Peut-être avez-vous déjà eu l'occasion d'apercevoir le travail de la photographe Sophie Harris-Taylor. Sorti en 2018, son projet Epidermis, une série de portraits célébrant la beauté des problèmes de peau courants, est devenu viral sur Instagram. Dans une série plus récente, elle explorait le manque de soutien apporté aux hommes qui deviennent papa. Et puis il y a eu Milk, une exploration sincère des réalités de l'allaitement. Ces images intimes, personnelles et sensibles sont toutes inspirées de la vie de Sophie : son rapport à l'acné, son compagnon devenu père et son expérience de l'allaitement. Mais il est rare de voir la photographe tourner l'objectif sur elle-même. Du moins, jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte pour la deuxième fois.
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Sophie a géré un trouble alimentaire pendant toute sa vie d'adulte – selon ses propres termes : "Je suis en rémission depuis 15 ans, même si je ne sais pas trop ce que ça veut dire." Sophie savait que le gérer durant la grossesse serait essentiel. Lors de sa première grossesse, elle a confié à R29 : "Je savais que j'avais de la chance de tomber enceinte et que je devais travailler avec les médecins et une équipe spécialisée de l'unité des troubles du comportement alimentaire pour m'aider à avoir un bébé en bonne santé." Si cela a été difficile, la naissance de son premier fils a été une expérience formidable. Sophie s'est donc dit qu'elle pourrait à nouveau gérer le processus.
Mais elle s'est rendu compte que la grossesse ne devient pas plus facile avec la pratique. "En réalité", partage-t-elle, "j'ai trouvé la deuxième fois beaucoup plus difficile. Un trouble du comportement alimentaire est lié au contrôle et, pendant la grossesse, le corps est complètement incontrôlable : il change rapidement, et toutes les choses qui ont toujours été terrifiantes pour moi se produisent inévitablement." Et contrairement à la première grossesse de Sophie, où elle était accompagnée tout au long du processus, elle n'a pas eu accès aux mêmes spécialistes la seconde fois.
Sophie a donc dû affronter ses conflits internes sans l'aide d'un·e spécialiste.
"Ma grossesse n'était pas un accident", explique-t-elle. "Je désirais vraiment un·e autre enfant, mais je n'avais pas envie de vivre la grossesse. Il est évident que lorsqu'on est mère, on veut faire ce qu'il y a de mieux pour son enfant. Je savais que je devais le faire pour avoir un bébé en bonne santé, et c'est ce que je voulais. Mais en même temps, la partie de moi qui souffre d'anorexie se sentait vraiment coupable et avait l'impression d'échouer. J'avais constamment l'impression de me battre contre moi-même."
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Au milieu de cette agitation, elle a commencé à documenter sa vie et ses pensées.
"J'ai fait une grosse dépression. J'ai réussi à obtenir de l'aide, mais parallèlement, j'ai commencé à prendre des photos de moi et à noter ce que je ressentais. Quand vous êtes dans une mauvaise passe, vous avez tendance à vous dire que toutes vos pensées n'ont aucun sens, alors je les notais et je prenais des photos ponctuellement. C'est ainsi que le projet est né." Ces images et citations vulnérables et brutes à la fois sont compilées dans un projet intitulé Showing. À travers les autoportraits de Sophie, l'amour qu'elle porte à sa fille se frotte à un malaise viscéral. Entrecoupées de gros plans de sa peau et de silhouettes pliées, on découvre les pensées de Sophie, notées durant sa grossesse :
"Je ressens de l'amour, mais pas d'excitation. Je me sens vidée, mais pas stimulée. Je me sens seule, mais je ne suis pas seule, je suis rarement seule."
"Les calculs incessants me donnent le tournis. Un esprit déformé, une vue déformée."
"Toutes deux vulnérables."
"Je me sens coupable de ne pas chérir ces moments."
Ici, la grossesse, l'accouchement et les débuts de la maternité ne sont pas édulcorés. Sophie a cherché à donner une visibilité aux expériences de la grossesse qui sont si souvent masquées par la honte : un sentiment de déconnexion avec son corps, une difficulté à se reconnaître dans les récits que l'on entend habituellement, l'impact d'une maladie mentale sur la situation.
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"J'ai l'impression que nous glorifions beaucoup la grossesse", dit Sophie. "Si vous annoncez que vous êtes enceinte, on va vous féliciter, car pour de nombreuses personnes, être enceinte est quelque chose de vraiment incroyable. De nombreuses de femmes se sentent encore plus à l'aise dans leur corps parce qu'elles ont un sentiment de puissance ultime. Mais je crois que beaucoup de femmes éprouvent aussi le sentiment inverse. Et personne n'en parle vraiment. On ressent beaucoup de honte en abordant ce sujet."
En parlant de ces difficultés, Sophie a non seulement documenté son expérience, mais aussi créé ce qu'elle a elle-même recherché pendant les neuf mois de sa grossesse.
"Il n'y avait que peu d'articles disponibles au sujet de la grossesse et des troubles du comportement alimentaire, dit-elle. Je dévorais tous les articles qui écrits à la première personne. Je les trouvais vraiment utiles parce qu'ils me donnaient l'impression de ne pas être seule à vivre ces expériences.
"C'est pourquoi il est important pour moi aujourd'hui de partager une partie de mon travail."
La maternité et le fait de vivre avec un trouble du comportement alimentaire sont deux expériences profondément empreintes de honte. Les femmes enceintes et les jeunes mères voient leur corps contrôlé et soumis à des normes impossibles à atteindre, alors même qu'une grande partie de la force motrice derrière ces troubles résulte d'une honte de notre corps encouragée par la société. Au lieu de passer sous silence ces émotions complexes, Showing leur donne un espace. Le résultat est à la fois profondément personnel et résonnera chez tou·tes celles et ceux qui se sont senti·es tiraillé·es.
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Sophie va mieux maintenant. Sa dépression a presque disparu et elle travaille avec une équipe spécialisée dans les troubles alimentaires.
"Je suis une thérapie relativement longue. Je ne sais pas si je vais m'en sortir un jour, mais je tiens à me rétablir autant que possible. Je viens d'avoir une fille et rien que l'idée que je puisse lui transmettre ces comportements..."
"La route sera certainement longue, mais je fais de mon mieux. J'ai à présent une magnifique petite fille. J'ai l'impression d'être enfin sortie de la phase du nouveau-né qui ne fait pas ses nuits, et je me sens à nouveau un peu plus moi-même."
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