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La génération Z & le paradoxe de la fast-fashion

Si 2019 nous a appris quelque chose sur la génération Z - soit tous·tes ceux·elles nés après 1996 - c'est qu'iels sont concerné·es par l'environnement. Alors que les souvenirs des millennials évoquent MySpace ou MSN, pour les adolescents d'aujourd'hui et le début de la vingtaine, les grèves scolaires et les marches pour le climat seront peut-être la première chose qui leur viendront à l'esprit en repensant à leur adolescence. Et puis il y a Greta Thunberg, 16 ans, emblème de la conscience climatique de la Génération Z, qui, au cours du mois dernier, a dominé les gros titres pour ses propos alarmants et son voyage en bateau vers la côte est des Etats-Unis. Les millennials ont peut-être été le premier groupe à grandir avec une conscience de la crise climatique, mais c'est surtout la génération d'après qui agit collectivement.
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Et pourtant, quand il s'agit de mode - l'une des industries les plus polluantes de la planète - la Gen Z se trouve souvent comme "coincée" dans un paradoxe. Première génération à être digital native, leur arrivée à l'âge adulte a coïncidé avec l'apogée des réseaux sociaux et, avec elle, l'avènement de marques de fast-fashion qui ciblent spécifiquement cette génération spécifique. Et si l'on en croit les ventes, la stratégie a l'air de fonctionner : le groupe britannique Boohoo PLC par exemple (qui possède entre autres New Look et Missguided) devrait atteindre un chiffre d'affaires de 2,3 milliards de dollars d'ici la fin de l'année. Difficile alors de dire si la mode évolue vers un modèle plus durable ou si elle est vouée à être plus éphémère que jamais.
Dans son livre How To Break Up With Fast Fashion à paraître bientôt, la journaliste et auteure Lauren Bravo traite de l'impact négatif de notre dépendance au shopping. Elle dit elle-même avoir été encouragée par la discussion accrue sur la durabilité, l'éco-responsabilité etc. La campagne #SecondHandSeptember d'Oxfam a généré une importante couverture médiatique, et le géant de la fast fashion Zara (groupe Inditex) s'est même engagé à rendre sa production plus écologique. Pourtant, bien que Lauren soit optimiste sur l'avenir de la mode durable, elle comprend que la fast-fashion soit toujours aussi attrayante pour les jeunes. "Le coût de la vie a beaucoup augmenté ces dernières années, et tout semble tellement incertain. Pas surprenant que les adolescents et les jeunes d'aujourd'hui achètent des vêtements en polyester comme des petits pains", dit-elle. "Lorsque tout coûte cher et qu'on doit faire une croix sur l'accès à la propriété ou obtenir un salaire décent, que nous reste-t-il à faire, sinon d'acheter une robe à 20 € ?". Autrement dit, pour changer les habitudes des consommateurs, il faut aussi leur redonner foi en l'avenir, tout en leur faisant prendre conscience du péril qui nous guette. Là encore, on est face à un paradoxe.
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L'amie de Lauren, Caroline Jones, qui se définit elle-même comme "amatrice de slow fashion", peut en témoigner. Cette mère de trois enfants âgée de 51 ans avait attiré l'attention de la presse en 2015 lorsqu'elle s'était engagée à ne porter que des vêtements seconde main pendant un an, et a ensuite partagé son expérience dans le livre Knickers Model's Own. Elle a deux filles ado, Mary, 16 ans, et Connie, 14 ans, et dit pouvoir facilement s'identifier à cette frénésie de la jeunesse, qui a soif de nouvelles tendances et l'envie de jouer constamment avec son identité. "Pour moi qui ai la cinquantaine, c'est différent, j'ai pu expérimenter avec mon look au fil des années, ça n'a pas le même attrait. Mais quand on est jeune, tout est plus nouveau, brillant et excitant.
