De nos jours, quand on regarde du côté des réseaux sociaux, des magazines, et même des campagnes de mode des créateur·ices on pourrait penser que nous avons fait beaucoup de progrès. Et à bien des égards, c'est vrai. La représentation est de plus en plus importante et l'idée de mettre en valeur tous les corps gagne du terrain. Mais la culture du régime et son souci du développement personnel restent aussi insidieux et envahissants que jamais.
Les discours sur l'image corporelle des années 50, 60 et jusque dans les années 2000 nous laissent certes sans voix et on se demande comment les marques ont pu s'en tirer avec un marketing aussi ouvertement irresponsable. Mais la culture du régime n'a pas réellement disparu, elle s'est simplement métamorphosée. Une simple recherche sur Google m'a permis d'obtenir 98 600 000 de résultats pour "perte de poids" et 10 720 000 000 pour "régime". En tapant pratiquement n'importe quelle partie du corps, on obtient le terme connexe "workout", ainsi que de nombreuses publicités promettant "Résultats, instantanés, prouvés !"
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Mais bien sûr, nous ne pouvons pas parler de la culture du régime sans parler de capitalisme. Dans un monde de surconsommation où le fait d'être joli·e peut vous rapporter des milliards, les spécialistes du marketing travaillent dur pour continuer à vendre le rêve de la perfection physique. Franchement, ce n'est pas très difficile. Mais malgré un mouvement croissant en faveur de la body positivity, les jeunes continuent de développer une dysmorphie corporelle et des troubles de l'alimentation à un rythme alarmant.
Afin d'attirer l'attention sur la question complexe de l'image corporelle et sur la façon dont elle est utilisée contre nous, nous nous sommes entretenus avec Joyce Tam, médecin et responsable de la ligne d'assistance nationale de la Butterfly Foundation en Australie.
Les idéaux corporels irréalistes ne datent pas d'hier, commence Tam, mais ces idéaux ont considérablement évolué. "Dans les années 50, l'accent était mis sur les stars de cinéma comme Marilyn Monroe, qui arborait une silhouette galbée, avant que les années 60 ne célèbrent des top-modèles comme Twiggy, au corps extrêmement mince. Dans les années 80, l'accent a été mis sur le fitness, avec une préférence pour les silhouettes musclées et toniques, puis les années 90 sont devenues synonymes du fameux look "héroïne chic" arboré par certains des plus grands top models de l'époque", explique-t-elle. "Aujourd'hui, les règles du jeu ont changé une fois de plus, et la silhouette en sablier est de nouveau en vogue grâce à certaines stars de la télé-réalité. Tout au long de l'histoire, les images de la "beauté" se reflètent dans la culture du régime, et ce qui est considéré comme "esthétique" est en constante évolution."
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Alors pourquoi sommes-nous encore si attaché·es à notre tour de taille et à nos kilos "superflus" ? Selon Tam, ce n'est pas de notre faute. "La culture du régime est ancrée [dans notre culture], et il faut réfléchir activement pour ne pas se laisser influencer par ces modèles sociaux."
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Tous ces messages contradictoires peuvent peser lourd sur le moral.
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"En 2019, le marché du régime et de la perte de poids était évalué à 192,2 milliards de dollars, et ce chiffre devrait atteindre 295,3 milliards de dollars d'ici 2027", souligne Tam. "C'est un marché qui est explicitement conçu pour pousser les gens à croire qu'ils ne sont pas assez bien, que leur corps doit être transformé, et que ce n'est qu'une fois que vous aurez atteint le summum de la réussite, c'est-à-dire la perte de poids et l'idéal de minceur, que vous serez heureux." Après tout, ce n'est pas exactement le corps qui nous est commercialisé, mais ce qui vient après, comme si toutes les autres pièces imparfaites de notre vie allaient s'assembler comme un puzzle une fois que nous aurons atteint cet objectif. Si nous pouvions ressembler à X, nous serions heureuses·x, et le bonheur se vend toujours très bien.
Mais alors, que penser de tous ces changements ? Trop souvent, on nous sert la diversité corporelle et la représentation des tailles sous ses formes les plus appétissantes - des personnes de taille non-standard avec une taille parfaitement dessinée et une peau lisse, par exemple. Bien sûr, les normes du secteur de la beauté, du bien-être et de la mode exigent désormais que les marques fassent appel à un casting diversifié, sous peine d'être critiquées ou "cancel". Mais c'est là que le bât blesse. On nous fournit juste assez de diversité pour que ces corps soient encore considérés comme "différents", et on nous fait croire que ces miettes sont des victoires majeures. Mais ce sont les marques qui sont célébrées, pas vraiment les personnes, et ces événements marquants peuvent tendre vers le tokénisme et l'engagement de façade.
