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Comment la mode nous sert d’armure contre les violences sexistes

Chaque jour, nous choisissons une tenue qui nous parle, mais dans un monde où les violences sexistes sont monnaie courante, les personnes à l’apparence féminine sont souvent contraintes d'utiliser la mode pour s'exprimer et se protéger. Tout au long de l'histoire, nous avons été la cible de harcèlement, de violences et d'agressions sexuelles de la part d'hommes, et on nous reproche souvent les vêtements que l'on porte, quels qu'ils soient. 
Qu'il s'agisse de se munir d'accessoires pointus ou de porter des vêtements brillants la nuit, nous sommes toutes armées de conseils de mode destinés à nous protéger des violences misogynes - et cela nécessite de porter le lourd fardeau de l'oppression sur nos épaules chaque jour. "Le sexisme et l'oppression des femmes sont un traumatisme qui affecte toutes les strates de la psyché intérieure ; l'indignité, l'insuffisance, le sentiment fissuré de sécurité, d'appartenance et d'aliénation dans la famille et la société, la honte, la culpabilité et le mépris de soi peuvent se propager comme un virus jusqu'aux couches profondes du soi", explique à Refinery29 Şirin Atçeken, psychologue, spécialiste de l'EMDR chez WeCure.
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Alors que 86 % des Françaises ont été victimes d'une forme d'atteinte ou d'agression sexuelle et que les sociologues Arnaud Alessandrin et Karine Espineira estimaient dans leur ouvrage Sociologie de la transphobie que pas moins de 85 % des personnes trans seront agressées au cours de leur vie, l'influence étouffante de la violence misogyne est plus évidente que jamais. "Je pense que dès le plus jeune âge, il y a cette règle tacite selon laquelle nous devons nous protéger", explique Lindsay McGlone, militante, productrice et conférencière.
Ce phénomène se retrouve également dans l'histoire des vêtements. Au XXe siècle, les femmes utilisaient des épingles à chapeau pour se défendre contre les hommes qui les harcelaient en public - surnommés les "bourreaux" - elles étaient célébrées pour s'être défendues. Mais en 1910, le conseil municipal de Chicago a adopté une loi interdisant les épingles à chapeau de plus de 15 cm, privant ainsi les femmes de cette solution vestimentaire innovante. Des lois similaires ont été adoptées dans d'autres villes, notamment à la Nouvelle-Orléans et à Baltimore, et à Sydney, en Australie, 60 femmes ont été emprisonnées pour avoir porté ces prétendues armes dans leurs chapeaux.
Lorsque vous êtes ciblé·e en raison d'un trait séduisant ou subversif - qu'il s'agisse de posséder des courbes ou de défier le concept binaire du genre - on peut avoir l'impression que vos vêtements sont une invitation. Mais nous ne lançons pas d'appel à la misogynie avec le volant d'une jupe - la misogynie est déjà là, elle reluque, agresse et tue.
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India Ysabel
Militante, créatrice de contenu et cofondatrice de The Speak Up Space, India Ysabel ne connaît que trop bien ce sentiment. "Cela fait partie de mon travail de me battre chaque jour pour que les gens sachent que la violence et le harcèlement sexuels ne sont pas de leur faute, et pourtant je me blâme tout le temps. Cela montre simplement à quel point cette mentalité est ancrée en chacun de nous".
Blâmer les victimes est profondément ancré dans notre psyché collective et les vêtements portés par les survivantes au moment de l'agression influencent bien le jugement sur la responsabilité, même si une étude de 2010 n'a trouvé aucun lien entre les violences sexuelles et les tenues "sexy". Malheureusement, ce constat n'est pas un réconfort lorsque le risque de violence masculine est partout. Depuis l'enfance, beaucoup d'entre nous utilisons des vêtements pour parer à la misogynie. "Je me sers des vêtements pour me cacher depuis l'âge de 12 ou 13 ans. Je me souviens qu'à l'école, j'étais harcelée à cause de ma taille et que les garçons me tapaient sur les fesses, alors je mettais trois paires de sous-vêtements et deux paires de leggings", raconte Lindsay. "C'était un moyen pour moi de moins ressentir le contact et d'avoir l'impression que ce n'était pas vraiment moi qu'ils touchaient".
