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Trop foncée pour être emo ? Comment la beauté alternative privilégie la blancheur

La chanteuse Hayley Williams du groupe de rock Paramore avait raison lorsqu'elle chantait "I'm in the business of misery" (Je suis dans le business de la souffrance). Durant mon adolescence dans les années 2010, ma vie se résumait à peu de choses : eye-liner noir, cheveux gras, albums de Pierce The Veil et un clair manque de confiance en moi. Je luttais contre de graves problèmes de santé mentale que je n'arrivais pas à comprendre, mais qui faisaient de moi la candidate idéale pour m'initier à la culture emo.
Pour moi, le phénomène emo était un refuge où je pouvais exprimer les émotions de l'adolescence qui tourbillonaient en moi et parler ouvertement de ma santé mentale. À 13 ans, j'étais à fond dans les boissons énergisantes et le merch de groupes de rock, et je suis vite entrée dans ma phase "RAWR XD" sur Tumblr. La culture alternative a marqué de nombreux aspects de ma vie - et continue de le faire - mais c'est la beauté et la mode qui sont devenues pour moi une forme d'échappatoire. Mais avec la sensibilisation aux inégalités raciales et les mesures positives mises en place au cours des dernières années, je réalise que la beauté alternative, en particulier, est empreinte de racisme et d'exclusion.
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Il est clair qu’il existe des préjugés sur la beauté qui favorisent les visages blancs. Une rapide recherche d'images sur Google pour "emo girl", "emo boy" ou "goth" montre une liste hiérarchisée de "goals" alternatifs auxquels aspirer. Le problème ? La majorité d'entre eux sont construits selon les normes de beauté eurocentriques. Jetez un coup d'œil à la base de référence des nouvelles tendances et sous-cultures de la beauté alternative comme les emo, e-girl ou pale grunge, par exemple. Avoir des cheveux raides et souples de type caucasien, un teint "dead" ou pâle et des traits eurocentriques est communément célébré et considéré comme le "vrai" look alternatif. Toute personne qui ne peut atteindre cet objectif est méprisée et considérée comme un·e imposteur. J'en ai fait l'expérience directe. On m'a dit que je ne ressemblais pas à une "vrai emo" parce que je n'avais pas les traits d'une personne blanche. Si mon anxiété chronique ne suffisait pas à faire de moi l'archétype de l'enfant rejeté pendant mon enfance, j'étais aussi basanée, j'avais de l'acné et je ne savais pas trop ce que je faisais ni qui j'étais. Je n'avais pas de mécanisme sain pour faire face ou pour me défouler, alors m'habiller comme je me sentais à l'intérieur m'a paru tout simplement logique.

Une rapide recherche d'images sur Google pour "emo girl", ou "goth" montre toute une liste hiérarchisée de "goals" alternatifs auxquels aspirer. Le problème ? La majorité d'entre eux sont construits selon les normes de beauté eurocentriques.

Comment pouvais-je, avec mon gros nez, ma peau foncée et mes origines sud-asiatiques, rivaliser avec les Blanc·hes qui étaient mis·es sur un piédestal et considéré·es comme le visage des sous-cultures alternatives auxquelles je m'identifiais ? Il y a là une véritable ironie tordue. La communauté alternative est typiquement basée sur l'acceptation, mais elle a du mal à accepter les plus opprimé·es de la société. La rédactrice musicale indépendante Jenessa Williams a récemment abordé les normes de beauté alternatives dans son article pour gal-dem intitulé "My Chemical Relaxer : what it's like to grow up Black and emo". Elle y écrit : "Mes cheveux brûlés par les produits chimiques tombaient au-dessus d'un œil, et j'inclinais mon visage pour faire ressortir mes traits européens. Je n'ai jamais été aussi proche de ma vision de la reine du emo, mais ce fut au détriment de ma véritable personnalité".
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L'emo a été l'une des premières sous-cultures à avoir été fortement influencée par le monde virtuel, comme MySpace, par exemple. À l'époque, la culture consciente n'existait pas ; les marques étaient rarement critiquées pour leur manque de nuances de fond de teint et les personnes de couleur n'avaient pas les plateformes en ligne que nous connaissons aujourd'hui - des plateformes qui permettent aux gens de remettre en question les lacunes en matière d'inclusivité et de susciter un réel changement. Le racisme ne se limite pas aux agressions violentes, à la brutalité et aux insultes flagrantes. C'est aussi la normalité tacite et inconfortable de la blancheur, qui est perpétuée par des normes de beauté alternatives. Dans la plupart des cas, cependant, ce sont les personnes noires, indigènes et de couleur (BIPOC) qui ont été les architectes des communautés alternatives. Le rock and roll remonte aux musicien·nes noir·es et de nombreuses tendances de la beauté alternative, comme les oreilles étirées, les chaînettes de nez et les bijoux pour le visage, sont des adaptations occidentales de cultures africaines et asiatiques vieilles de plusieurs siècles.

