Il y a quelques années, quand le mannequin belge Hanne Gaby Odiele a révélé qu'elle était intersexe dans une interview accordée à USA Today, beaucoup de gens découvraient l'existence de cette catégorie de personnes. Les personnes intersexes existent depuis tout aussi longtemps que les personnes homosexuelles et transgenres (c'est-à-dire depuis toujours), mais cette communauté est toujours entourée par le plus grand mystère, même parmi celleux d'entre nous qui s'identifient comme LGBTQ+.
Et la raison (ou du moins une partie de la raison) est que beaucoup de médecins pensent encore que l'intersexualité est un trouble qui doit être "corrigé", explique Alicia Weigel, militante intersexe et directrice de la stratégie et des communications de Deeds Not Words.
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Souvent, lorsqu'un bébé naît intersexe - ce qui signifie qu'il est né avec des caractéristiques sexuelles (notamment les organes génitaux, les gonades et les chromosomes) qui ne correspondent pas aux définitions strictes de l'homme ou de la femme - les médecins vont recommander des opérations de "normalisation" pour que ses organes génitaux ressemblent davantage à ce que la société attend des hommes et des femmes, ou pour retirer les gonades internes comme les testicules. Ces opérations sont presque toujours pratiquées avant qu'une personne ne puisse réellement donner son consentement, et ont été jugées si dangereuses pour la santé physique et mentale que certaines associations médicales ont commencé à exiger leur interdiction. Un rapport des Nations unies datant de 2013 affirme que ces interventions chirurgicales peuvent causer chez les personnes intersexes "une infertilité permanente et irréversible et de graves souffrances psychologiques."
Pourtant, selon Human Rights Watch et le réseau de défense des jeunes intersexes interACT, ces interventions chirurgicales ne sont pas médicalement nécessaires - rien ne prouve que des gonades, des organes génitaux ou des chromosomes atypiques soient dangereux pour la santé - et les organisations ont publié en juillet un rapport conjoint qualifiant la normalisation des interventions chirurgicales de "solution chirurgicale à un problème social". Weigel partage cet avis. Elle explique à Refinery29 que les médecins croient parfois sincèrement qu'ils aident les enfants intersexes en leur donnant une apparence plus "normale" en termes de carcan binaire de genre rigide dans lequel la société attend que tout le monde se range. Mais pour des personnes comme elle, l'idée qu'elle devait être réparée et que son identité intersexe n'était pas valide a contribué à la stigmatisation qui donne souvent aux personnes intersexes l'impression que leur identité doit rester secrète.
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On estime à 1,7 % le pourcentage de la population mondiale née intersexe, mais l'idée qu'il y a quelque chose d'anormal ou de défaillant dans leur corps retient de nombreuses personnes intersexes d'en parler ouvertement.
Rappelons qu'il n'y a pas si longtemps, les médecins pensaient que les personnes homosexuelles et les transgenres devaient eux aussi être soignées, même si leur trouble était mental et non physique. Avant 1973, l'homosexualité était un trouble répertorié dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), et ce n'est qu'il y a quatre ans que le DSM a révisé sa position sur les personnes transgenres. En 2013, le manuel a mis à jour son entrée sur l'identité de genre, passant du "trouble de l'identité de genre" - qui décrivait le fait d'être transgenre comme une maladie mentale - à la "dysphorie de genre" - qui décrit le sentiment de détresse qu'une personne peut éprouver lorsque son genre ne correspond pas au sexe qui lui a été attribué à la naissance.
Bien entendu, l'évolution de l'opinion de la communauté médicale sur les personnes homosexuelles et transgenres n'a pas fait disparaître l'homophobie ou la transphobie du jour au lendemain. Les deux communautés se sont battues avec acharnement pour atteindre le niveau d'acceptation dont elles bénéficient aujourd'hui, et qui fait encore cruellement défaut. Mais Weigel soutient que le fait d'être reconnu par les médecins comme une réalité valide a donné aux personnes homosexuelles et transgenres la liberté potentielle de faire un coming-out sans craindre de se faire dire qu'elles étaient malades.
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Les médecins jouent souvent à Dieu et choisissent le sexe d'un enfant intersexe. Ensuite, ils disent aux enfants qu'ils ont été "réparés" et qu'ils ne devraient pas parler de leur intersexuation.
