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En tant que femme trans, il n’y a rien que je désire plus que d’être mère

Photo : Sally Anscombe/Getty Images.
Il m'aura presque fallu la totalité de mes cinquante et quelques années pour réussir à exprimer quelque chose que j'ai trop longtemps refoulé. Un secret profond et sombre, façonné par la tristesse. Ce secret, c'est que j'ai toujours rêvé d'être mère. J'ai toujours voulu être mère. Je me suis toujours imaginée comme mère et je pleure de ne pas l'être. 
Quand j'étais à l'école primaire, mon institutrice m'a demandé : "Qu'est ce que tu veux faire quand tu seras grand ?" 
"Je veux être comme ma maman", ai-je répondu, "avoir un gros ventre rond plein de bébés. Je veux être une maman." 
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Elle a souri, ri puis répondu : "Tu n'a pas envie de ça." 
Quand je dis aux gens que ce qui me rend le plus triste, ce qui me fait le plus souffrir, c'est de ne pas être mère, ils me répondent au choix : "Tu ne sais pas la chance que tu as", "J'aimerais que quelqu'un me débarrasse du mien !" et le plus courant : "Les enfants, c'est tellement de soucis, c'est pour ça que tu as l'air si jeune !". 
Quelle chance j'ai, hein ? 
Je suis consciente que les enfants peuvent être un casse-tête et je sais que l'on ne cesse probablement jamais de s'inquiéter pour eux, et je suis consciente qu'ils peuvent vous vieillir, et je suis consciente que l'on peut parfois les regretter - juste de temps en temps. Mais je ne ferai jamais vraiment l'expérience de tout cela parce que je ne suis pas mère.
Je crois sincèrement que c'est ce pourquoi je suis née, être mère, mais les circonstances, les moments que j'ai vécus et mon manque de courage - me poussant à croire que je ne pouvais pas faire cela toute seule en adoptant en tant que femme trans séropositive - ont fait que je ne suis pas devenue mère. Étrangement, en vieillissant, la douleur ne s'est pas atténuée. Je m'attendais à ce que ce soit le cas. Je pensais que le fait d'avoir une vie en apparence confortable me suffirait. Je pensais que je serais plus absorbée par les livres, les mots, les fleurs, les arbres, l'art, les promenades, mes chiens, mon travail. Mais ça ne suffit pas.
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Ma douleur ne cesse de grandir. Je sais que cela peut ressembler à une douleur confortable, un peu bourgeoise, et que, à bien des égards, je devrais simplement me taire et peut-être me contenter d'une réflexion silencieuse. Mais en écrivant cela, j'ai l'impression de mettre en lumière quelque chose qui a occupé une grande partie de ma vie - et qui me laisse pourtant un sentiment de vide. 
Je me suis retrouvée dans le pétrin pour avoir vendu de la méthadone et ma première pensée a été "que vont penser mes enfants de moi ?" Et puis, "Je ne pourrai jamais adopter désormais". 
Je me souviens de la honte qui régnait dans mon école lorsqu'une fille de 13 ou 14 ans est tombée enceinte. La nouvelle a traversé l'école comme une chaude brise d'été ; les ragots, l'horreur. J'étais en cours d'histoire quand je l'ai appris et je me suis sentie étourdie. J'avais les larmes aux yeux. J'ai fixé le tableau noir et j'ai su que son monde était le monde que je voulais ; je voulais échanger : je voulais éprouver sa honte et avoir son ventre.

Je ne voulais pas vraiment enseigner. Ce que je voulais, c'était être une maman et faire mes devoirs avec mes enfants.

