J'ai une petite question pour vous : est-ce que vous achèteriez une boîte de vêtements mystère pour 40 € ? Et si c’était pour aider une famille du Bangladesh dont les revenus ont été affectés par le Covid-19, tout en recevant des vêtements neufs à 50 % de leur valeur ? On imagine que les deux réponses principales seraient : "Bien sûr !" et "C'est quoi le hic ?"
Il y a une troisième réponse possible - "Non merci, j'ai déjà bien assez de vêtements" - sur laquelle je reviendrai plus tard.
Le hic, c'est que vous ne pouvez pas choisir les vêtements, mais seulement préciser le sexe, la taille, l'"âge vestimentaire" (on parle de style plus que du chiffre inscrit sur votre certificat de naissance) et la palette de couleurs de préférence. Lost Stock propose des colis "surprise" de vêtements venus d'usines dont les commandes ont été annulées par les distributeurs sans paiement en raison de la crise du Covid-19. Le contenu de chaque paquet aurait une valeur nette de 80 €, mais ne vous coûtera que 40 €, et l'argent permet de subvenir aux besoins d'un ouvrier du textile pendant une semaine. Jusqu'à présent, nous sommes plus de 100 000 à avoir acheté l'une de ces boîtes mystère, dans une démarche de consommation plus éthique.
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L'initiative a vu le jour en mai, en plein coeur du confinement, lorsque l'entrepreneur Cally Russell a appris que le montant des commandes annulées par les détaillants de mode s’élevaient à 2 milliards de dollars, laissant des montagnes de vêtements invendus et des travailleurs du textile sans salaire. Un directeur d'usine au Bangladesh aurait déclaré, de manière inquiétante : "Si le coronavirus ne tue pas mes ouvriers, la famine le fera." Cally, qui est le fondateur de l'application de shopping Mallzee (dont le slogan est : "Tinder for Fashion", disposait des contacts et de la clientèle nécessaires pour tenter de faire quelque chose contre cette crise imminente.
Pour mener à bien ce projet, Mallzee s'est associée à la Fondation SAJIDA, une ONG du Bangladesh, ainsi qu'à la Royal Mail. L'objectif initial était de vendre 50 000 boîtes d'ici à la fin de 2020, un chiffre qu'ils ont dépassé en un mois. Lost Stock ne dit pas à quelles enseignes les vêtements étaient destinés, mais il est bien connu qu'Arcadia (qui possède Topshop), Primark, Asda, Peacocks et Urban Outfitters ont fait une entorse à leurs obligations envers leurs fournisseurs. D'autres marques, comme H&M, ont accepté de payer après avoir subi des pressions à la suite des premières annulations.
Lost Stock met en lumière deux problèmes inhérents à la fast-fashion : l'exploitation des travailleurs de l'habillement à l'étranger et les dommages environnementaux, notamment les déchets envoyés à la décharge. Le fait que des vêtements d'une valeur de 2 milliards de dollars puissent être perdus sans que cela ne manque à personne illustre parfaitement l'ampleur du gaspillage qu'est devenue cette industrie.
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J'ai demandé à Cally si la crise lui a fait voir l'industrie de la mode différemment ou si Mallzee allait changer en conséquence. "Non", a-t-il répondu, "nous n'avons jamais dit que nous voulions dénoncer et faire honte à qui que ce soit, nous voulons simplement aider ces travailleurs". Il est poli et il est très agréable de discuter avec lui, mais il refuse de montrer du doigt les détaillants. "Personne n'a vu venir cette pandémie, qui allait obliger les magasins à fermer pendant des mois. Aucun de ces détaillants n'a voulu annuler ses commandes."
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Le fait que des vêtements d'une valeur de 2 milliards de dollars puissent être perdus sans que cela ne manque à personne illustre parfaitement l'ampleur du gaspillage qu'est devenue cette industrie.
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Le dynamisme de Cally et son attitude positive ne peuvent pas résoudre les problèmes que cette crise a mis en évidence. Pendant les périodes fastes, les détaillants de vêtements profitent de fournisseurs mal payés dans des pays lointains, mais lorsque les choses vont mal, ils leur tournent le dos.
Sophie Slater, cofondatrice de Birdsong (dont le slogan est : "Des vêtements originaux, éthiques, durables et fabriqués par des femmes talentueuses et bien rémunérées"), m'a déclaré : "Tout ce qui permet d'éviter la mise en décharge des stocks et de soutenir les travailleurs du textile est une bonne chose". Elle a toutefois ajouté : "Ce que nous ne devons pas oublier en soutenant ce programme, c'est que ces travailleurs continueront à avoir besoin d'un soutien, et continueront malheureusement à être exploités par les grandes marques si on ne les aide pas à s'organiser et à gagner un salaire décent".
