« Mais, pourquoi elle a fait ça ? » demanda un ami de la famille à ma mère, visiblement confus. « Eh bien, on la prend plus au sérieux comme ça », lui répondit ma mère sur la défensive. Le « ça » dont on discutait en détail (et en ma présence) était ma nouvelle coupe de cheveux.
Après des semaines de recherches sur Pinterest, j'avais enfin trouver le courage de sauter le pas et d’adopter le carré court. C'était un choix qui me paraissait assez inoffensif, mais pour ceux qui m'entouraient, il semblait avoir l’effet d’une sorte de déclaration personnelle ou politique — et, fait intéressant, la plupart des commentaires venaient des hommes.
En me rendant au travail le lendemain de ma coupe, je me sentais en confiance. Mais après m'avoir longuement scrutée silencieusement, un collègue masculin m’a dit : « Je préfère les cheveux longs sur les filles. » Je n’ai pas relevé se remarque et j'ai préféré me concentrer sur les adjectifs utilisés par mes collègues féminines, selon qui j'avais l'air plus cool, plus branchée et plus sophistiquée
Le temps passait, mais les remarques d’hommes avec qui j’entrais en contact n'ont pas cessé. Un homme que je venais de rencontrer m'a dit qu'il avait consulté mon profil Facebook et qu’il me trouvait bien plus belle avec les cheveux longs. Mes amis et connaissances de sexe masculin ont clairement affirmés qu'ils « préféraient de loin les femmes aux cheveux longs » lorsque le sujet était abordé. À ma grande surprise, l'un des avantages était qu’on me sifflait bien moins souvent dans la rue. Mais devoir constamment justifier mon choix est épuisant.
Il s'avère que je m'en suis plutôt bien sortie. Eva*, 25 ans, travaillait comme courtière en valeurs mobilières lorsqu'elle a décidé de couper ses cheveux qui lui frôlaient les hanche pour adopter un carré afin d'être prise plus au sérieux lors des réunions du conseil d'administration à prédominance masculine. Au lieu de cela, des collègues masculins ont fait des blagues obscènes et lui ont même demandé si elle avait demandé la permission de son petit ami au préalable. « C'était le genre d'environnement où tout était sujet à remarque sexuelle, m'a-t-elle raconté. « Ils m’ont dit qu'ils préféraient de loin les cheveux longs, mais que ça allait encore avec les miens parce qu’on pouvait les tirer — donc j’étais encore “baisable”. »
Les cheveux agissent comme un marqueur de l'identité de genre et lorsque les femmes choisissent de renverser cela, elles deviennent une menace.
Avant de troquer ses cheveux longs auburn contre une « pixie cut », Jasmine Ricketts, 26 ans, s'était fait dire par ses amis masculins qu’elle était la plus attirante de la bande. Mais après sa nouvelle coupe, on lui a dit qu'elle ressemblait à un « garçon manqué » et elle s'est fait traiter de lesbienne par les hommes dans la rue. Kailing Fu, une artiste de théâtre chinoise et singapourienne, s'est rasée les cheveux, qu'elle avait au genou et s’est faite agresser de la part d’étrangers. Certains joignaient leurs mains en signe de prière et s'inclinait devant elle. D'autres lui ont demandé si elle avait un cancer.
Alors, pourquoi les cheveux courts irritent-ils tant les hommes ? Dans de nombreuses cultures aujourd'hui, les cheveux longs sont associés à la jeunesse et à la féminité. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Le Dr Alexander Edmonds, professeur d'anthropologie sociale à l'Université d'Edimbourg, explique : « Il était courant pour les hommes d'avoir les cheveux longs et même de se maquiller, mais depuis la démocratisation de la mode au 20ème siècle, il y a un contraste plus marqué entre la présentation masculine et féminine. »
Les cheveux agissent comme un marqueur de l'identité de genre et lorsque les femmes choisissent de renverser cela, elles deviennent une menace. « Le fait d'avoir les cheveux courts est semblable à d'autres types de transgressions sexuelles du passé, comme le fait de refuser de porter un soutien-gorge ou une robe », poursuit le Dr Edmonds. « C'est un rejet des attentes culturelles que les femmes devraient essayer de satisfaire. » Les cheveux courts et rasés sont présentés comme le contraire de la féminité et, en Occident, ils ont toujours été réservés aux femmes déshonorées et déviantes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Françaises soupçonnées d'avoir des relations avec les nazis se faisaient raser les cheveux étaient goudronnées et emplumées.