Comment pouvais-je, avec mon gros nez, ma peau foncée et mes origines sud-asiatiques, rivaliser avec les Blanc·hes qui étaient mis·es sur un piédestal et considéré·es comme le visage des subcultures alternatives auxquelles je m'identifiais ?

Si les progrès sont lents, la sensibilisation et l'activisme inspirés par le mouvement Black Lives Matter ces dernières années ont marqué un tournant, notamment dans les cultures alternatives. Les réseaux sociaux sont un terrain idéal pour amorcer la remise en question de ce que nous percevons comme la norme alternative. Marley est une YouTubeuse et la créatrice de Glam Goth Beauty, et une pionnière pour de nombreuses jeunes femmes noires et adeptes de la beauté alternative non-binaires. Sur Instagram, sa marque de beauté est suivie par 50,5 millions de followers et défend les personnes alternatives de couleur. Parler à Marley m'a confirmé que si la culture alternative est censée reposer sur l'inclusion, le manque de représentation est préjudiciable et décourageant. "Dans chaque industrie, tout est à prédominance blanche et il y a ce sentiment indescriptible, comme si je n'étais jamais vraiment, totalement à ma place", m'a-t-elle dit. Marley convient que les marques de beauté doivent prendre des initiatives et favoriser la diversité et l'inclusion dans ce domaine. "Je veux que les gens me regardent, ainsi que toutes les personnes alternatives racisées, et voient qu'il est possible d'être Noir et tatoué dans le secteur de la beauté".
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En dehors d'Instagram, TikTok est devenu une véritable lueur d'espoir pour les jeunes alternatifs non-blanc·hes qui se sentent enfin inclus·es au sein de la scène alt. Comme Jenessa et Marley, Jamila, qui se décrit comme "activiste, guérisseuse, végétalienne et métalleuse", m'a dit que ses premières années d'adolescence alternatives étaient frustrantes en raison des attentes en matière de beauté blanche qui étaient de rigueur. "J'avais l'habitude de me faire des défrisages pour avoir des cheveux gothiques et raides comme des baguettes", dit-elle. "Je voulais faire du corpse paint [un style de maquillage noir et blanc popularisé par les groupes de Black Metal] mais je ne savais pas comment faire, car j'ai la peau foncée. L'obsession du courant dominant pour les traits eurocentriques en général me faisait me sentir moche ou indésirable".
On constate encore beaucoup de disparités en matière de tutoriels emo, gothiques et scene pour les cheveux texturés et de tutoriels de maquillage pour les traits non-eurocentriques. Mais elles se réduisent peu à peu, car les personnes BIPOC affluent sur TikTok pour partager leurs expériences et leur amour de la culture alternative, en particulier pour la beauté. Trey, qui est connu sous le nom d'utilisateur @treyxvone, a développé une communauté de plus de 60 000 followers et 1,5 million de likes. Iel me dit qu'en grandissant, iel se faisait traiter d'"Oreo" ou encore "la personne noire la plus blanche" pour aller à des concerts de rock locaux. "TikTok m'a certainement donné une plateforme pour m'exprimer là où je me sens en sécurité", a-t-iel déclaré. "Je suis bien conscient·e que tout le monde n'a pas ce privilège, donc j'utilise ma plateforme pour soulever ces mêmes questions".
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Baby Succubuz, la "poupée bratz alternative" autoproclamée, a amassé 49,9k followers et 482,8k likes sur TikTok. Elle souligne à quel point les stéréotypes alternatifs blancs sont nuisibles, et la façon dont TikTok contribue à changer la donne. "Lorsque vous grandissez en ne voyant qu'un seul type de représentation de personnes alternatives, cela peut être invalidant et décourageant pour une personne qui n'est pas blanche", explique-t-elle. "Une chose que j'aime vraiment sur TikTok, c'est la quantité d'informations disponibles", a-t-elle ajouté. "J'ai appris tellement de choses sur mon type de cheveux et comment en prendre soin correctement alors que je ne le savais pas vraiment avant." Jamila convient de l'importance d'avoir accès facilement à une richesse de contenu de beauté diversifié et alternatif dans un espace déjà marginalisé. "Les cheveux afro ont été stigmatisés pendant des siècles et sont considérés comme ne faisant pas pro, sales et inesthétiques dans les domaines traditionnels. Il est 100 % nécessaire que ces formes de contenu soient diffusées, car nos traits sont normaux".