D'autres commentateurs de la durabilité, comme Alex Thomas de @wildly_conscious , ont suggéré qu'en envoyant des vêtements au hasard, il y a de grandes chances que ceux-ci finissent de toute façon à la décharge ou jetés dans un conteneur de collecte de vêtements. "Comme pour tous les vêtements, vous devez être responsable, prévoir une solution si vous ne les aimez pas - les donner à des amis, les recycler ou les revendre, et ne pas simplement les mettre dans un conteneur de collecte, en laissant à quelqu'un d'autre le soin de s'en occuper". Elle a ajouté que si ni vous ni vos amis ne voulez un article, vous pouvez le recycler en "quelque chose d'utile : des chiffons de nettoyage, des housses de coussins, un sac, ou même un masque en tissu. Voyez ceci comme un morceau de tissu et regardez les blogs de couture pour vous inspirer".
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Pour tester la théorie d'Alex, j'ai moi-même commandé une boîte chez Lost Stock. N'aimant pas les surprises, j'ai essayé de limiter les dégâts en optant pour des hauts foncés et "unis" plutôt qu'" imprimés", et j'ai croisé les doigts pour recevoir du noir.
J'ai attendu huit semaines que mon colis arrive. Je ne fais normalement mes achats que chez Monki et Arket quand j'achète dans les grands magasins, j'avais donc des réserves. La blogueuse de mode Madiha Hussain (@madihablobbb) s'est montrée plus optimiste : "C'est une excellente façon d'aider les travailleurs du textile au Bangladesh qui ont des difficultés financières, d'une manière qui soit engageante pour les consommateurs. L'élément mystère/surprise de la boîte est très amusant".
Madiha convient que Lost Stock expose plutôt qu'il n'excuse le manque d'éthique de l'industrie. "Instagram a alimenté la culture de la fast-fashion qui consiste à porter et à afficher constamment de nouvelles tenues, mais les événements récents ont rendu la population plus consciente de la provenance de ses vêtements", a-t-elle déclaré, ajoutant qu'elle s'est concentrée sur l'achat de basiques à combiner plutôt que sur des "statement pieces". Elle est convaincue qu'elle parviendra à donner du style à ses articles Lost Stock, plutôt que de s'en débarrasser.
Dans mon colis, il y avait un caraco noir très léger, un haut bleu pâle à rayures et une robe nuisette vert olive style années 90. Les deux hauts ne sont pas vraiment mon style, mais la robe correspond bien au genre de vêtements que je porte en vacances (bien que je puisse également m'en passer). Les étiquettes des vêtements ont été remplacées par celles de Lost Stock, ce qui a provoqué la colère des militants qui affirment que cela permet aux marques de se dédouaner), Lost Stock a racheté les commandes de 23 marques différentes. En parlant de blogueurs, de nombreuses réactions sur Twitter ont été négatives, concernant la qualité, la couleur, la taille, etc. Instagram s'est montré plus clément, bien que j'aie remarqué que tou·tes celles et ceux qui publiaient avaient au moins un article identique au mien, ce qui me fait douter de l'utilité des filtres de style. Je n'ai pas vraiment été surprise par la mauvaise qualité des articles (le haut rayé est celui qui avait le plus beau tissu), mais je me permets de mettre en doute le prix de vente conseillé de 80 €.
Je compte offrir mes deux hauts à des amies et garder la robe. Même si mes articles ne me plaisent pas, je ne veux pas non plus critiquer cette initiative. Lost Stock a pris des mesures importantes pour remédier à une situation désastreuse et le programme continue de s'étendre à d'autres pays et comprend maintenant une option de vêtements pour enfants. Le projet ne leur rapporte pas de bénéfices, les marges servent à couvrir la logistique comme les retours. Le vrai problème, c'est le système de gaspillage et d'exploitation qui se cache derrière notre penchant pour les vêtements bon marché.
Il y a beaucoup de leçons à tirer de cette crise : nous pouvons arrêter d'acheter chez des détaillants qui ne paient pas leurs employés équitablement, choisir des vêtements d'occasion ou acheter des marques mieux notées sur Good On You - un site utile pour vous mettre à la mode durable. Si vous êtes ému·e par la situation critique des travailleurs du secteur textile, mais que vous ne voulez pas acheter une "Lost Stock Box", vous pouvez également faire un don aux associations SAJIDA Foundation, Clean Clothes Campaign, ou Asia Floor Wage Alliance. Ces organisations ont toutes souligné que les dons pour les travailleurs du textile ne remplacent en aucun cas la nécessité de mettre en place des conditions de travail équitables.
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