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“Masculinité toxique” : à la rencontre des hommes qui veulent normaliser la vulnérabilité

Photo Courtesy of Ahmed Nishaath/Unsplash.
Chris Hemmings, journaliste et conférencier de trente-deux ans, aime commencer ses séminaires sur l'empathie, qu'il donne dans les écoles et les universités, en offrant à tous les jeunes hommes présents un morceau de papier et un stylo. Sur ce papier, il leur fait écrire, de manière anonyme, "une peur, une inquiétude ou un souci que personne dans la salle ne connaît et d’expliquer pourquoi personne n'est au courant". Pour conclure l'atelier, il les lisait tous. 
"En faisant ça", explique Chris, "j'essaie de montrer que peu importe qui a écrit ce texte, ce qui est important, c'est que ça pourrait être votre meilleur ami et que vous n'en sauriez rien. Alors pourquoi n'avez-vous pas créé un environnement où vous auriez pu en parler ?" La réponse, déplore-t-il, est souvent la même. "Ils ont peur d'être jugés, persécutés ou de se voir enlever leurs privilèges pour avoir montré leur vulnérabilité".
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Il n'a pas toujours été aisé pour Chris de parler de ses sentiments, et encore moins d'encourager les autres à le faire. Lorsqu'il avait 20 ans, son père est mort à l'hôpital après un combat contre le cancer, et Chris se souvient d'avoir été "fier" de ne pas avoir pleuré à l'enterrement, même en prononçant son éloge funèbre. Cela, estime-t-il avec le recul, était le symptôme d'une culture néfaste qui l'empêchait non seulement d'être lui-même, mais aussi de mener une vie authentique et épanouie.  
Depuis ce jour, Chris a complètement changé de vie. Il a quitté le club de rugby de son université, a changé de groupe d'amis et a écrit un livre intitulé Be A Man, publié en 2017. "Il n'y a pas, me dit-il, assez d'hommes qui s'opposent au discours selon lequel un homme ne devrait pas montrer ses émotions ou parler de ses sentiments, qu'un homme doit être un battant, un protecteur, un gagnant. Que nous devons rester maîtres de la situation à tout moment".

Nous risquons de nous perdre dans un cercle vicieux où l'on n'apprend pas aux jeunes hommes à être vulnérables. L'idée qu'"un garçon, ça ne pleure pas" est encore très répandue et de nombreuses personnes en souffrent.

Chris Hemmings
On entend dire qu'il y a une "crise de la masculinité" tout autant que les mots "masculinité toxique" sont lancés pour désigner tout comportement qui ne tombe pas sous les auspices du féminisme. Mais nous ne parlons que trop rarement de ce que cela signifie réellement. En France, un pays où le taux de mortalité de suicide est de 14,1 pour 100 000 habitants, le plus grand nombre concerne les hommes, qui sont 3,7 fois plus touchés que les femmes. Ces données alarmantes confirment que le suicide reste l'une des principales causes de décès chez les hommes de moins de 54 ans dans le pays.
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"Nous risquons de nous perdre dans un cercle vicieux", estime Chris, "où l'on n'apprend pas aux jeunes hommes à être vulnérables. L'idée qu'"un garçon, ça ne pleure pas" est encore très répandue et de nombreuses personnes en souffrent. Qui plus est, ce n'est pas vrai. Je suis toujours surpris d'apprendre, quand je discute avec des jeunes femmes dans les écoles, que le comportement des garçons devient problématique vers l'âge de 13 ou 14 ans. Il semblerait donc que nous fassions quelque chose aux garçons lorsqu'ils deviennent de jeunes hommes".
Il est clair que quelque chose ne va pas. Et il n'y a pas que les hommes et leurs proches qui en souffrent. "Mon but, explique Chris, est de lancer une discussion sur la façon dont certains aspects des attentes masculines peuvent non seulement nuire aux hommes et aux garçons, mais aussi aux femmes et aux filles. Je veux que les hommes et les garçons réfléchissent de manière critique à leur comportement, qu'ils reconnaissent qu'ils ont le pouvoir d'aider leurs frères à surmonter, entre autres, leurs problèmes de santé mentale, leurs tendances à la violence et à l'opression à l'égard des femmes".
Il a raison. Au-delà du sexisme ou du harcèlement qui, selon les Nations unies, touche la grande majorité des femmes au cours de leur vie, qu'ont en commun la plupart des tireurs de masse et les terroristes ? Ce sont presque tous des hommes. Entre 1982 et 2018, 97 % des tireurs de masse aux États-Unis étaient des hommes. Au Royaume-Uni, entre 2001 et 2017, les hommes représentent 91% des arrestations en lien avec le terrorisme, selon les statistiques du ministère de l'Intérieur britannique. Et, comme le souligne Joan Smith dans son livre Home Grown, beaucoup d'entre eux ont un passé de violence envers les femmes. En outre, l'année dernière, le groupe de campagne Hope Not Hate a signalé que l'hostilité envers le féminisme se nourrit directement des mouvements d'extrême droite et de droite radicale en ligne. Ils ont découvert qu'un tiers des jeunes croient aujourd'hui que le féminisme marginalise ou diabolise les hommes et ont mis en garde contre le fait que ces croyances sont une "dérive" vers d'autres idées d'extrême-droite.
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Heureusement, Chris n'est pas seul dans ce combat pour redéfinir la masculinité. The Good Lad Initiative (GLI) est un groupe politiquement neutre qui a été fondé à Oxford, au Royaume Uni, en 2014. Aujourd'hui, ils sont "spécialisés dans le soutien aux hommes et aux garçons afin de contribuer à l'amélioration des relations entre les genres" via l'organisation d'ateliers dans les écoles, les universités et les lieux de travail.
"L'une des principales actions que nous menons en tant qu'organisation est d'entamer une conversation", me dit le directeur général du groupe, Daniel Rodney Guinness, au téléphone. "Nous, on rassemble les gens et on tente de supprimer quelques-uns des tabous qui entourent certaines thématiques (telles que le consentement ou la santé mentale) que ces hommes pourraient percevoir comme nuisibles à leur statut social ou à leur sens de la masculinité".

