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Capitalisme du désastre : consommer ne nous sauvera pas du coronavirus

Photo: Noam Galai/Getty Images.
Les millénials les plus vieux s’en souviendront sûrement : ils venaient de passer le bac, d’entrer à la fac, de quitter le nid familial quand c'est arrivé. C'était le 11 septembre 2001, date des attentats de New York qui ont entrainé 18 ans (et ce n'est pas fini) de guerres déraisonnables, et la fin du monde tel qu'on le connaissait. Au lendemain de ces attaques, un message a fait son chemin : la meilleure façon de vous rendre utiles, d'aider votre communauté et votre pays, c'est de consommer. Ce discours on l'entend régulièrement de la part de politiques, mais aussi de personnalités, comme Anna Wintour (si, si on vous jure).
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Depuis, une autre génération est devenue adulte, et elle a appris, comme ses aîné·es avant elle, que cette mission était désormais la sienne. C'est ce qu'on nous dit après des catastrophes naturelles, comme les ouragans Katrina et Sandy, mais aussi lors de catastrophes causées par l'homme, comme les guerres en Afghanistan et en Irak, et la crise économique de 2008. On nous répète, encore et encore, que la meilleure façon de nous sortir de là — et de sauver le monde — c'est en faisant du shopping. On nous rappelle que, dans un passé pas si lointain, on a demandé à nos armées de donner leur vie pour le bien de tous. Aujourd'hui, ce qu'on nous demande de sacrifier, c'est juste notre argent.
L'idée que l'argent et la vie — ou du moins la vie aux USA — existent dans une sorte de système binaire est, bien entendu, ridicule. Il n'y a malheureusement aucun moyen de séparer les deux, plus aucun moyen de conceptualiser un choix tel que "l'argent ou la vie". Toute personne à qui on a déjà demandé de contribuer à un GoFundMe pour financer des frais médicaux nécessaire, ne le sait que trop bien : l'argent est la vie et, bien trop souvent, son absence peut signifier la mort.
Mais l'argent a toujours été bien plus qu'un simple gagne-pain. Ce qui est devenu très clair ces dernières années, c'est comment nous nous sommes habitués à l'idée qu'il est de notre devoir en tant qu'individus de soutenir un système souvent trop précaire, plutôt que d'en attendre plus de nos gouvernements. C’est un rejet de l'interventionnisme d'État. Il ne suffit pas d’être autonomes, nous sommes censés être fiers de l'être — comme si, même si le gouvernement nous offrait son aide, nous devrions la refuser.
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Cette façon de penser, c'est ce qu'on appelle le capitalisme du désastre, un concept décrit par Naomi Klein dans son livre de 2007, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre. Les catastrophes, explique Klein, se produisent assez régulièrement pour que les gouvernements et les élites du monde des affaires tentent de trouver un moyen de les exploiter afin de maintenir le statu quo et leurs positions privilégiées. En effet, selon Klein, en période de détresse économique extrême, lorsqu'il devient évident que nos institutions n'assurent pas nos arrières, on va rechercher naturellement des solutions plus progressistes, un moyen d'assurer le bien commun ; c'est ce qui s'est passé après le crash boursier de 1929, qui a conduit à la présidence de Franklin D. Roosevelt, et à l'avènement du New Deal, une série de politiques interventionnistes mises en place pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux États-Unis.
Mais les catastrophes sont une réalité, et plutôt que de risquer un avenir plus progressiste, le gouvernement américain — et ce n’est pas le seul — a déployé ce que Klein appelle la "stratégie du choc" et a utilisé les catastrophes à des fins politiques, en exploitant l'instabilité, en demandant aux personnes financièrement précaires de contribuer autant qu'elles le peuvent et en s'assurant que seule l'élite riche en bénéficiera. C'est la priorité constante de l'intérêt privé sur le bien public, et c'est une philosophie ascendante pour tous les millénials. On nous a répété à maintes reprises que la seule façon de s’en sortir, c’est de mettre la main à la poche. Cependant, avec la pandémie du coronavirus, le capitalisme du désastre atteint peut-être ses limites. 
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L'un des principes de base de cette doctrine est qu'il est nécessaire que la majorité de la population continue à agir normalement — continuer à soutenir les entreprises locales et en ligne, fréquenter les restaurants et les cafés, et, pourquoi pas, prendre des vacances, même ! Embarquez pour cette croisière de rêve ! Vous le valez bien. Quand on donne ce conseil, on obtient deux résultats : les gens dépensent plus, et ils ont l'illusion d’avoir le contrôle sur une situation incontrôlable.
Il ne fait aucun doute qu'avoir des clients dévoués aide vraiment les petites entreprises locales. Mais ce que la pandémie de coronavirus prouve une bonne fois pour toutes, c'est que non seulement cette aide ne sera pas suffisante, mais qu'il ne devrait jamais incomber aux consommateurs individuels de maintenir l'économie à flot — surtout lorsque beaucoup d'entre eux se retrouvent soudainement sans emploi ou au chômage partiel, et donc financièrement instables.
