C'est un moment que beaucoup de femmes qui sortent avec des hommes connaissent : le rendez-vous touche à sa fin, le serveur se pointe avec l'addition, et je suis là, à guetter ce que le mec va faire. Va-t-il jouer la carte de la galanterie, en couvrant l'addition d'une main et en déposant habilement sa CB de l'autre ? Va-t-il faire comme si de rien n'était et laisser la facture s'interposer entre nous jusqu'au tout dernier moment, en attendant de voir ce que je vais faire ? Ou alors me fera-t-il l'affront de dégainer un "On partage ?"
Peu importe, puisque de toute façon, je m'apprêtais à le juger quoi qu'il décide. Le premier type était "le protecteur" - il voulait prendre soin de moi et il respectait mon temps. Il était classe et sophistiqué, et il avait un peu d'argent à la banque, ce qui était plutôt bon signe. Le deuxième type était "le lâche". Il n'allait certainement pas proposer de payer - parce qu'il n'était pas si intéressé que ça par moi ? Parce qu'il était fauché ? Mais il n'allait pas non plus l'admettre, à moins d'y être obligé. Il attendait que je lui propose de partager la note. Et le troisième type était "le c**nard", celui qui ne me respectait manifestement pas, ou qui ne se souciait pas de ce que je pensais de lui. Il n'essayait pas de m'impressionner. C'était pour moi le dernier des losers !
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Mais cet ensemble de règles, qui m'ont été inculquées par des amies et des membres de ma famille bien intentionnés, n'a pas résisté à la réalité du monde des rencontres. Après des années de relations sérieuses, de relations occasionnelles et des dizaines de premiers dates avec des hommes et des femmes, je suis arrivée à la conclusion qu'il n'y a aucune raison de juger un homme en fonction du fait qu'il paie l’addition ou non. L'idée même est dépassée et pue le sexisme bienveillant. Un sujet parfaitement résumé par l'autrice Emma Clit dans sa BD intitulée "Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper ensemble". Ce n'est pas un modèle culturel que je veux soutenir.
Nous sommes tou·tes conscient·es des attentes traditionnelles qui vont de pair avec les rencontres entre personnes de sexe opposé : les hommes font le premier pas, ils paient le resto, ce sont eux qui décident de vous recontacter (ou non) après un rendez-vous. Les hommes qui ne se conforment pas à ces rôles de genre sont irrespectueux, peu galants, et les femmes qui font le premier pas sont désespérées. Mais pourquoi ? Pourquoi, exactement, les hommes sont-ils censés payer l’addition lors d'un rendez-vous ? Et pourquoi tant de femmes les jugent-ils s’ils dérogent à cette règle ?
Tout ça nous ramène à une époque où le féminisme et la parité n’étaient pas encore discutés comme ils le sont aujourd’hui, un temps où les hommes étaient généralement les seuls à subvenir aux besoins de leur famille, alors que la plupart des femmes restaient à la maison pour s'occuper des enfants. Un homme qui payait l'addition montrait qu'il pouvait assumer le rôle de pourvoyeur, ce qui soutenait le modèle de la relation romantique comme étant transactionnelle - échanger une stabilité financière contre le sexe et une descendance.
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Un homme qui payait l'addition montrait qu'il pouvait assumer le rôle de pourvoyeur, ce qui soutenait le modèle de la relation romantique comme étant transactionnelle
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Est-ce vraiment avec cette mentalité que nous voulons conditionner les rapports de séduction hétérosexuels aujourd'hui ? Bien qu'il reste un long chemin à parcourir, les femmes ont maintenant leur place dans le monde du travail, et l'écart salarial entre les sexes continue de se résorber (même si le coronavirus ralentit un peu la tendance). Avec les voix féminines puissantes qui se développent dans tous les domaines de l'industrie, il est temps de se défaire de ces règles archaïques qui mettent les hommes en position de pourvoyeurs, tandis que les femmes se contentent d'accepter ou de refuser coquettement leurs avances (et leur argent), vous ne trouvez pas ?
Et pourtant, même si les jeunes Françaises sont désormais plus enclines à faire le premier pas que leurs ainées, si vous demandez aux femmes ce qu'elles attendent des hommes lors d’un premier rendez-vous (et, dans de nombreux cas, de tous les rendez-vous), ces vieux stéréotypes peinent à se dissiper. Une étude de TNS SOFRES commandée par Meetic révèle que seulement 24 % des Français·es estiment normal qu'une femme paie l’addition et deux Françaises sur 3 déclarent préférer que l’homme paie la note, même si elles aiment avoir le choix : 62 % des femmes apprécient d’avoir la liberté de choisir mais sont séduites quand l’homme s’occupe de la note. Une autre enquête menée par Refinery29 auprès de femmes de 25 à 35 ans qui s'identifient comme hétérosexuelles ou bisexuelles a révélé que même si 46 % des femmes se sentent coupables lorsqu'elles laissent un homme payer pour elles, 59 % estiment qu'un homme devrait toujours proposer de payer pour une femme au premier rendez-vous - et 48 % disent qu'elles laisseraient un homme payer s'il le proposait.
