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USA : la pandémie de violences faites aux Noir·es n’est pas près de disparaître

Beaucoup disent qu’ils ont hâte que les choses “reviennent à la normale”. Mais les deux derniers mois ont montré que le mot “normal” inclut encore le meurtre de nombreuses personnes noires.

Ligne ondulée
Rodney King. Voilà le premier nom d'un homme noir victime de la police dont je me souvienne. J'avais trois ans lorsqu'il a été violemment agressé. 
Depuis lors, la menace d'être assassinée à cause de la couleur de ma peau est un sujet qui refait régulièrement surface dans ma famille. Cette "discussion", que les enfants afro-américains ne connaissent que trop bien, on nous en parlait, à mes grands frères et à moi, comme de nous laver les mains ou de finir nos légumes. En adoptant les bons geste, semblait-il, nous pouvions éviter le passage à tabac par un policier. Il suffisait de bien se comporter (mettre nos mains en évidence sur un tableau de bord) et de porter des vêtements appropriés (pas trop amples, jamais de sweat-shirts à capuche), un peu comme on pourrait éviter un rhume en se couvrant et en buvant du thé chaud. 
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Nous savons maintenant que le comportement n'a en réalité que peu d'importance. Les vêtements n'ont pas d'importance. Et selon la personne à qui vous demandez, la vie d'une personne noire n'a pas d'importance. En pleine pandémie mondiale, alors que presque tout a changé dans notre mode de vie, une chose prévaut : les violences faites aux Noir·es. Il se trouve qu'il n'existe aucun masque pour empêcher la propagation de la suprématie blanche ! 
Bien plus qu'une pandémie, pour les personnes noires aux États-Unis, ce mal est endémique. Il suffit de regarder les actualités de la semaine dernière. Lundi, une femme blanche du nom d'Amy Cooper est devenue virale pour avoir menacé la vie d'un homme noir, Christian Cooper (aucun lien de parenté), qui essayait simplement d'observer les oiseaux en paix dans Central Park. Mardi, une vidéo du Minnesota montrant George Floyd suppliant "Je ne peux pas respirer" pendant qu'un policier blanc l'étouffait avec une cruauté implacable inondait les médias, nous montrant en temps réel ce qu'Amy Cooper aurait voulu qu'il arrive à Christian. Mercredi soir, #JusticeForRegis devenait populaire sur Twitter, faisant référence à Regis Korchinski-Paquet, une femme noire qui est tombée de 24 étages après que la police ait été appelée à son domicile à Toronto. Sa famille affirme qu'elle a été poussée par la police, et a révélé dans une déclaration à ByBlacks que ses derniers mots ont été "Maman, à l'aide". Jeudi, l'épuisement de ces nombreux actes de violence envers les Noir·es - des personnes qui me ressemblent, qui pourraient être moi - était trop lourd à porter.
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En pleine pandémie mondiale, alors que presque tout a changé dans notre mode de vie, une chose prévaut : les violences faites aux Noir·es.

Ces dernières 48 heures, alors qu'il était presque impossible pour une personne qui passe autant de temps en ligne que moi de ne pas voir des images de la tête de Floyd sur le sol, son cou écrasé sous le genou de son meurtrier, j'ai beaucoup pensé à la définition de la normalité, parce qu'on nous répète sans cesse que cette période est tout sauf normale. 
Ces jours, on entend souvent les gens dire qu'ils ont hâte de revenir à la normale. "La nouvelle normalité" est l'objectif et la phrase d'accroche qui domine les gros titres du moment. #WhenThisIsAllOver était une tendance sur Twitter au début du mois, avec des gens qui partageaient des choses qu'ils avaient hâte de faire lorsque la crise du coronavirus serait terminée, comme se marier, voyager vers des destinations de rêve, et aller dîner dans un restau chic. Je comprends qu'il est plus facile de prétendre que les choses vont redevenir comme avant que d'accepter que votre réalité est changée à tout jamais. Croire que ce deuil collectif auquel nous sommes tou·tes confronté·es finira par passer est un moyen pour beaucoup de surmonter leur douleur. Je le comprends bien. 
Mais pour les Noir·es, les réalités douloureuses qui échappent à notre contrôle sont celles auxquelles nous sommes confrontés au quotidien. Bien sûr, nous aussi nous nous marions, nous voyageons, nous allons aussi au restaurant dans des endroits sympas et nous éprouvons chaque jour de la joie malgré l'oppression, mais devoir faire face à la violence et au malaise est un sentiment qui nous est que trop familier.
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Il n'y aura pas de "post-pandémie" pour les fondations racistes sur lesquelles nos systèmes sont bâtis. Nous ne pouvons pas repousser notre souffrance à 2021. 

