Samedi dernier, je suis montée dans un train pour la première fois depuis le début de l'année. J'étais avec une bonne copine à moi et on s'apprêtait à rendre visite à une autre amie qui a quitté la ville au début de la pandémie. Alors que nous étions assises l'une à côté de l'autre, et que nous discutions en personne (!), les efforts physiques nécessaires pour communiquer étaient perceptibles. Les annonces du train étaient fortes et dérangeantes, le bruits des autres groupes qui papotaient étaient presque d'un autre monde dans la mesure où ils étaient distrayants. Je devais constamment me concentrer sur ce que mon amie disait, car nos masques et la distance entre nous rendaient difficile de nous entendre, et le manque de signaux non-verbaux rendait notre conversation presque austère. J'étais tellement excitée de voir mes amies, mais avant même d'avoir atteint notre destination, je pouvais sentir à quel point je manquais de pratique. C'était épuisant.
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Si vous avez revu du monde lors de l'assouplissement des restrictions sanitaires, vous avez probablement ressenti un mélange similaire d'excitation, d'anxiété, de maladresse et d'épuisement. Ce n'est pas vraiment surprenant : après tout, nos compétences sociales ont été à peine pratiquées pendant plus d'un an. Fanny Lalot est associée de recherche à l'école de psychologie de l'université de Kent et a mené des recherches sur la cohésion sociale au Royaume-Uni pendant le COVID-19. Elle affirme que les confinements et la distanciation sociale ont eu un impact évident.
"À court terme, nos compétences sociales vont probablement nous sembler un peu rouillées !", explique-t-elle à R29. "Les interactions sociales sont marquées par un certain nombre de codes sociaux, ou normes, que nous connaissons tous et suivons dans une certaine mesure : comment saluer une personne, comment engager une conversation, comment s'habiller pour des événements professionnels ou de loisirs spécifiques, etc." Durant le confinement, tout cela a radicalement changé, de notre façon de nous vêtir à la façon dont nous communiquons. Revenir à la situation d'avant risque de nous sembler étrange, car nous devons nous réhabituer à ces codes sociaux.
"Cependant, me rassure Fanny, nos compétences sociales n'ont pas totalement disparu. Elles ont juste besoin d'être pratiquées à nouveau".
Mais tout comme vous ne devriez jamais vous lancer dans un marathon sans vous être entraîné·e régulièrement, le renforcement de vos muscles sociaux ne peut pas se faire en une seule séance intense. Pour les ramener au niveau que vous souhaitez, il est important de comprendre ce qui rend la vie sociale plus difficile avant d'apprendre à négocier ces frontières. Ce n'est pas seulement parce que nous manquons de pratique (bien que ce soit un facteur important) ; les impacts physiques des confinements et d'une communication "Covid-safe" rendent également les choses plus difficiles.
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Certaines données suggèrent que l'année écoulée a eu un impact négatif sur notre cerveau : on pense que l'isolement prolongé affecte les fonctions cognitives, en particulier la mémoire verbale. En d'autres termes, notre capacité à nous souvenir de phrases ou de moments est liée à la quantité de stimulation interactive que nous recevons - et en tant que créatures sociales, nous avons besoin de beaucoup de stimulation interactive pour maintenir notre cerveau en forme. Par conséquent, si vous parlez à quelqu'un et que les mots vous manquent, c'est probablement dû à un manque de conversation régulière.
Parallèlement, il existe désormais des obstacles physiques à la socialisation, à savoir les masques et la distanciation sociale. Comme l'a expliqué Chris Segrin, professeur de communication à l'université d'Arizona, à The Cut, il existe des raisons physiologiques pour lesquelles il est actuellement épuisant d'être sociable. "Lorsque vous communiquez à distance, vous devez utiliser beaucoup plus d'air pour parler... Nous devons projeter beaucoup plus délibérément, et c'est épuisant sur une longue période". Les masques ne se contentent pas d'étouffer notre discours - ils couvrent également une multitude de signaux non-verbaux. Un visage à moitié couvert est deux fois moins expressif.
Et puis il y a les barrières psychologiques. La pandémie nous a appris non seulement à éviter le contact, mais aussi à nous méfier des autres. "Toutes les personnes que l'on croisait présentaient un risque potentiel de contamination, avons-nous appris, et il fallait s'en éloigner (littéralement, de préférence à un mètre)", souligne Fanny. "Cela a probablement créé un sentiment de suspicion ou du moins de malaise dans les interactions sociales, qui va mettre du temps à disparaître".
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Cette méfiance à l'égard des autres joue sur de nombreuses angoisses persistantes. Alors que les règles s'efforcent de définir clairement quel type d'interaction est légal ou non, les psychologues ont constaté une augmentation du nombre d'adultes se disant stressé·es par les situations sociales, qu'il s'agisse de ne pas savoir comment conclure une interaction sans une poignée de main ou une bise ou de ne plus avoir de sujets de conversation.