"On me juge tous les jours en ligne parce que je suis une femme gothique noire. Je suis constamment confrontée à des commentaires me disant que je ne suis 'pas assez alternative ou gothique'"

Dani Dissolve
Dani Dissolve est un autre nom qui prend de l'ampleur dans la communauté alternative sur TikTok, avec un chiffre impressionnant de 650k likes et 38k followers. "On me juge tous les jours en ligne parce que je suis une femme gothique noire", a confié le mannequin gothique. "Je suis constamment confrontée à des commentaires me disant que je ne suis 'pas assez alternative ou gothique'". Alors que Dani n'est créatrice sur TikTok que depuis un an, elle a attiré un public qu'elle n'aurait jamais pensé avoir. "Cette application a ouvert la voie à l'épanouissement de tant de BIPOC beaux et talentueux mais, malheureusement, nous vivons toujours dans un monde où nous sommes considérés comme des moins que rien", affirme Dani. "Nous sommes davantage acceptés, mais il y a encore beaucoup de travail à faire, et beaucoup de dialogues à mener".
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Ce n'est pas seulement le domaine de la beauté. Les marques de mode alternative sont également coupables de perpétuer des idéaux eurocentriques. La boutique de mode en ligne Dolls Kill a été sous le feu des critiques ces dernières années pour ses produits insensibles sur lesquels on pouvait lire "Goth is white" (le gothique est blanc). D'autres marques de mode et de beauté alternatives ont été dénoncées par les consommateurs pour n'avoir reposté que des modèles blancs sur leurs Instagram, perpétuant ainsi la notion stupide et offensante que les seules personnes qui existent et prospèrent dans l'espace de la mode et de la beauté alternatives sont blanches.
En 2021, il y a encore beaucoup à faire pour rendre le genre alternatif plus inclusif. Trey insiste sur l'importance de reconnaître la marginalisation au sein de la scène comme un grand pas vers la diversification. "Tout comme le fait de mettre les BIPOC au premier plan dans la mode alternative", indique Trey. "Personnellement, je le vois de plus en plus chaque jour et c'est assurément édifiant, mais les grandes marques devraient le faire pour des raisons qui ne sont pas seulement esthétiques. C'est vraiment important". Dani est d'accord. "C'est une question d'exposition", m'a-t-elle dit. "Nous devons continuer à amplifier les voix alternatives BIPOC et nous devons plaider pour une plus grande représentation BIPOC dans les magazines alternatifs importants, les marques de mode et de beauté, les labels de musique, tout ce que vous voulez. Il y a peut-être plus de représentation qu'il n'y en a jamais eu dans la communauté, mais on ne peut pas dire qu'il y ait trop de représentation".
Au cours des douze derniers mois, la pandémie a eu un impact considérable sur notre santé mentale. Il est donc logique que de plus en plus de personnes se tournent vers les cultures alternatives, qu'il s'agisse de découvrir de nouvelles musiques ou de renforcer leur style alternatif afin de se sentir membre d'une communauté. (Ça, et le fait que les ballades poétiques de My Chemical Romance ont des pouvoirs de guérison). Heureusement, le paysage alternatif commence à changer. En faisant pression pour plus de représentation et en défendant les créateur·ices de mode, de beauté et de musique historiquement sous-représenté·es sur des applications comme TikTok, la scène alternative ne sera plus dominée par les normes de présentation blanches et eurocentriques. Les vannes sont ouvertes pour permettre à une multitude de talents BIPOC de passer en force.
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