Si Mary et Connie accompagnent parfois leur mère dans les friperies, elles préférent de loin les boutiques de fast-fashion, remplies d'adolescentes comme elles. Connie par exemple adore Brandy Melville et Urban Outfitters, bien que leur prix légèrement plus élevé par rapport à d'autres - comme Primark par exemple - signifie qu'elle est plus considérée dans ses achats. Mary elle adore Topshop, en particulier ses pantalons, chez qui elle trouve toujours sa taille, contrairement aux boutiques vintage. Elle admet aussi craquer de temps à autre pour des marques comme Pretty Little Thing ou Boohoo, très peu chères et suivies par tout le gratin Instagram. "On voit tout le temps leurs fringues sur Instagram", dit-elle. "Au UK, toutes les 10 stories on voit quelqu'un porter une fringue du groupe Boohoo." Et la France n'est pas en reste.
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La fast-fashion n'est certainement pas un phénomène récent, mais les commerçants en ligne ont certainement donné un nouveau sens à ce terme en produisant robes, bikinis et lingerie à des prix qui défient toute concurrence. Et contrairement aux boutiques de fast-fashion traditionnelles, leur business model qui favorisent la publicité en ligne leur permet de considérablement baisser leur coûts de revient, mais aussi d'attirer des personnalités pour qui Internet est central. Mary par exemple est fan de Kylie Jenner - peut-être la bombe sexuelle ultime de la Gen Z - qui compte plus de 145 millions d'abonnés sur Instagram. Si Kylie Jenner porte principalement des marques de luxe comme Balmain et Fendi, Boohoo et Missguided sont très réactifs à ce qu'elle poste pour pouvoir proposer des imitations à des prix ridiculement bas.
Plus encore que les millennials, les Gen Z consomment non seulement énormément de contenus sur les réseaux sociaux, mais sont aussi les premiers à en poster. Surnommée "la génération la plus photographiée de l'histoire" par l'expert de la Gen Z Jason Dorsey, il existe une règle tacite qui consiste à ne pas être jamais être vu deux fois dans la même tenue, surtout si celle-ci a déjà été immortalisée en ligne. Connie dit qu'elle échange souvent des vêtements avec ses camarades de classe pour contourner le "problème", ou bien elle achète une tenue pour chaque occasion spéciale.
L'attitude consumériste de la jeune génération est à la fois déconcertante et déprimante pour Caroline, pour qui c'était avant "un vrai plaisir" d'aller au centre commercial avec sa mère. "Ça m'inquiète aussi à un niveau plus large, cette mise au rebut des vêtements. C'est comme d'acheter une broutille, on dépense entre quatre et 6 euros pour une robe, donc on s'en fiche si on ne la mettra qu'une seule fois. Je la vois, je l'achète, je la mets une fois et je ne lui dois plus rien. " Selon Oxfam, l'empreinte carbone des nouveaux vêtements achetés chaque mois au Royaume-Uni est plus importante que le fait de faire 900 fois le tour du monde en avion, tandis qu'un article récent du Guardian soulignait que le simple fait de doubler la durée de vie de nos vêtements réduirait les émissions de 44%.
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Et pourtant, la Gen Z est plus consciente et concernée que jamais par l'impact environnemental de la fast-fashion. "Je me souviens avoir regardé cette émission de Stacey Dooley sur la fast-fashion, qui évoquait le fait que le coton assèche tout pleins de régions du monde, puis de me sentir vraiment coupable à chaque fois que je commandais des vêtements en ligne", dit Connie. Pourtant, ce n'est pas suffisant pour transformer totalement leurs habitudes de dépenses. "J'aime la mode, donc pour l'environnement, je préfère m'assurer d'avoir éteint les lumières et acheter moins de plastique alimentaire… " admet Connie. "Je ne dirais pas que j'achète beaucoup de vêtements, mais c'est vrai que j'aurais dû mal à réduire ma consommation."