À l'adolescence, j'ai cessé de porter des pantalons principalement parce qu'on m'avait dit que porter des jeans ferait de moi une cible plus facile pour un violeur. India ajoute : "On m'a tripotée et tapé sur les fesses dans un club alors que je portais un pantalon de survêtement de trois tailles trop grandes pour moi, mais je m'étais mis dans la tête que d'une certaine manière, ce genre de vêtements me protégerait. Ce n'est pas le cas. Ce sont des personnes qui sont agressées et harcelées, pas des vêtements".
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Faraz Arif Ansari
Pour certain·es d'entre nous, trouver refuge dans la mode est une nécessité. "La mode, par essence, a toujours été une armure pour moi - étant une personne queer, racisée et non-binaire", explique Faraz Arif Ansari, cinéaste qui se cachait sous des vêtements trop grands à ladolescence. "Récemment, lors de vacances à Pushkar, au Rajasthan, des hommes m'ont suivi alors que je me promenais sur le marché local, me faisant des commentaires obscènes et m'insultant en hindi", expliquent-ils. "Tout cela parce que je portais un pantalon rose en velours".
Extrêmement conscient·e de la vulnérabilité potentielle de ses client·es, Bee Stuart, styliste, veille à ce que les personnes avec lesquelles iel travaille se sentent habilitées par leur collaboration. "Le sexisme et la misogynie sont omniprésents, interconnectés et ancrés dans le tissu de notre société, tout comme le racisme et le classisme", expliquent-elles. "En raison de ma formation en psychologie, mes séances de stylisme sont centrées sur la façon dont mes clients se sentent à l'intérieur, comment le monde les perçoit et comment ils peuvent utiliser les vêtements pour être la personne qu'ils ont véritablement envie d'être".
Bee Stuart
Dans un monde patriarcal déterminé à réduire la mode à la désirabilité, mon expression de défense préférée consiste à associer des bottes Dr. Martens - parfaites pour les coups de pied défensifs - à des robes fleuries à volants qui me donnent l'impression d'être une fée aux orteils d'acier, capable de voler au-dessus des pervers.
Photo by Emily Metcalfe
Kim Darragon
Après qu'on lui ait dit de porter des talons pour ses présentations des clients et qu'on l'ait encouragée à éviter "les couleurs roses ou féminines" afin d'être prise au sérieux, Kim Darragon, fondatrice de Kim Does Marketing, s'est servi de son armure pour résister aux conventions sexistes du dress-code au bureau. "Ce qui m'a permis de m'émanciper, c'est de faire exactement le contraire ! En portant des jeans et des baskets lors des présentations, des chaussures plates lors de l'organisation d'événements, des motifs vifs et funs - ou des t-shirts avec des messages forts. Mon style ne me rend pas moins professionnelle ou moins respectable".
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Tajinder Kaur, coach en confiance en soi, se sert de la mode pour "sensibiliser et amorcer la conversation" et n'aime pas devoir "transiger" sur son style pour s'adapter aux vêtements "safe" imposés par la société. Elle explique : "En général, les couleurs sombres me font me sentir en sécurité en public, car c'est une façon de me fondre dans la masse et de ne pas attirer l'attention, mais je ne les porte pas souvent. J'ai l'impression qu'on me prive de mon identité, alors que j'adore les couleurs vives, les imprimés et les looks audacieux".
