Attention, spoilers à venir. Dans le deuxième épisode de Ms. Marvel sur Disney+ - une série déjà révolutionnaire pour sa représentation de la première super-héroïne musulmane du Marvel Cinematic Universe - un moment fort se produit dans un lieu plus qu'improbable : les toilettes pour filles d'un lycée.
Après une mésaventure où elle a failli révéler ses pouvoirs, Kamala Khan (Iman Vellani) se confie à sa meilleure amie Nakia Bahadir (Yasmeen Fletcher) : "C'est impressionnant la vitesse à laquelle on change, Même nous, on n'arrive pas à suivre." En apparence - du moins pour Nakia, qui ne se doute pas que son amie pakistanaise de Jersey City est une super-héroïne - elle parle de grandir et de trouver sa place dans le monde en tant que jeune adulte, une période où l'on est souvent dépassé par les émotions, le stress et les hormones. Pour Kamala, et pour nous qui connaissons la vérité, elle parle en réalité de gérer et de maîtriser les responsabilités qui vont de pair avec la découverte que l'on est capable de marcher dans les airs et d'activer un bouclier de protection. Mais même pour quelqu'un qui n'a pas de superpouvoirs, l'idée d'avoir du mal à s'intégrer à la société est un sentiment familier.
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Nakia, qui porte un hijab dans les bandes dessinées comme dans la série, va encore plus loin, en faisant le lien entre la quête de Kamala pour trouver une place dans le monde et sa lutte personnelle pour donner un sens à sa vie, elle qui grandit entre deux cultures et qui a choisi de porter un hijab. L'expérience, comme l'explique Nakia, est loin d'être une promenade de santé. "Facile ? Crois-moi, c'est vraiment tout sauf facile", dit-elle à Kamala. "Toute ma vie, j'ai souffert à cause de mon image, trop blanche pour la communauté, trop ethnique pour les autres. Je ne savais jamais où me positionner parce que j'étais tiraillée entre les deux. Et la première fois que j'ai mis le voile, je me disais qu'au moins j'aurai la paix, mais je me suis rendu compte que je le faisais pour moi et pour personne d'autre. Quand je m'habille comme ça, c'est moi tu vois. Ça donne un sens à ma vie."
C'est un moment intime, partagé entre deux amies qui se réconfortent mutuellement sur fond de graffitis les toilettes des filles, mais ce moment - comme Kamala - est extrêmement fort, car il aborde une réalité et une expérience dont on ne parle pas assez à l'écran dans la culture occidentale, à savoir la difficulté de grandir dans l'entre-deux. La conversation assimile le voile et l'identité de Nakia aux superpouvoirs de Kamala, présentant son couvre-chef religieux souvent diabolisé dans les cultures occidentales sous un jour positif (comme c'est souvent le cas pour les personnes qui le portent). Et surtout, c'est une démarche volontaire. Pendant de nombreuses années, dans la culture pop, cela n'a pas vraiment été le cas. Historiquement, les jeunes femmes d'Asie du Sud et du Moyen-Orient - si elles sont représentées à l'écran - se confrontent à des représentations plutôt limitées et parfois carrément insultantes. Souvent, le trope est le même : une jeune fille arabe ou sud-asiatique est dépeinte comme une personne docile, un peu ringarde, sans voix et complètement impuissante, généralement contre la volonté de sa famille. L'origine géographique ou culturelle de la jeune fille en question n'a pas vraiment d'importance. L'essentiel est qu'elle ait la peau matte, car le large spectre des cultures est, bien sûr, interchangeable. Heureusement, ces représentations commencent à changer, avec la création de séries telles que Mes premières fois, Ramy ,et Sort Of.
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"En grandissant, les femmes de couleur, mais aussi les femmes en général, sont poussées à se sentir toutes petites et invisibles et on leur dit de se taire et que leurs voix ne comptent que quand on leur dit que leurs voix comptent", explique Yasmeen Fletcher à Refinery29. "Ça m'a beaucoup touchée étant plus jeune. J'avais l'impression que si je disais quelque chose, personne ne m'écouterait parce qu'il y avait un autre gars qui disait la même chose un peu plus fort."