Je me souviens que ma conseillère d'orientation m'a demandé ce que je voulais faire après le lycée. Des mots familiers me sont venus à l'esprit : "être une mère", mais ils sont sortis pêle-mêle. 
J'ai dit quelque chose du genre : "Que pensez-vous que je devrais faire ?"
Elle a répondu : "Peut-être quelque chose dans l'art et le design ?" Ma carrière est une collection de coups de chance. 
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Pour être honnête, avant d'enseigner, je n'ai jamais ressenti le moindre lien avec ce que je faisais : l'art, le travail de bureau, les plantes, les arbres, la collection, le stylisme, les disques, la livraison, la vente. Je me suis toujours sentie complètement détachée. L'enseignement m'a ramenée à mon désir d'être parent. Cela me passionnait, mais cela me rendait triste. Parce que je ne voulais pas vraiment enseigner. Ce que je voulais, c'était être une maman et faire mes devoirs avec mes enfants. 
J'ai décidé que je devais faire une transition, assise dans le jardin du musée d'art d'Oakland en Californie. J'étais là pour voir des amis durant mes vacances. Je regardais à travers une sculpture en acier de Carl Andre, peinte en jaune bouton d'or, vers un ciel bleu radieux, puis vers le bas, le long des lignes jaunes tranchantes, vers une rangée d'agapanthes lilas-pourpre parfaitement cultivées qui se balançaient imperceptiblement, puis vers le bas, le long de leurs tiges vert acide, vers une pelouse bordée d'acier. Des lignes parfaites, des bords parfaits maintenus serrés, des frontières définies. Je sanglotais en sentant que tout en moi était tellement indéfini, tellement imparfait. 
J'étais une enseignante qui redoutait l'école tous les jours parce que je voulais la simplicité de la parentalité, mais j'étais maintenant une directrice dans une très grande école, portant des vêtements d'homme. Je savais que toutes ces années à vouloir un vagin, un utérus, à vouloir avoir le bon corps et à vouloir être vue comme moi, la vraie moi, avaient enfin abouti. Je voulais préparer des repas. Je voulais être une maman. Je voulais être robuste comme une pièce de Carl Andre. Je voulais devenir moi. Je voulais qu'on m'embrasse et qu'on m'aime. Ma vie a changé à ce moment-là. J'aurais aimé vivre ce moment des années plus tôt et trouver un moyen de devenir mère. 
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Mes amis de mon âge sont maintenant ravis d'avoir des petits-enfants, et mes amis plus jeunes sont fiers d'annoncer que leurs enfants passent de l'école primaire au collège. 
Je voudrais ne pas être jalouse. Je voudrais ne pas me sentir triste, je voudrais partager cet instant et ressentir de la joie parce que les enfants sont joyeux. Mais ce n'est pas le cas. J'ai l'impression de vouloir me cacher loin de leur joie. Me cacher d'autres personnes dont la vie change, dont la vie est liée de génération en génération par l'amour à d'autres personnes avec qui ils rient, avec qui ils désespèrent et avec qui ils font des projets. 
Ma merveilleuse mère - qui est la mère que j'aimerais être (au grand cœur) - m'a dit que je pouvais toujours devenir famille d'accueil. Je pense qu'elle sait vraiment quel genre de mère j'aurais pu être. "Je suis bien trop vieille maman et je suis trans et séropositive. Je ne suis pas sûre que quelqu'un me laisserait devenir famille d'accueil, tu ne crois pas ?" "Ils seraient bêtes de refuser." a-t-elle répondu.

Il semble que nous, les femmes transgenres, ne sommes autorisées à parler que de certaines choses, comme le fait d'être nées dans le "mauvais corps", mais pas de l'absence d'un utérus et de ne pas être mère.

Peut-être qu'elle a raison. Peut-être que je pourrais encore accueillir un enfant, ou même adopter. Je sais que je ferais une excellente mère - c'était le cas lorsque j'étais institutrice. Je savais ce dont ma classe avait besoin, pas seulement en termes d'apprentissage mais aussi de limites, de soutien, de soins. J'adorais mes élèves. Je me réjouissais de voir leur énergie débordante envahir ma salle de classe le matin, leurs esprits brillants absorbant de nouveaux éléments du monde qu'ils découvraient pour la première fois. 
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Les enfants sont des êtres brillants. J'adore la façon dont ils font des bonds en avant là où on imagine qu'il y avait de minuscules pas à franchir et je suis impressionnée par les choses qu'ils trouvent instructives. Je me sens extrêmement protectrice face aux choses qu'ils trouvent intimidantes. 
J'aurais aimé passer par là avec mes propres enfants. Les voir se développer, grandir et changer est une partie essentielle de la vie qui m'a manqué. Je sais que les gens pourraient dire que c'est différent quand ils sont à toi "vingt-quatre heures sur vingt-quatre", mais je rêve de négocier ces espaces avec mes enfants. J'ai l'impression de les avoir vus vieillir avec moi, ma couvée inexistante. 
Devrais-je essayer de devenir famille d'accueil ? D'adopter ? J'ai besoin de prendre un moment avec ces mots sur la page. À bien des égards, le VIH m'a ôté l'idée que cela puisse jamais arriver. Est-ce que c'est possible, est-ce que ça pourrait être possible à présent ? 
Il semble que nous, les femmes transgenres, ne sommes autorisées à parler que de certaines choses, comme le fait d'être nées dans le "mauvais corps", mais pas de l'absence d'un utérus et de ne pas être mère. Nous pouvons parler du désir d'avoir un vagin, mais pas de l'intimité du sexe tendre.
Si un enfant exprime son désir de transition à 8, 10 ou 14 ans, je pense qu'il faut le laisser faire et le soutenir. L'un d'entre eux, voire beaucoup d'entre eux, ont des rêves à réaliser : devenir explorateur·ice, enseignant·e, artiste, un mari, un père, ou comme moi, devenir une mère.
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