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Il est alarmant de constater qu'une grande partie de cette publicité est efficace. On nous a en quelque sorte vendu l'idée que la culture du régime et toute sa propagande anti-gros sont mortes. Mais est-ce vraiment le cas ? Ou a-t-elle simplement trouvé des moyens de se renouveler et de se diversifier ? Nous le voyons non seulement dans les salles de sport, les boissons diététiques ou les publicités pour la perte de poids, mais aussi dans le monde de la mode, de la beauté et de la santé. Tout à coup, nos fesses plates ne rendent pas bien dans les jeans que nous avons toujours aimés, notre peau texturée ne convient pas à cette libération "no makeup makeup", et nos algorithmes sociaux sont truffés de personnes joyeuses et minces, qui vivent supposément leur meilleure vie.
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Mais bien sûr, nous ne pouvons pas parler de la culture du régime sans parler du capitalisme.
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Tous ces messages contradictoires peuvent peser lourd sur le moral. Le mouvement radical pour l'amour de soi (Radical self-love movement) a fait pression pour libérer le corps, et bien que ses intentions soient nobles, ce dernier n'a tout simplement pas tenu. La contrainte de s'aimer tel que l'on est dans un monde qui nous dit de ne pas le faire est assez pénible, et il est facile de se laisser aller à des sentiments de culpabilité et d'échec. Bien sûr, l'amour de soi est aussi devenu une machine marketing à part entière. Mais il ne suffit pas de dire aux gens d'ignorer des idées reçues ancrées depuis toujours.
Le problème ne concerne pas seulement les médias et les marques, mais aussi les institutions. Une étude multinationale révolutionnaire menée par la Butterfly Foundation auprès de près de 14 000 adultes en Australie, au Canada, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis a révélé que 66,6 % des participants avaient été victimes d'une stigmatisation liée à leur poids lors d'une consultation médicale. Les patients en surpoids sont également identifié les médecins comme l'une des sources relationnelles les plus courantes de stigmatisation en raison du poids.
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Et maintenant, nous sommes confrontés à une pandémie mondiale. Avec une consommation d'écrans qui n'a fait qu'augmenter pendant le confinement, l'association de styles de vie et ses liens avec l'image corporelle sont devenus monnaie courante.
"Pour de nombreuses personnes, la pandémie a eu des répercussions sur les habitudes alimentaires et l'exercice physique", explique Tam. Malheureusement, cela a donné lieu à un discours important de la part de l'industrie des régimes sur la prise de poids pendant les périodes de confinement. Ce type de message est extrêmement problématique dans une période déjà stressante, la recherche suggérant qu'une exposition accrue aux messages stigmatisant le poids sur les réseaux sociaux a été associée à une plus grande symptomatologie de troubles alimentaires au cours de cette période."
"Les gens n'ont pas besoin qu'on leur dise qu'ils doivent ressembler à telle ou telle chose alors que le monde commence à peine à se revenir à la normale... Nous devrions plutôt profiter de cette période pour faire preuve de bienveillance envers nos corps, et être reconnaissants qu'ils nous aident à traverser une pandémie unique en son genre."
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Nous devrions profiter de cette période pour faire preuve de bienveillance envers nos corps.
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Il est facile de relever ces problèmes lorsque l'on y réfléchit activement. Mais lorsque nous sommes pris dans les aléas du quotidien, nous pouvons perdre de vue ce qui a du sens. Nos vies ne sont pas exactement organisées comme celles des Kardashian et des mannequins Instagram du monde entier, contrairement à ce que le piège de la comparaison des réseaux sociaux peut nous laisser croire.
En définitive, il n'y a pas de modèle unique en matière de forme physique, et il convient toujours de demander des conseils de santé à des professionnels en qui l'on a confiance. La santé mentale joue un rôle essentiel dans notre bien-être général, alors soyez bienveillant envers vous-même et envers les autres - et demandez de l'aide si votre situation commence à vous peser.
"Avant tout, rappelez-vous que la culture du régime ne peut pas vous priver de votre valeur innée en tant que personne", dit Tam. "Nous valons tellement plus que notre corps, notre poids et notre apparence".