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Il est temps de se défaire de ces règles archaïques qui mettent les hommes en position de pourvoyeurs, tandis que les femmes se contentent d'accepter ou de refuser coquettement leurs avances (et leur argent), vous ne trouvez pas ?
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Cette mentalité s’insinue jusque chez certaines feministes auto-proclamées. Une femme que je connais - une mère célibataire, une dure à cuire et une femme ambitieuse toujours tirée à quatre épingles - m'a recommandé une fois de lire The Rules, ou ce que j'aime appeler le Grand livre des conseils anti-féministes. Elle estimait que ces conseils, qui poussent les stéréotypes de genre à l'extrême, m'aideraient à trouver des mecs qui me traiteraient "comme il faut". L'une des "Règles" stipule qu'une femme ne doit jamais initier le contact avec un homme, pour quelque raison que ce soit, jamais, jamais, parce que, vous comprenez, il faut le laisser vous chasser ! Si vous prenez l'initiative de demander à un homme de sortir avec vous, ou si vous lui proposez de payer la note, ça signifie que vous êtes désespérée. Ce qu’il faut faire ? Le laisser deviner si vous êtes intéressée ou non, en restant le plus mystérieuse possible. Et bien laissez moi vous dire que cette façon de procéder ne me convient absolument pas.
Je ne me suis jamais sentie à l'aise avec les schémas traditionnels de répartition des rôles femmes-hommes, même lorsque j'avais l'impression de bénéficier de ces schémas. Par exemple, ces types qui paient toutes les factures avec suffisance ? Je suis sortie avec l'un d'entre eux pendant un an et demi - on l'appellera Billy. Dès le premier rendez-vous, Billy m'a invitée dans des restos chics et se démenait toujours pour organiser des activités hyper romantiques. Je n'étais sortie qu'avec des artistes fauchés jusque là, donc autant vous dire que ça me changeait. Je pensais que le fait qu'il débourse tout ce fric était le signe d'un amour sincère, mais en fin de compte, c'était juste sa façon de surcompenser pour une insécurité de base, à savoir : il ne se sentait pas assez "viril". Billy avait peur de paraître faible, alors il payait toutes les factures pour se donner l'air fort. Il s'est également servi de ça comme d'un levier lorsqu'il a commencé à négliger notre relation. Il couvrait la majorité des dépenses, je n'avais donc pas le droit de me plaindre lorsque notre couple a commencé à battre de l’aile. J’avais l’impression d’être comme une propriété qu'il payait pour entretenir... tant que je gardais mes doléances pour moi.
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Et pour ce qui est de mes jugements passés, ils étaient bien entendu déplacés : les "lâches" - qui attendaient de voir ce que je ferais quand l'addition serait sur la table - n'étaient souvent que des types bien intentionnés qui ne voulaient pas m'insulter en présumant que je voulais qu'ils paient l'addition. Et, l’ironie, c'est que ce comportement - attendre de voir ce que l'autre personne ferait quand la note arriverait... c'était le mien. Et le troisième type ? Le soi-disant c**nard ? Il était tout simplement honnête et ne voyait pas pourquoi il devait tout payer juste parce qu'il avait un pénis et moi un vagin - parce que, salut, l'égalité des sexes! Il se trouve que dans cette histoire, c'est moi qui avait tout faux.
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Il se trouve que dans cette histoire, c’est moi qui avait tout faux.
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Il est temps que les femmes qui sortent avec des hommes mettent fin à ces absurdités. Pour la première fois dans l'histoire, nous nous rapprochons de l'égalité, et s'accrocher à des coutumes qui renforcent des stéréotypes de genre ne nous aide pas à aller de l'avant. Et à celles et ceux qui avancent que partager l'addition tue l'amour ? Je réponds, seulement si vous le décidez.
Ce moment où l'on se demande si un homme va "être un gentleman" et dégainer sa CB est pour moi révolu. Aujourd'hui, quand l'addition se pointe, peu importe si je suis avec une femme ou un homme, je sors mon portefeuille et je pose mon argent avec un sourire charmeur. Si la personne insiste pour payer, je m'assure que ce soit mon tour la prochaine fois. Parce que je ne suis pas un trophée. Je suis là parce que j'ai choisi de l'être, je peux payer mes factures comme une grande, et je n'assimile pas un repas gratuit au respect d'un être humain. Je préfère établir mes relations amoureuses sur les mêmes bases que mes amitiés : sur un pied d'égalité, sans piédestal ni jeu de pouvoir.
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