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J’en ai fini de faire semblant d’être blanche

Designed by Yazmin Butcher.
Cette histoire a été publiée à l'origine sur Refinery29 Canada.
Un drap de lit blanc recouvre les vitres de ma fenêtre d'entrée ; c'est ma couverture de sécurité. Je l'ai accrochée chaque soir pour empêcher mon voisin de voir où j'habite. Il y a trois mois, il m'a craché "Chinoise !" au visage alors que je le croisais dans notre rue animée de Toronto. Deux semaines plus tard, alors que je descendais le même pâté de maisons, un autre homme m'a crié que ma place était à l'hôpital. "Ouais, je te parle", cria-t-il quand je me suis retournée, effrayée. "Je vais t'envoyer à l'hôpital." Étant Coréenne et Canadienne, même le port de mon masque est devenu une source d'anxiété ; quand mon visage est réduit à mes yeux bridés.
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La xénophobie déclenchée par la COVID-19 m'a brutalement rappelé qu'il y aura toujours des gens qui me verront comme une étrangère dans mon propre pays (le racisme anti-asiatique est inscrit dans l'histoire du Canada, après tout). Une enquête récente auprès des Canadien·nes d'origine chinoise a révélé que la moitié des personnes interrogées avaient subi des dénigrements ou des insultes depuis le début de la COVID-19. De plus, 60 % ont changé leurs habitudes pour éviter des confrontations racistes. Cette pandémie a rappelé aux Canadien·nes d'origine asiatique que notre appartenance est conditionnelle, mais elle nous a également forcés à prendre conscience que nous avons permis la mise en place d'un système qui nous divise. Que ce soit par désir d'être la "minorité modèle" - l'illusion que nous pouvons réussir si nous sommes poli·es et travailleu·se·rs - ou simplement pour ne pas "faire de la race un problème", de nombreu·ses·x Canadien·nes d'origine asiatique ont, pendant trop longtemps, évité de sortir du rang.
J'étais l'une d'entre eux ; il m'a toujours semblé plus facile de faire abstraction du racisme. En grandissant à Toronto avec ma mère blanche célibataire et entourée d'ami·es blanc·hes, la seule fois où je me suis sentie vraiment Coréenne, c'est quand les autres me l'ont fait remarquer. Il y avait occasionnellement un racisme évident, comme lorsqu'un camarade de classe du collège m'a dit de "retourner en Chine", mais aussi des micro-agressions subtiles - "Tu viens d'où vraiment ?", "Wow, ton anglais est excellent", ou le fait d'être confondue avec la seule autre femme asiatique dans la pièce par exemple.
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Il y avait occasionnellement un racisme évident, comme lorsqu'un camarade de classe du collège m'a dit de "retourner en Chine", mais aussi des micro-agressions subtiles - "Tu viens d'où vraiment ?", "Wow, ton anglais est excellent", ou le fait d'être confondue avec la seule autre femme asiatique dans la pièce par exemple