L'idée que les cheveux longs sont synonymes de féminité nous est inculquée depuis l'enfance, lorsque les princesses aux cheveux longs et fluides étaient l'incarnation même de la beauté. Victoria Showunmi, chargée d’étude à l'University College London, explique : « Cela en soi renvoie à l'idée romantique que les femmes ne sont pas des femmes à moins qu'elles n'aient les cheveux très longs, qui flottent au vent ». De même, les princes Disney qui ont épousé Ariel et Aurore nous montrent qu'un homme normatif a les cheveux relativement courts. Le Dr Showunmi a également suggéré que certains hommes peuvent se sentir émasculés en sortant avec des femmes ayant des cheveux plus courts que les leurs.
Mais les femmes sont confrontées à une double contrainte. Les cheveux longs sont signe de séduction pour les hommes, mais ils se sont pas pris au sérieux au travail. Mary Bock, professeure à l'Université du Texas, a mené des recherches sur la présentation des journalistes de la radio et de la télévision aux États-Unis. Elle a trouvé que « les cheveux lisses, courts à mi-longs sont presque un uniforme » et a conclu : « Le message implicite est que c'est à ça que ressemble une personne professionnelle. » La dernière coupe de cheveux d'Ivanka Trump fait écho à cela. Les cheveux longs ne sont pas pris au sérieux. Le Guardian a baptisé sa nouvelle coiffure le « carré politique » et l'Express un « carré de pouvoir ». En coupant ses longs cheveux blonds courts, elle se forgeait une nouvelle image et faisait une déclaration politique.
Le Dr Edmonds explique que les femmes qui se coupent les cheveux peuvent constituer une menace pour les hommes inquiets de leur pouvoir croissant dans les espaces professionnels. Cela explique peut-être la réaction viscérale des collègues courtiers de Jenna après qu'elle se soit coupée les cheveux. « Des cheveux plus longs évoquent la féminité avec ses associations de passivité et d'envie de plaire », dit le Dr Edmonds. Des cheveux plus courts, par contre, « pourraient indiquer une volonté de rivaliser avec les collègues et supérieurs masculins au travail ».
La société nous pousse à croire que lorsque nous coupons nos cheveux, nous mutilons notre féminité, mais en réalité me couper les cheveux a été pour moi une libération.
Pour les femmes de couleur, et en particulier les femmes noires, les pressions s'accumulent. Pour obtenir des cheveux longs et lisses comme une princesse, il peut être nécessaire de recourir à des tissages coûteux et à de longs processus de défrisage chimique. La Britannique et nigériane Dolly Ogunrinde lissait ses cheveux depuis son enfance. À 17 ans, ils étaient abimés et se sont mis à tomber. Elle a alors décidé de les raser et de les laisser pousser naturellement, mais elle n'était pas préparée à la violence qu'elle allait subir par la suite. Lors d'une fête, un garçon lui a dit qu'elle avait l'air dégoûtante et qu’elle ressemblait à un garçon » et elle a aussi été ridiculisée quand elle a décidé de couvrir son crâne rasé avec une perruque. Comme Dolly me l'a expliqué : « Ce que nous acceptons comme norme de la façon dont les femmes devraient se présenter est en fait assez difficile à réaliser naturellement pour certaines femmes noires. »
En fin de compte, les cheveux sont utilisés par les autres pour nous catégoriser et nous définir, pour marquer notre sexualité ou notre genre. La société nous pousse à croire que lorsque nous coupons nos cheveux, nous mutilons notre féminité. Mais en réalité me couper les cheveux a été pour moi une véritable libération. Non seulement il faut la moitié du temps pour les sécher et j’ai plus de volume, mais je me sens aussi bien dans ma peau. Pour conclure, laissons nos goûts définir la coiffure que nous voulons adopter et surtout pas des stéréotypes sexistes dépassés.