'avoir accès à des soins", ce fameux exemple.
Les tâches familiales affectent également la vie en confinement. J'ai contacté une communauté de femmes autistes pour savoir comment elles s'en sortaient. Dans l'ensemble, les personnes qui n'ont pas de responsabilités familiales ou qui ne sont pas des personnes à risque semblent partager davantage mon calme. Ma famille est composée d'adultes et est heureuse de me laisser à mes propres occupations, mais les mères autistes ont plus de mal à protéger leur temps de recharge. Kay Kerr, originaire d'Australie, qui a des enfants, m'a dit que "le manque de temps pour se retrouver seule est vraiment difficile", bien que, comme moi, elle "apprécie la réduction du nombre de sorties et le rythme plus lent".
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Tout le monde se demande comment le confinement va progresser, mais les autistes sont confronté·es à une question supplémentaire : le nouveau monde nous accueillera-t-il mieux ?
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Parmi les femmes à qui j'ai parlé, j'ai senti une discorde interne généralisée pour trouver des endroits de réconfort dans une période de peur et de tristesse quasi universelle. Amy Crean, en Irlande, a déclaré qu'elle partageait ma "culpabilité d'être soulagée" tout en notant que les autistes sont toujours confronté·es à "l'habituel insensibilité" que tout le monde partage.
Mais les personnes autistes ont également fait face à ces difficultés dans l'ancien monde. Grace Kenny a noté : "J'ai beaucoup moins de responsabilités maintenant, alors j'utilise ce temps pour trouver de nouveaux mécanismes d'adaptation au stress quotidien, comme par exemple répondre à des textos".
La Londonienne Charlotte Watson a partagé mes sentiments contradictoires et a convenu qu'il y avait une nouvelle solidarité en partageant ces problèmes. "J'aime bien avoir un exutoire "légitime" pour diriger mon anxiété, un exutoire que les autres comprennent".
Avant la pandémie, les membres de la communauté autiste s'adaptaient constamment pour s'intégrer à la société. Maintenant, on a l'impression que les neurotypiques s'adaptent aussi. Tout le monde se demande comment le confinement va progresser, mais les autistes sont confronté·es à une question supplémentaire : le nouveau monde nous accueillera-t-il mieux ? Nous avons vu combien il est possible de changer rapidement les modalités de travail, mais ça ne s'est pas produit parce que la société a commencé à écouter les personnes autistes ; nous avons accessoirement bénéficié des ajustements dont les non-autistes avaient besoin. Pas étonnant que nous soyons si nombreu·ses·x à nous sentir en contradiction avec la nouvelle normalité.
Exciting Times de Naoise Dolan est sorti le 16 avril, disponible sur la fnac.