"Tu y penses trop", diraient certain·es ami·es. Vraiment ? Le doute sur moi-même s'envenime au fond de mon esprit - accumulées au cours d'une vie, ces micro-agressions font de graves dégâts sur le plan mental. Pourtant, je n'ai jamais senti que je pouvais m'avouer à moi-même, et encore moins à quelqu'un d'autre, la douleur de mon existence liminale, par peur de paraître trop "pauvre de moi". Mes expériences me semblaient insignifiantes par rapport au racisme institutionnel et mortel dont sont victimes les autres personnes de couleur au Canada et dans le monde. Elles le sont toujours. Mais maintenant, alors que je vois des Canadien·nes de toutes les origines briser leur propre silence, je me rends compte que le fait de diminuer mon expérience ne crée pas plus d'espace pour les autres minorités - au contraire, cela en crée moins, en renforçant l'idée qu'être blanc est l'identité aspirante.
Quand je nie mon expérience du racisme, je nie mon expérience raciale ; le silence mène à l'effacement. Étant à moitié coréenne, je me suis toujours trompée en pensant que j'étais considérée comme blanche parce que cela me semblait être le seul moyen de me sentir considérée. Mais quand on me rappelle sans cesse que ce n'est pas le cas, cela entraîne des déceptions et de la honte récurrentes - une expérience si courante dans la diaspora asiatique qu'elle a été qualifiée de "sentiments mineurs" par Cathy Park Hong. Cette incapacité à incarner pleinement une identité blanche ou asiatique crée un profond sentiment de désarroi - un chagrin dont beaucoup d'entre nous n'avaient pas conscience jusqu'à ce que la xénophobie alimentée par la COVID-19 nous force à y réfléchir.
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Mais, comme nous l'avons vu avec le deuil collectif manifesté par les Noir·es du monde entier récemment, de la reconnaissance de la douleur du racisme naît la demande de reconnaissance sociale. "Le racisme est terrible. Le Blackness* ne l'est pas", écrit Imani Perry dans The Atlantic. Un de mes ami·es noir·es m'a récemment dit qu'il se sentait plus noir que jamais. Bien que nos expériences ne soient pas comparables, nous voyons tous les deux le pouvoir de transformer la discrimination en fierté. Maintenant, je réagis aux affrontements racistes en assumant la partie de mon identité que j'ai toujours ignorée et je suis inspirée par tou·tes les Canadien·nes d'origine asiatique qui font de même.
Les restaurants chinois sont confrontés aux pertes financières et au vandalisme, et pourtant les Canadien·nes d'origine asiatique cuisinent fièrement les aliments qu'ils/elles étaient autrefois trop gêné·es pour apporter à l'école. Je suis nulle en cuisine, mais voir des asiatiques créati·f·ve·s ne pas se plier aux exigences des Blanc·hes, c'est valorisant. J'ai écouté "XS" de Rina Sawayama, regardé Si tu savais et lu Severance de Ling Ma - non pas parce que je pense que je peux m'identifier à ces artistes asiatiques (comment le pourrais-je, nous sommes tou·tes de différentes ethnies asiatiques) mais parce que ces créat·rice·eurs explorent ce que signifie être humain. Leur identité asiatique informe, mais ne définit pas, leurs expériences.
S'il existe une stratégie pour lutter contre la xénophobie et trouver l'acceptation, ce n'est pas d'essayer de s'intégrer dans la culture blanche ; c'est de rendre les expériences des minorités plus visibles. Et pas simplement en mettant les Asiatiques dans des rôles de Blanc·hes, mais en leur permettant d'écrire leurs propres histoires, de révéler la diversité de nos expériences.
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S'il existe une stratégie pour lutter contre la xénophobie et trouver l'acceptation, ce n'est pas d'essayer de s'intégrer dans la culture blanche ; c'est de rendre les expériences des minorités plus visibles.

Je trouve confirmation, non seulement pour mes récentes confrontations racistes, mais aussi pour une vie entière d'expériences que j'ai effacées, à travers des affiches sur le racisme anti-asiatique, des campagnes sur les réseaux sociaux et des célébrités asiatiques qui s'expriment. Mais aussi à partir de conversations que j'ai avec des connaissances américaines d'origine asiatique en ligne, comme cette personne de Brooklyn qui me dit : "J'ai arrêté de parler de mes sentiments avec des amis blancs parce que c'est trop douloureux de devoir constamment m'expliquer". Soudain, la partie de mon identité qui me faisait me sentir seule est devenue ma source de connexion.
Je m'ouvre aussi aux personnes de couleur non-asiatiques, en réalisant que mon privilège blanc ne rend pas mes expériences de discrimination raciale moins valables. En reconnaissant que toutes les expériences des minorités peuvent exister ensemble, je vois le potentiel pour construire une solidarité raciale.
J'ai toujours mon rituel de draps sur la fenêtre et je ressens encore une pointe de suspicion lorsqu'un passant semble un peu trop prudent avec sa distanciation sociale dans la rue ou à l'épicerie. Mais quand j'ai l'impression de ne pas être vu comme une blanche, mon instinct n'est plus de me cacher. Je suis peut-être toujours à la recherche d'un sentiment d'appartenance ethnique, mais je sais maintenant que mon silence ne fera qu'alimenter ma marginalisation. Lorsque non seulement je reconnais le racisme, mais que j'y réponds en possédant mon identité raciale indéfinissable, je découvre ironiquement le sentiment même d'acceptation que j'ai toujours voulu.
*Blackness : terme anglophone désignant le "fait d’être un homme ou une femme noir·e" et comprenant la notion d'appartenance à un groupe. En français, nous n'avons pas de traduction exacte pour ce terme. Il y a d'ailleurs de nombreux débats sur la traduction littérale "noirceur" ou encore "négritude" qui font polémique.
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