"Certains amis et membres de la famille peuvent, pour une raison ou une autre, être réticents à se voir, même en petits groupes", explique Gill Hasson, auteur de Communication : How To Connect With Anyone. "Certaines personnes peuvent se sentir plus en sécurité et plus en confiance en voyant une seule personne à la fois. D'autres encore peuvent ne pas vouloir se retrouver uniquement dans des lieux publics". L'année écoulée a été difficile pour tout le monde, mais elle a affecté chacun·e d'entre nous différemment. Il est impossible de tenir compte des limites de chacun·e sans en parler explicitement au préalable.
En tenant compte de tous ces facteurs, quelle est la meilleure façon de renforcer vos muscles sociaux ?
Comme pour tout autre groupe musculaire, la méthode la moins fatigante et la plus productive consiste à le faire travailler lentement et à intervalles réguliers.
Le conseil de Fanny est de commencer simplement, avec un tout petit groupe et de prévoir quelque chose à faire. "Avoir une activité ou une forme de contexte aidera à structurer et à donner le coup d'envoi de ces retrouvailles. Cela donnera aussi quelque chose à raconter, à un moment où beaucoup d'entre nous ont probablement l'impression de ne pas avoir grand-chose à dire".
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Elle pense que plus nous avancerons sur la feuille de route de l'après-confinement, plus ce sera facile. "Plus cela ressemble à des choses que vous faisiez avant, plus il sera facile pour les vieux réflexes de se mettre en place. En un mot, acceptez les appréhensions pour mieux les surmonter, restez naturel et laissez le temps suivre son cours". Dans cette optique, vous pouvez profiter du rythme relativement lent de l'assouplissement des restrictions pour vous entraîner à vous refamiliariser avec les situations sociales.
Fanny met également en garde contre le fait de trop penser à la socialisation et souligne l'importance d'être ouvert·e au fait que tout est étrange, en particulier si vous ressentez de l'appréhension ou si vous avez des difficultés. Mentionner la difficulté de communiquer à travers un masque ou l'impression bizarre de parler en personne permet de reconnaître le problème. "Nous avons tous été confrontés à cette [pandémie], et les gens seront plus indulgents que vous ne le pensez si vous agissez ou dites quelque chose de légèrement maladroit".
La chose la plus importante est de vraiment s'écouter les uns les autres. Il est essentiel de respecter la zone de confort des autres et de ne pas essayer de forcer qui que ce soit à s'engager dans des environnements ou des situations pour lesquels il n'est pas encore prêt. "Nous allons devoir respecter les préoccupations et les limites de chacun, négocier et faire des compromis afin de nous rencontrer et de nous sociabiliser d'une manière qui réponde aux [besoins] de chacun", explique Gill. Si nous ne le faisons pas, cela pourrait pousser certains·e à éviter toute socialisation - et l'évitement peut engendrer plus d'évitement.
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Au lieu de considérer cette situation comme un problème, nous devrions y voir une opportunité de redécouvrir nos limites, de découvrir ce qui nous a manqué dans la vie sociale et d'apprendre à écouter l'autre à nouveau. Kate Murphy est journaliste et auteur de You're Not Listening : What You're Missing and Why It Matters. Elle fait remarquer à R29 qu'en matière de relations sociales et d'écoute, "il n'y a rien de tel que la privation pour vous faire apprécier ce que vous avez perdu". En conséquence, on assiste à une résurrection des traditions consistant à écouter les histoires des uns et des autres." Maintenir et raviver les capacités d'écoute, même dans un contexte de distanciation sociale, peut être un moyen de rendre les environnements sociaux beaucoup plus attrayants qu'ils ne l'étaient avant la pandémie. Cela peut ensuite nous aider à surmonter le chagrin, le traumatisme et l'espoir collectifs de 2020.
Lorsque je suis rentrée chez moi après mon après-midi avec mes amies, j'étais épuisée, mais aussi heureuse. Notre fatigue et notre maladresse relatives ont contribué à ce que le temps que nous avons passé ensemble soit engageant, optimiste et joyeux. Même si cela demande un peu plus d'efforts, sortir m'a permis de me sentir beaucoup plus stimulée que je ne l'avais été depuis des mois.
Si vous inquiétez toujours au sujet de vos compétences sociales, Fanny pense qu'il est peu probable qu'il y ait un impact à long terme. Sur la base de ses recherches, elle pense que la plupart des adultes vont rebondir assez rapidement et se sentir de nouveau à l'aise en compagnie d'autres personnes. "Même si les confinements semblent avoir duré une éternité et que de nombreuses personnes se sont senties seules durant cette période, il est peu probable que l'on ait jamais été complètement coupé de la société (comme dans Seul au monde). Nous avons maintenu des interactions de base, nous avons vu d'autres personnes, nous nous sommes parlés au téléphone, nous avons suivi les actualités, etc. Il est donc peu probable que la situation ait été suffisamment grave pour produire des effets désastreux et durables".
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