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Sexe et consentement : au-delà de l’aspect juridique, une question d’humanité

Dix ans après que Jaclyn Friedman ait coédité le livre précurseur “Yes Means Yes”, qui a redéfini la notion de consentement, elle écrit l’importance de transcender sa simple codification.

Ligne ondulée
"Une étudiante sur dix victime de violences sexuelles." Voilà les chiffres effarants révélés par une étude menée par L'Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexiste. Le rapport intitulé "Paroles étudiantes sur les violences sexuelles et sexistes" (version simplifiée en lien) publié le 12 octobre dernier a révélé que 34 % des étudiantes indiquaient avoir été victimes ou témoins de violences sexuelles. Pire encore, une étudiante sur 20 affirme avoir été victime de viol. Des chiffres qui nous amènent à confronter le problème des violences sexuelles et sexistes dans l'enseignement supérieur, et à penser autrement notre approche et notre éducation du consentement.
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Lorsque je parle aux étudiant·e·s de sexe et de consentement, on me demande souvent - surtout les jeunes hommes - combien de fois doit-on vérifier avec un·e partenaire qu'il ou elle est bien consentant·e. Toutes les dix minutes ? Toutes les cinq minutes ? Toutes les deux minutes ? Il y a aussi celles et ceux qui essaient de me "piéger" avec des détails techniques. Et si ma ou mon partenaire ne veut pas que je demande ? Et si nous sommes tou·te·s les deux bourré·e·s ? Qui viole qui ?
Mais le viol n'est pas une question de détails techniques, et le consentement n'est pas une simple case à cocher. C'est un processus continu entre deux personnes, qui nécessite de traiter votre partenaire comme votre égal·e. Essayer de réduire le "consentement" à quelque chose à régler pour pouvoir aller de l'avant et obtenir ce que vous voulez implique que vous êtes plus préoccupé·e par les règles du jeu que par le fait de traiter votre partenaire avec respect et humanité. Et c’est l'humanité qui est au cœur du vrai consentement.
Cela fait plus de dix ans que Jessica Valenti et moi avons publié "Yes Means Yes", le livre qui a contribué à populariser une nouvelle définition du consentement, une définition qui insiste sur le fait que l'absence de "non" ne suffit pas, et que seul un "oui" donné clairement et librement signifie que le sexe est consensuel. Si vous n'êtes pas sûr·e, il faut demander. Le livre et l'idée de consentement explicite ont connu un succès qui dépasse nos espérances les plus folles. Depuis sa publication, quatre États américains ont mis en œuvre des lois "Yes means yes", obligeant tous les collèges et universités à utiliser cette norme pour juger les cas d'agression sexuelle. En outre, près de 1 000 universités dans tout le pays ont adopté cette norme de manière indépendante. En Europe, des pays tels que l'Espagne et la Suède ont également adopté leurs propres lois sur le "consentement affirmatif".
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 Toute cette réglementation est formidable : c'est un moyen pour les institutions de prendre position contre les violences sexuelles, et de créer des opportunités majeures pour l'éducation au consentement. Après tout, si le "consentement affirmatif" est la norme, tout le monde doit savoir comment l'appliquer.

Mais sur la voie de la codification, nous avons remplacé certains des anciens mythes autour du viol par de nouveaux : le consentement n'est qu'un obstacle à franchir pour parvenir au sexe.

Mais sur la voie de la codification, nous avons remplacé certains des anciens mythes autour du viol par de nouveaux : le consentement n'est qu'une étape à franchir pour parvenir à ses fins : le sexe. C'est de là que viennent toutes ces applications de consentement. Vous savez, celles qui sont introduites tous les six mois environ en grande pompe pour ensuite s'enflammer immédiatement parce qu'elles imaginent un monde dans lequel les gens s'assoient devant un téléphone avant d'avoir des relations sexuelles, et une fois qu'ils ont signé leur consentement, c'est fini. BOOM. Sexe consensuel. Ce faisant, nous avons oublié que le consentement est bien plus qu'une série de termes juridiques - c'est une éthique humanisante du sexe.
Le consentement, le vrai, exige que nous soyons vraiment présent·es lors de nos rapports sexuels. Il exige que nous voyions nos partenaires sexuels - qu'il s'agisse de liaisons anonymes ou de partenaires pour la vie - non pas simplement comme des instruments de notre propre plaisir, mais comme des partenaires égaux, tout aussi humains et importants, tout aussi nuisibles, tout aussi libres et tout aussi souverains.
Pour beaucoup d'entre nous, après avoir été martelé·e·s des années durant de messages toxiques et souvent contradictoires sur la sexualité, s'engager dans ce genre de vision requiert un profond changement personnel. Tout d'abord, et surtout, nous devons arriver à un point où nous ne souhaitons avoir des relations sexuelles qu'avec des personnes qui sont réellement désireuses de le faire avec nous. Si la barre semble trop basse, c'est parce que nous savons tou·te·s que les honnêtes gens ne veulent pas coucher avec des personnes qui n'en ont pas envie. Mais le véritable consentement exige que nous allions plus loin. Abordez-vous le sexe comme un processus collaboratif ou comme un accomplissement personnel ? Quand un·e ami·e vous raconte ses exploits sexuels de la veille, est-ce que vous êtes du genre à lui faire un "high five" ? Ou à lui demander comment c'était pour toutes les personnes impliquées ?
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Le vrai consentement exige de notre part une forme de vulnérabilité