Le mélange de deux cultures - sans jamais avoir le sentiment de pleinement appartenir à l'une ou à l'autre - "m'a mise dans une toute petite boîte et il m'a fallu beaucoup de temps pour me sentir suffisamment confiante pour en sortir", dit-elle. Voir un personnage comme Nakia à l'écran lorsque l'actrice de 19 ans était plus jeune aurait été monumental. Fletcher, une fan inconditionnelle de bandes dessinées (Nakia a toujours été sa préférée), cherche encore son équilibre et sa confiance en elle, même avec le soutien de membres plus âgés de sa famille qui l'ont encouragée et lui ont donné la confiance nécessaire pour parler plus ouvertement de son expérience.
C'est pourquoi, pour Iman Vellani, qui joue le rôle de Kamala, cette scène dans les toilettes, une journée de tournage riche en émotions pour les deux actrices, est vraiment le fil conducteur de la série. "On a tous l'impression d'exister entre deux mondes, moi qui suis à la fois canadienne et pakistanaise par exemple ; au Pakistan, je ne suis pas vraiment pakistanaise, mais au Canada, je ne suis pas non plus considérée comme pleinement canadienne. C'est donc une lutte constante."
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Selon Vellani, les thèmes de la série portent sur la distinction entre les étiquettes et ce qui est attendu de nous, et sur le fait de devenir une personne authentique, quelqu'un qui n'est pas défini par toutes ses étiquettes, mais qui accepte pleinement les diverses facettes et aspects de son identité. Parce que c'est simplement qui ils sont. Pour Kamala, il s'agit d'une adolescente de 16 ans, sans permis de conduire, dotée de superpouvoirs. Et pour Nakia, c'est être une adolescente libano-américaine portant le hijab qui se présente au conseil de sa mosquée locale.
En définitive, il y a du pouvoir dans l'identité. Ce qui rend cette scène tellement saisissante, c'est le parallèle entre les superpouvoirs de Kamala et l'identité de Nakia, à travers son hijab. À l'instar de la cape Ms. Marvel de Kamala, le hijab de Nakia est pour elle une source de pouvoir, un moyen d'exprimer sa personnalité et quelque chose qui lui donne le sentiment d'être spéciale, qui donne du sens à sa vie. Cette façon subtile mais puissante de cadrer les choses diffère des nombreux récits qu'on a tendance à voir autour des personnages musulman·es - qui présentent souvent les vêtements religieux tels que le voile comme oppressant.
Cette idée de la culture comme force n'est pas propre à cette seule scène. L'objet qui donne ses pouvoirs à Kamala est un bracelet de sa nani, un lien physique et concret avec sa culture et ses origines. Bruno, un autre ami de Kamala, s'oppose également à l'idée que les filles comme elle de Jersey City ne peuvent pas sauver le monde, en lui disant explicitement : "Là, tu as tout faux. Tu es Kamala Khan. Tu veux sauver le monde, alors tu sauveras le monde".
Toutefois les conversations sur l'identité à l'écran sont plus importantes que jamais, car certain·es continuent à manifester de la haine envers la diversité et le pouvoir sur leurs écrans. Depuis que Ms. Marvel a été présenté en avant-première début juin, acclamé par la critique et avec un score de 97 % sur Rotten Tomatoes, la série a été "review bombed", une pratique de trolling qui consiste à donner en masse des critiques négatives à une série ou à un film pour en faire baisser le score. Le fait est que Ms. Marvel est une excellente série, et cela vient de quelqu'un qui n'est pas fan de l'univers Marvel. Ce que l'on en retient, c'est que les gens sont en colère à l'idée qu'une fille musulmane, originaire d'Asie du Sud, soit la tête d'affiche de la dernière création de la franchise cinématographique et télévisuelle la plus populaire au monde.
"Voir que [Kamala] a une relation saine avec sa famille et sa culture, c'est vraiment rafraîchissant", confie Vellani, "surtout parce que souvent, à Hollywood, les seules fois où je vois de jeunes musulmans à l'écran, ils cherchent à se défaire de leur culture, de leur religion ou de leurs parents. Mais ici, on la voit se servir de ça comme motivation et même comme code moral. Et pour moi, c'est merveilleux."
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