Alicia Weigel
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Si les médecins ont souvent connaissance de l'intersexuation d'une personne à sa naissance et tentent dans bien des cas de la "réparer", les personnes intersexes sont fréquemment stigmatisées, ce qui les empêche de parler ouvertement de leur identité. Et cela a bien trop souvent pour conséquence que les personnes intersexes peinent à trouver leur place au sein du mouvement LGBTQ+. L'absence de personnes intersexes dans les communautés LGBTQ+ signifie que les personnes queer n'établissent pas de liens avec les personnes intersexes et sont donc moins susceptibles de se battre pour des questions qui les concernent directement, explique Weigel - des questions qui incluent la suppression des interventions chirurgicales qui suggèrent que les personnes intersexes ne devraient pas exister.
"Les médecins jouent souvent à Dieu et choisissent le sexe d'un enfant intersexe", dit Weigel. "Ensuite, ils disent aux enfants qu'ils ont été réparés et qu'ils ne devraient jamais parler de leur intersexuation".
Weigel, qui est née avec des chromosomes XY, raconte que même si aucun médecin ne lui a jamais dit explicitement qu'elle ne devait pas parler de son intersexuation, elle connaît des personnes qui se sont fait dire par leur médecin qu'elles seraient persécutées, jugées et brimées si elles parlaient de leur identité de genre. Parfois, l'idée qu'il ne faut pas parler de son intersexuation vient même de la famille, dit-elle, même si ça part d’un bon sentiment.
"Ils veulent s'assurer que ces enfants sont acceptés et qu'ils vont bien", dit-elle. "Ce qu'il faut vraiment changer, c'est la stigmatisation de la société pour que les parents et les médecins reconnaissent que ces enfants vont bien."
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C'est la stigmatisation, qui est perpétuée par la normalisation des chirurgies, qui maintient les personnes intersexes dans le placard et hors de la sphère LGBTQ+, dit-elle. En effet, ce n'est que lorsque Odiele a fait son coming out public que Weigel a eu le courage de raconter son histoire.
Lire l'histoire d'une personne, et pas n'importe laquelle, qui est née avec une "affection" similaire et qui a quand même réussi à se marier et à réussir, m'a donné le courage d'affronter mes propres démons et de démêler les sentiments compliqués que j'éprouve à mon égard", a écrit Weigel sur Medium.
Odiele, pour sa part, semble partager l'avis de Weigel. Elle a vécu des expériences similaires avec des médecins qui lui ont dit que la chirurgie l'avait guérie et qu'elle n'avait plus besoin de parler de son intersexuation.
"Systématiquement, on nous disait : "Tu ne trouveras pas de partenaire, tu vas être malmenée, tu ne trouveras pas de travail" ", raconte Odiele à Refinery29. "Systématiquement, nous devons prétendre rentrer dans une case".
Parfois, les personnes intersexes elles-mêmes sont maintenues dans l'ignorance, dit-elle. Odiele a subi des opérations chirurgicales de "normalisation" lorsqu'elle était enfant, mais elle n'a pas entendu le mot "intersexe" avant d'avoir 17 ans et de le trouver elle-même dans le témoignage d'une femme intersexe dans un magazine néerlandais.
"Nous continuons à nous battre pour une cause que les militant·es intersexes défendent depuis plus de 20 ans", dit-elle. Ce combat consiste à faire en sorte que les personnes intersexes disposent de l'autonomie nécessaire pour décider de ce qui est le mieux pour leur corps et que les médecins reconnaissent enfin qu'elles n'ont pas besoin d'être corrigées.
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"C'est plutôt merveilleux d'être intersexe", dit Odiele. "Nos corps doivent être autorisés à exister".
Depuis l'interview de coming-out d'Odiele, le débat autour des personnes intersexes a commencé à évoluer. De plus en plus de personnes réalisent non seulement que les corps intersexes devraient être autorisés à exister, mais aussi qu'ils existent tout simplement. Il y a deux ans, raconte Odiele, lorsque vous tapiez "intersexe" sur Google, vous n'obteniez que des résultats sur les endroits où vous pouviez vous faire opérer. Maintenant, ce sont des articles expliquant les dangers de la normalisation de la chirurgie qui apparaissent.
Weigel attribue une grande partie de ce changement à des influenceur·euses tel·les qu'Odiele. Après tout, c'est l'interview du mannequin lors de son coming-out qui a éveillé le militantisme de Weigel. Elle espère que le fait de voir des personnes comme elle et Odiele mener une vie épanouie incitera d'autres personnes intersexes à faire leur coming-out, et qu'un jour le "I" de LGBTQIA sera un peu moins muet.
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