Tajinder Kaur
Il serait facile de conseiller aux gens de ne jamais céder à la violence misogyne en adaptant leur style, mais la sécurité doit passer avant tout. Faraz explique : "Quand on est une personne queer qui assume son identité, on a l'habitude d'entendre ce ricanement constant en arrière-plan. C'est un bruit incessant qui ne s'arrête jamais. La plupart du temps, je ne fais pas de compromis, mais il y a des jours où je me sens vulnérable et alors c'est le retour au noir".
Bien que la sécurité soit une priorité, un équilibre entre protection et expression reste possible. C'est par ailleurs un élément clé pour alimenter l'estime de soi. "[Les vêtements] nous aident à nous sentir sûrs de nous, et ils sont la seule constante sur laquelle nous avons un contrôle total - nous choisissons ce que nous portons, comment nous le portons, quand nous le portons", explique Şirin.
India s'inspire de son amour pour les vêtements masculins pour équilibrer sécurité et style. "Je porte beaucoup de vêtements d'homme et je l'ai toujours fait parce que j'aime la façon dont ils me vont. Je suppose que, d'une certaine manière, c'est une façon de dire "non" aux stéréotypes de genre, mais honnêtement, c'est surtout parce que j'aime porter ces vêtements. Même si mes vêtements servent d'armure à ce moment-là, je m'assure toujours de le faire avec style. Si je porte un vêtement, il faut également que ça me plaise".
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Lindsay McGlone
Le parcours de Lindsay passe par le refus de céder à une société qui lui dictait d'être plus mince. On m'a souvent dit de me faire plus petite", dit-elle, "surtout en tant que grosse, ce qui signifie maintenant que je saisirai toutes les occasions de porter un tee-shirt qui dit "fat bitch" ou de porter des boucles d'oreilles en forme de vibro, parce que les femmes n'ont pas à se taire. Ce n'est pas notre faute si les hommes nous agressent et je n'ai surtout pas besoin de me faire petite pour être plus acceptable".
C'est en restant nous-mêmes sans complexe que nous pouvons trouver de l'autonomie dans les vêtements que nous portons. "Je porte des couleurs vives et audacieuses pour exprimer ma féminité et j'aime les articles oversized pour souligner ma masculinité", explique Bee. "Je prends de la place quand j'entre dans une pièce et je la domine, ce qui me donne un sentiment d'empowerment, de force et de reconnaissance". Lorsque nous soignons notre identité mode et brisons les stéréotypes, nous déboulonnons collectivement les normes sociales. Kim explique : "Alors que la société devient plus à l'aise avec la fluidité des genres, la mode est un excellent vecteur pour briser les normes démodées". C'est une méthode d'expression puissante que Faraz essaie de mettre en œuvre au quotidien : "Ma mode est organique, mais je m'assure de toujours continuer à pousser à l'inclusion et à briser les stéréotypes de genre chaque fois que j'enfile quelque chose".
Après avoir passé des siècles à échapper au poids de la misogynie, il nous faut encore l'évincer de la société. Mais la mode jouera un rôle clé dans notre libération à tous - ce n'est pas l'expérience qui manque, après tout. Nous avons adopté le pantalon, nous nous sommes rebellés en coupant nos cheveux courts, nous avons évité les restrictions de la robe victorienne traditionnelle, nous nous sommes pavanés dans des mini-jupes qui ont marqué leur époque, nous avons fait carrière avec d'imposantes épaulettes et nous avons commencé à chasser la binarité de genre de nos garde-robes. La mode n'a jamais été une simple armure ; c'est une arme qui tue les stéréotypes et qui prend la misogynie à la gorge.
Si la responsabilité ultime de vaincre l'épidémie de violences sexistes incombe aux seuls auteurs de ces violences, et que certains continuent de scander "pas tous les hommes" à chaque témoignage, on est encore loin d'un monde libéré de la violence sexiste. En attendant, notre cri de guerre peut être une mode qui nous permet de nous déplacer dans le monde la tête haute. Comme nous le rappelle Tajinder : "Nous devons nous défendre, résister. Je ne permettrai pas à la société de m'enlever le plaisir de mon style personnel".

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