C'est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, et c'est une situation avec laquelle nous n'avons aucune expérience — en particulier les générations Y et Z. Il semble donc logique que beaucoup d'entre nous, en particulier ceux qui sont assez jeunes pour ne pas se sentir en danger immédiat à cause de COVID-19, aient d'abord réagi à la menace d'une pandémie en sortant, en fréquentant les bars, en faisant leurs courses comme d'habitude — c'est ce que nous avons appris à faire en période de panique après tout. Mais les circonstances uniques de ce virus ont mis un terme à ce genre de comportement. 
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Notre envie de faire du shopping pour nous sortir de ce désastre reste toutefois présente. Il est devenu indéniable que des industries entières — des restaurants et bars aux librairies indépendantes, des marques de mode indépendantes aux salons de beauté — sont grandement menacées et risquent même de disparaitre. Et il est devenu tout aussi indéniable que les commandes de margaritas et de cartes-cadeaux ne sont pas une solution magique à ce problème. Oui, nous devons continuer à soutenir les commerces de proximité et à soutenir les petites entreprises, mais ce n'est pas suffisant. Surtout quand on sait que certaines de ces petites entreprises parviendront à se maintenir à flot, mais le feront en licenciant leurs employés, qui ne verront donc pas la couleur de l'argent provenant de ces cartes cadeaux.
La dernière fois que nous avons été confrontés à une catastrophe d'une telle amplitude (sur le plan économique du moins), c'était en 2008, lorsque l'économie a été plongée dans une crise d’une magnitude internationale, que des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur maison et qu'un nombre encore plus important d'entre eux ont perdu leur emploi. Bien que cette période ait conduit à réveil politique auprès des jeunes (avec des mouvements comme l'Occupy Wall Street), elle a également donné une nouvelle occasion aux gouvernements de réduire les acquis sociaux et de soutenir (une fois de plus) les grandes entreprises — comme toutes ces banques qui ont été jugées "trop importantes pour faire faillite".
Que pouvons-nous donc faire pour avoir un sentiment de pouvoir à un moment où nous nous sentons également totalement limités ? Comme Klein l'a récemment expliqué à Vice, "au lieu de faire des réserves et de réfléchir à la manière dont vous pouvez prendre soin de vous-même et de votre famille, vous pouvez vous tourner vers le partage avec vos voisins et venir en aide aux personnes les plus vulnérables". Vous pouvez également exiger davantage du gouvernement.
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Aujourd'hui, la situation est différente. Oui, il y a encore des milliardaires de la finance qui exhortent les Américains à surmonter cette pandémie en commandant autant de Chipotle que possible. (Le fonds spéculatif d'Ackman détient une participation de 5 % dans Chipotle.) Mais certains signes montrent que même les suspects habituels sont prêts à tester des méthodes peu orthodoxes pour faire face à cette crise, en proposant par exemple d'énormes projets de loi de relance et en flirtant avec l'idée d'un revenu de base universel. Ils n'ont pas le choix, nous vivons une époque extraordinaire et les ramifications de cette pandémie restent incertaines, même si une chose semble claire : ce sont les personnes les plus précaires qui vont morfler le plus. 
Ainsi, il ne suffira pas de se faire offrir quelques milliers d'euros pour faire passer la pilule d'un mois (ou plus) de confinement. Nous devons exiger que les plus vulnérables d'entre nous soient protégés. Nous devons résister à l'impulsion de thésauriser nos ressources personnelles — qu'il s'agisse de rouleaux de papier toilette ou de notre énergie et de notre capacité de nous révolter — et agir en fonction d'un désir d'en faire profiter le plus grand nombre possible. Nous devons comprendre que notre propension à consommer n'est pas un mal en soi, mais les petites entreprises et leurs employés doivent être protégés — dans une période comme celle-ci, certes, mais aussi en général — par un filet de sécurité plus solide que le revenu disponible de ses clients.
Car à moins d'être Jeff Bezos ou Michael Bloomberg, vous n'avez probablement pas la richesse personnelle nécessaire pour maintenir toute une industrie à flot par vos propres moyens. Et ce n'est pas grave. Les millénials ont répondu à l'appel au consumérisme du gouvernement depuis déjà assez longtemps. Il est maintenant temps pour le gouvernement de répondre au nôtre, et de nous fournir l'avenir que nous voulons, l'avenir dont nous avons besoin.
Des conseils utiles ainsi que des informations mises à jour quotidiennement sur le Covid-19 sont disponibles sur le site du gouvernement. Si vous craignez d’être vous-même inffecté·e, appelez votre médecin ou le numéro de permanence de soins de votre région. Vous pouvez également bénéficier d’une téléconsultation. Si les symptômes s’aggravent avec des difficultés respiratoires et signes d’étouffement, appelez le SAMU- Centre 15. Les personnes sourdes et malentendantes peuvent entrer en contact avec un téléconseiller ou appelez le 114 en cas de forte fièvre ou de difficultés respiratoires.

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