La souffrance des Noir·es est normale. Le fait de passer par inadvertance devant le lynchage public d'un·e Noir·e est habituel. La mort d'une femme noire qui se transforme en hashtag est standard. Dans un essai de 2016 intitulé "Combien de Noirs pouvez-vous pleurer en une semaine", Hannah Giorgis a écrit : "Être Noir en Amérique, c'est exister dans la proximité obsédante et banale de la mort à tout instant. Il n'y a pas de sursis, aucun moyen de bloquer, pas de bouton unfollow qui puisse nous délivrer de son ombre". Il n'y a pas de "post-pandémie" pour les fondations racistes sur lesquelles nos systèmes sont bâtis. Nous ne pouvons pas repousser notre souffrance à 2021. 
Aux États-Unis, les hommes et les jeunes garçons noirs sont plus susceptibles d'être tués par la police que les blancs. Les femmes noires sont plus exposées au risque de complications lors de l'accouchement. Les Noir·es sont touché·es de manière disproportionnée par la pauvreté et une économie instable. Nous sommes également plus susceptibles d'être victimes de la Covid-19. Des cadavres. Des familles brisées. Des pertes inimaginables. Des libertés bafouées. Des emplois perdus. Un défilé sans fin de la tragédie humaine. Mais on ne peut protester contre ces injustices sans se faire gazer que si l'on est blanc. 
La juxtaposition de deux récentes manifestations qui ont fait la une des journaux est un cliché sinistrement parfait du racisme en action. J’en rirais si cela ne me faisait pas pleurer. Des milliers de personnes - pour la plupart noires - sont descendues dans les rues de Minneapolis pour protester contre le meurtre brutal de George Floyd. Elles ont été victimes d'une représentation injuste dans les médias, de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de tweets du président appelant à leur exécution. Quelques semaines auparavant, dans le Michigan, des hommes et des femmes blancs armés ont hurlé et craché sur la police alors qu'ils condamnaient les consignes de confinement imposées par le gouvernement pour leur propre sécurité. Ils ont été reçus par des officiers calmes portant des masques, un contraste frappant avec la réaction hostile observée à Minneapolis. Le président a qualifié les manifestants du Michigan de "gens très bien". Avec ces exemples, la police montre au monde entier qu'elle considère qu'une personne à la peau blanche n'est pas menaçante, même lorsqu'elle leur crache au visage, alors qu'une personne à la peau noire représente une menace constante, même si elle essaie simplement de survivre. 
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Les deux derniers mois nous ont montré une série d'exemples du "normal" auquel tant de personnes sont si pressés de revenir : le meurtre de personnes noires comme Ahmaud Arbery, un homme abattu par des inconnus alors qu'il faisait son jogging dans le comté de Glynn, en Géorgie ; D'Andre Campbell, un homme de Brampton, souffrant de problèmes de santé mentale, qui a été abattu par des policiers alors même qu'il les appelait à l'aide ; et Breonna Taylor, une femme de Louisville assassinée sans raison dans sa propre maison par la police. Mais le racisme n'est pas toujours le fait d'hommes blancs violents portant un badge. Le racisme enraciné des "Karens" est tout aussi dangereux. 

Refuser de reconnaître sa connivence avec des systèmes et des politiques sociales qui vous profitent et oppriment les autres, c'est laisser délibérément mourir les Noir·es.

Ce qu'a fait Amy Cooper (alias la Karen de Central Park) est également normal. Je ne connais que trop bien cette Amy Cooper "je ne suis pas raciste". Les Amy Cooper utilisent leur privilège blanc comme une arme. Comme l'a écrit The Cut, "[Cooper] pourrait être votre boss, votre voisine ou votre enseignante, un jour où elle est mal lunée." Ce sont les racistes qui se vantent d'avoir des ami·es noir·es. Ce sont celles et ceux qui vous touchent les cheveux et n’ont aucun remords à dire le "N-word" sur les chansons de rap jusqu'à ce qu'ils se fassent prendre. Ce sont celles et ceux qui disent : "Je ne vois pas les couleurs". Cela peut sembler peu de choses - des choses excusables - mais ces petites choses mènent toutes au même résultat : refuser de reconnaître sa connivence avec des systèmes et des politiques sociales qui vous profitent et oppriment les autres, c'est laisser délibérément mourir les Noir·es. Chers ami·es Blanc·hes : Ne vous détournez pas de la souffrance des Noir·es. Si nous n'avons pas ce luxe, vous ne devriez pas l'avoir non plus. 
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Au cours d'une crise mondiale qui selon certains serait un sorte de "grand égalisateur", les inégalités entre les Noir·es et les autres se sont pourtant encore exacerbées. Une maladie mortelle est en train de tuer nos aînés et de bouleverser nos communautés. C'est une réalité dans le monde entier. Mais pour les Noir·es des États-Unis, le tribut émotionnel de ce virus est alourdi par une pandémie de racisme. De nombreuses études montrent que le fait d'être exposé de manière répétitive à la mort de Noir·es a des effets dévastateurs sur notre santé mentale. C'est le traumatisme de décennies d'oppression qui vit dans notre corps. La charge qui pèse sur notre bien-être mental ne peut être quantifiée. Les violences faites aux Noir·es s'enveniment et se propagent. Elles infectent et tuent. C'est épuisant au-delà de tout entendement. Et pourtant, nous nous levons chaque matin et allons au travail. Même quand on ne va pas bien, il faut tout de même faire bonne figure. Nous nous tournons vers les réseaux sociaux pour plaider notre cause auprès des Blancs. Nous appelons nos allié·es à être plus efficaces, à faire plus. Nous faisons notre deuil ensemble. Nous exprimons notre colère. Nous pleurons. Nous nous battons. Nous nous soutenons mutuellement, dans la joie et le rire, et avec notre culture riche et unique. Nous savons que nous ne sommes pas seul·es. Mais nous savons aussi que tout cela ne finira jamais. Et ce désespoir que nous ressentons ? C'est ça qui est normal. 
Comme tous les parents, les parents noirs apprennent à leurs enfants à éternuer dans leur coude et à se tenir à deux mètres des gens. Ils continuent aussi à avoir "la discussion". Les enfants noirs apprennent le nom de George Floyd. Et celui d'Ahmaud Arbery. Et celui de Breonna Taylor. Ces noms les marqueront à jamais.
Chers ami·es Blanc·hes, si vous voulez devenir de véritables allié·es, traitez le racisme anti-noir comme le mal endémique qu'il représente. 

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