Je parlais de consentement et j'ai demandé si les participants pensaient que demander le consentement était "sexy". L'un d'entre eux me répondit : "Non - c'est juste neutre et nécessaire. Vous ne dites pas que votre fourchette est délicieuse quand vous mangez un bon repas. Le consentement, c'est la même chose". J'ai trouvé ça vraiment cool !

james
James, 22 ans, est actuellement étudiant à l'université de Cambridge. Il y est également devenu le principal représentant des étudiants du GLI, après avoir participé lui-même à un atelier avec son équipe de rugby au cours de sa première année à l'université.
"Ce séminaire a été pour moi une expérience transformatrice", me dit-il. "C'était la première fois qu'on me donnait un espace de réflexion critique sur ces attitudes héritées de l'école. À peine entré à l'université, le processus s'est amorcé et j'ai réalisé que j'avais une série de points de vue problématiques qui se répercutaient dans mes actions".
En ce moment, en raison de la pandémie, les ateliers du GLI se déroulent en ligne. Les sujets de discussion, selon James, sont toujours aussi pertinents. Nous posons des questions comme "Comment parlez-vous de sexe à vos amis ?" ou "Pensez-vous qu'il est émasculant d'admettre sa vulnérabilité ?", et nous décortiquons les réponses sans jugement". Son diagnostic des problèmes auxquels les hommes et les garçons sont confrontés est très similaire aux conclusions que Chris a tirées de son expérience. L'un des plus grands obstacles à une conversation honnête et transformatrice est la peur de dire ce qu'il ne faut pas", indique James. "Cela signifie que, souvent, ils évitent tout simplement d'en parler et ne remettent jamais en question leurs opinions... L'autre jour, je parlais de consentement et j'ai demandé si les participants pensaient que demander le consentement était "sexy". L'un d'entre eux me répondit : "Non - c'est juste neutre et nécessaire. Vous ne dites pas que votre fourchette est délicieuse quand vous mangez un bon repas. Le consentement, c'est la même chose". J'ai trouvé ça vraiment cool !"
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Est-il possible que ce travail change les mentalités sur ce que signifie "être un homme" ? Que les jeunes hommes puissent avoir des discussions qui remodèlent le genre comme le font actuellement les femmes, de diverses manières, à travers les féminismes contemporains ? Le fait que Donald Trump - un homme connu pour avoir harcelé sexuellement des femmes, un stéréotype ambulant de l'hyper-masculin qui incarne une virilité brute caricaturale et l'affiche de manière éhontée et tapageuse comme une marque d'honneur - ait perdu les élections américaines face à Joe Biden offre-t-il une lueur d'espoir ? Serait-ce le signe que le vent tourne ?
"Pour ma part, je n'aime pas conceptualiser le présent comme un moment "décisif ", un "point de basculement" ou même une "crise" de la masculinité", répond James avec beaucoup de délicatesse lorsque je lui présente cette question. "Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, un changement culturel de cette envergure ne se fera pas du jour au lendemain, surtout en ce qui concerne le sentiment d'identité de genre, qui se forme au fil des ans et sous l'influence de nombreux facteurs (incontrôlables). Parler de cela comme d'un moment crucial sape l'effort continu qui devra être fourni pendant des années et des années pour que les mentalités changent durablement. Deuxièmement, je ne vois pas ce changement culturel comme la crise qu'il est censé être. Il n'y a pas lieu de paniquer. Ce que nous voulons, c'est certainement élargir cette compréhension monolithique de la masculinité pour couvrir un vaste champ de masculinités. On peut être masculin et se maquiller. On peut être masculin et aimer parler de ses émotions. Personne n'est laissé pour compte dans cette démarche - pas même ceux qui souscrivent volontiers à des modèles de masculinité plus traditionnels. Bien au contraire. Tout le monde est inclus".
L'apolitisme est la pierre angulaire de The Good Lad Initiative. Après tout, ceux qui ont le plus besoin de se joindre à cette réflexion sont certainement ceux qui, par convention, se sentent le moins capables de le faire. Avant de conclure, James ajoute : Je pense que c'est une idée inspirante que de pouvoir choisir sa propre définition de "la masculinité" - sans que cela soit dicté par la société, la culture ou la tradition.
Il reste à voir si ces idées vont s'imposer dans le courant culturel dominant et, qui plus est, si elles suffiront à contrer le machisme qui fait rage en ligne. Mais tout comme les femmes acceptent de plus en plus qu'il y a plus d'une façon d'être une femme, on ne peut qu'espérer qu'avec le temps, il en sera de même pour les hommes.
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