Et c'est vrai que quand on voit à quel point nous sommes sollicités de toutes parts, on comprend combien il peut être difficile pour quelqu'un de 20 ans de résister à la tentation. "Il m'a fallu quelques années pour me libérer complètement des chaînes de la fast-fashion et arriver au point où j'en suis aujourd'hui, c'est-à-dire de n'acheter pratiquement que des fringues seconde main", nous dit Tolmeia, "Tolly" Gregory, une blogueuse et militante britannique âgée de 19 ans. La tragédie de l'effondrement du Rana Plaza aura été un électrochoc pour elle. Depuis, elle est membre actif d'Extinction Rebellion et ne partage plus que des looks eco-friendly sur Instagram. Bien que l'engagement de Tolly envers la cause soit impressionnant pour la plupart, elle ne se considère pas comme une exception. "En fait, je suis agréablement surprise par les Gen Z qui m'entourent et qui n'achètent aussi que des vêtements d'occasion, recyclent ou fabriquent leurs propres vêtements ", dit-elle. "Je pense que c'est en train de se normaliser."
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Surtout que l'univers du vintage a bien changé. Selon l'entreprise Vinted, 60% de ses 8 millions d'utilisateurs sont âgés ont entre 18 et 29 ans. Chaque jour, c'est plus de 400 000 achats qui sont faits sur la plate-forme, et ils ne sont pas les seuls. Les sites de revente ont le vent en poupe depuis que le streetwear et la culture du "drop" est si populaire, nous explique Rhiannon Mills, rédacteur prévisionnel au Future Laboratory (quand un produit est lancé après des années voire des mois de teasing, ndlr). "Même très jeunes, ils ont le sens des affaires et approchent la revente de vêtements non seulement comme un moyen d'économiser ou de dénicher des articles introuvables, mais aussi dans l'idée de devenir des travailleurs indépendants ". Si Caroline elle pense que la vente de vêtements sur internet ne fait qu'alimenter notre frénésie d'achat, on peut au moins saluer le fait que la nouvelle génération achètent plus d'articles de seconde main que la génération précédente.
La location de vêtement est également en hausse : la start-up américaine Rent the Runway, qui permet à ses membres de louer des pièces haut de gamme, a récemment été évaluée à plus d'un milliard de dollars. Mais la Gen Z mord-t-elle vraiment à l'hameçon ? "J'ai l'impression que c'est un peu tiré par les cheveux de croire que ça va bientôt devenir la norme, nous dit Tolly, mais je ne suis évidemment pas contre et je pense que dans le secteur du luxe et des vêtements d'occasion, il y a un vrai marché pour ça. Mary a envisagé cette option pour son bal de fin d'année (où une camarade de classe est d'ailleurs venue dans un sac poubelle pour protester contre la fast-fashion, tandis qu'une autre aura dépensé des centaines de dollars pour une robe qu'elle ne portera probablement plus jamais). Bien qu'elle aura elle même opté pour une robe à 60 €, elle admet qu'elle ne la portera probablement pas une seconde fois, mais se verrait tout à fait la louer à quelqu'un d'autre.
Malgré ces avancées prometteuses, les marques de fast-fashion continuent encore de dominer les réseaux sociaux en combinant pièces abordables, tendances et reconnaissances des paires, à savoir des influencers. "Les Gen Z se soucient de la mode durable, mais ils ont besoin que les marques s'engagent et leur offrent un soutien pour s'assurer qu'ils peuvent acheter de façon durable sans avoir à faire de compromis sur le style, le confort et la fonctionnalité des produits ", nous dit Rhiannon.
Un équilibre que quelques marques comme Reformation ont su trouver, avec des prix certes beaucoup moins abordables que New Look et co., mais des ambassadeurs tels que Kaia Gerber et Bella Hadid. D'ailleurs, Connie et Mary admettent que si les marques éco-responsables et les vendeurs d'occasion s'associaient à leurs influenceurs favoris, elles seraient sûrement plus intéressées par la mode seconde main.

En résumé : il n'y a jamais eu de meilleure époque que celle d'aujourd'hui pour prôner la décroissance des circuits de la mode - une opportunité qui là encore, en vrai paradoxe, coïncide avec le péril écologique. Reste à savoir si nous sommes tous·tes à l'épreuve du défi qui nous attend.

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