Une fois qu'on est présent·e sur le plan émotionnel, il faut apprendre à communiquer clairement durant les rapports sexuels. Nous devons développer les muscles émotionnels nécessaires pour surmonter toute une vie de discours qui nous ont appris que nous devons continuellement penser et parler de sexe - sauf avec les personnes les plus concernées : celles avec qui nous couchons. Nous devons dépasser la pression liée au sexe - pour les hommes, cette injonction à la "virilité" et faire preuve de clairvoyance au point de mieux savoir ce dont leur partenaire a besoin que le principal intéressé, et pour les femmes, l'absence de désir sexuel, comment, alors, oser dire que nous désirons plus d'une chose et moins (ou aucune) de l'autre. Nous devons cesser de prétendre qu'être "queer" ou "kinky" signifie que nous ne rencontrons aucun problème de consentement. Quel que soit notre genre ou notre sexualité, nous devons réaliser qu'il peut être sexy de prendre le temps de discuter avec notre partenaire - il suffit de baisser la voix d'une octave et de dire des choses comme "est-ce que ça fait du bien" et "j'ai envie de te faire X, tu es d'accord ?" et de voir comment ça se passe. C'est parfois gênant, mais il vaut mieux être gêné·e que de se planter et faire du mal à quelqu'un.
Le vrai consentement exige de notre part une forme de vulnérabilité. Nous devons être prêt·e·s à être rejeté·e·s à tout moment. Nous devons nous investir davantage dans le bien-être de notre partenaire que dans le fait d'éviter d'entendre quelque chose qui pourrait heurter nos sentiments. Avoir des rapports sexuels n'est pas un accomplissement en soi. Le véritable accomplissement consiste à avoir des relations sexuelles de façon à ce que toutes les personnes impliquées se sentent plus humaines, et non moins.
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Il n'est donc pas étonnant qu'une grande partie du discours sur le consentement soit axée sur la codification. En laissant le consentement dans le domaine du droit, nous sommes beaucoup moins sollicités. Il est tellement plus facile de se fier à des instructions "à la carte", d'attendre que quelqu'un vous dise ce qu'il faut faire pour être une bonne personne. Mais les gens sont compliqué·e·s et le sexe est une interaction complexe, vivante et dynamique. L'interaction humaine, surtout à un niveau aussi intime, ne peut être simple, même si on le voudrait. Ça ne l'est pas, c'est tout.

Ainsi, lorsque nous parlons d'"éducation au consentement", nous devons aller bien au-delà d'un simple aparté lors de la journée d'orientation à la fac et nous pencher sur la maîtrise des émotions.

Au fil des années, j'ai entendu de nombreux hommes hétérosexuels dire qu'ils se sentaient personnellement attaqués par le changement des normes en matière consentement. Beaucoup me disent qu'ils ont le sentiment que ces règles les ciblent, leur donnant une responsabilité que les femmes n'ont pas à assumer. C'est faux, mais je comprends leur point de vue. C'est en partie parce que, statistiquement parlant, les hommes sont responsables de la grande majorité des violences sexuelles (à l'exception des abus sexuels sur les enfants). Ainsi, toute conversation sur la question de la réhabilitation de notre culture du sexe exige que nous parlions spécifiquement de la masculinité. Et les choses mêmes qui sont requises pour une pratique du consentement sexuel éthique sont celles qui sont interdites par nos idées dominantes et toxiques sur ce qu'être un homme signifie : être à l'aise avec la vulnérabilité, faire preuve de patience face au rejet, savoir communiquer avec compassion et être capable de voir les femmes comme des partenaires égales.
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Ainsi, lorsque nous parlons d'"éducation au consentement", nous devons aller bien au-delà d'un simple aparté lors de la journée d'orientation à la fac et nous pencher sur la maîtrise des émotions. La véritable éducation au consentement commence à la maison, avec les parents qui apprennent aux enfants de tous les genres qu'elles et ils ont le droit de dire oui et non à toutes sortes de contact physique (y compris les bisous de mamie !), et la même chose vaut pour les autres personnes que l'enfant peut vouloir toucher. L'éducation au vrai consentement renforce l'aptitude émotionnelle et la résilience de chaque enfant, quel que soit son genre, et doit être enseignée de manière adaptée à l'âge de l'enfant, à chaque niveau, dès la maternelle. Et oui, l'éducation au vrai consentement enseigne qu'être un "homme, un vrai" n'implique pas la domination, mais le respect - un instinct pour traiter toute personne comme un être humain important et égal, y compris les partenaires sexuels, y compris les femmes et les jeunes filles.
Peu importe notre genre ou notre sexualité, il est temps de dépasser la notion de consentement basée sur les règles. Le viol est une violation profonde du corps, de la volonté et de l'esprit d'une personne. Le mal qui peut être fait en l'absence de consentement peut marquer une personne à vie. Personne ne veut vivre avec la douleur de cette violation, ou avec la douleur d'avoir causé une telle blessure. C'est pourquoi chacun de nous doit faire ce qu'il faut pour vraiment intérioriser les valeurs du consentement. Si nous sommes prêt·e·s à nous montrer vulnérables, nous pouvons même nous épauler les un·es les autres dans cette tâche. Le chemin est long, mais il est aussi gratifiant. Car le consentement est véritablement l'affaire de tou·te·s. Apprendre à gérer les rapports sexuels consensuels nous rendra tou·te·s meilleur·e·s, plus humain·e·s, plus créatif·ve·s et plus coopératif·ve·s. Sans parler du fait que nous nous amuserons davantage au lit.
Pour y parvenir, il nous suffit de changer la culture du sexe dans laquelle nous vivons. Et ça commence avec nous.

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