"Je me sens anxieuse", confie à Refinery29 Mankiran Dhillon, 30 ans, qui vit avec ses parents à Delhi. "Personne n'était prêt à cela. Notre pays a eu un an pour se préparer et n'a rien fait d'autre que d'organiser d'énormes rassemblements, ça ne devrait pas être une surprise que nous soyons livrés à nous-mêmes".
Les rassemblements auxquels Mankiran fait référence font partie des élections régionales actuelles en Inde. Ils ont été autorisés à se dérouler (avec de nombreuses personnes présentes sans masque) malgré la crise du coronavirus. Certain·es disent qu'ils ont contribué à la deuxième vague qui dévaste actuellement le pays.
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Alors que l'Inde connaît une forte augmentation des cas de COVID-19 en raison de la propagation d'un variant double mutant qui semble être plus virulent, des personnes meurent chaque jour par manque d'oxygène. Chaque jour, le nombre de cas augmente, avec plus de 20 millions de cas désormais enregistrés. Le pays a enregistré plus de 300 000 nouveaux cas par jour pendant près de deux semaines consécutives et a récemment enregistré 412 000 nouvelles contaminations en 24 heures. Le nombre de décès s'élève actuellement à plus de 230 000. C'est la pire épidémie de coronavirus au monde. Pendant ce temps, les hôpitaux sont à court d'oxygène. Sur Twitter, Vikas Pandley, rédacteur en chef de la BBC pour l'Inde, partage les témoignages d'hôpitaux sur la pénurie d'oxygène.
Oh god - can we please save these children? @tehseenp @dilipkpandey @AAPDelhi @CMODelhi @atorneybharti https://t.co/epRdRqrgi2
— Vikas Pandey (@BBCVikas) May 3, 2021
Rien que Delhi, où se trouve Mankiran, a signalé plus de 20 000 nouvelles infections et 407 décès dimanche dernier. Mankiran a utilisé son Instagram pour partager des informations sur la crise du coronavirus en Inde au fur et à mesure de son évolution. "Le COVID est à notre porte", dit-elle, "je ne peux pas sortir de chez moi". Tous ses voisins sont infectés. L'un d'entre eux a été emmené à l'hôpital pour un traitement urgent. Elle ne sait pas comment ils vont.
Au milieu du chaos et de l'incertitude, les réseaux sociaux sont devenus une bouée de sauvetage, selon Mankiran. Instagram et WhatsApp sont devenus un moyen de se connecter avec les gens, à la fois celles et ceux qui cherchent de l'aide et celles et ceux qui peuvent offrir un soutien. Un groupe de soutien, composé principalement de jeunes femmes comme elle, a d'ailleurs été créé.
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Dans le cadre de ce groupe, Mankiran a créé des posts de SOS quotidiens sur son Instagram pour celles et ceux qui ont un besoin urgent d'un lit, d'un approvisionnement en oxygène ou de médicaments. Cela permet de taguer des sources fiables et d'aider à élargir la portée. Une liste de contacts et de ressources à partager a également été créée. Toutes les ressources sont d'abord vérifiées, car l'Inde assiste à l'émergence de certaines arnaques où les prix des bouteilles d'oxygène sont triplés par celles et ceux qui cherchent à tirer profit de la crise.
Il est réconfortant pour moi, journaliste indienne-britannique basée au Royaume-Uni, mais dont la famille vit à Delhi, de voir les efforts de Mankiran. Mais je ne peux m'empêcher de me sentir anxieuse. J'ai peur de cliquer sur le prochain article, craignant l'horreur du nombre de morts que je verrai en actualisant la page. J'ai cessé de dormir : les appels téléphoniques avec les membres de ma famille, combinés aux photos que je reçois sur WhatsApp, font qu'il m'est impossible de me déconnecter. Compte tenu de ce qui s'est passé au Royaume-Uni l'année dernière, je crains que la situation n'empire avant de s'améliorer.
"L'impact mental que cela va laisser sur notre génération est incommensurable", me dit Mankiran lorsque je partage mes sentiments. "Je connais des jeunes qui sont à peine adolescents et qui ont perdu leurs deux parents. Ils devraient profiter de la fac, passer du temps avec leurs amis et penser à leur avenir. Mais ils doivent faire face à une crise à laquelle personne au monde ne les a préparés".
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Pour moi, la douleur d'être témoin de ce qui se passe en Inde est une chose. Mais la douleur de sentir que le reste du monde - en particulier le Royaume-Uni avec son énorme programme de vaccination, dont on pourrait dire que le pays thésaurise les stocks - ferme les yeux est déchirante. Quand je parle à ma famille, ils font écho aux mots de Mankiran. "Le COVID est à notre porte", répètent-ils sans cesse. Cela m'a fait comprendre que, même si la réponse du gouvernement britannique face au COVID était loin d'être optimale, nous avons la chance d'avoir un système de santé fiable et que nous avons (espérons-le) presque passé le pire de la pandémie. L'Inde n'a même pas encore atteint le pic de cette deuxième vague.
Cette deuxième vague semble avoir pris l'Inde au dépourvu. Mais au vu de ce que d'autres pays ont connu, ce n'était sûrement pas une surprise ? C'est pourquoi le Premier ministre indien Narendra Modi est confronté à des appels à la démission. Une pétition a été lancée et un hashtag a fait le tour de Facebook. Modi est une figure controversée. La semaine dernière, son gouvernement a ordonné aux entreprises américaines de réseaux sociaux de bloquer les messages critiquant leur gestion de l'épidémie de COVID-19. Ces allégations de censure dans la plus grande démocratie du monde sont graves. Les représentants du gouvernement ont toutefois répondu en disant que les gens utilisent les réseaux sociaux pour semer la panique dans la société indienne.
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Lorsque nous parlons au téléphone ou sur WhatsApp, ma propre famille me répète sans cesse que "ce désastre était évitable". Ils veulent savoir pourquoi le gouvernement ne s'est pas préparé à une deuxième vague ou n'a pas mis le pays en confinement. Ils estiment que le gouvernement de Modi s'est davantage concentré sur le fait de gagner les élections à tout prix et que le COVID n'a pas été pris au sérieux par le dirigeant du pays.
Comme Mankiran, Dimple Purohit, 24 ans, une ancienne banquière d'investissement de Bangalore, essaie d'aider au maximum grâce à son Instagram.
Dimple crée des posts sur l'aspect sociopolitique de la crise actuelle en Inde. Elle veut couper court aux rumeurs et à la désinformation et estime que le monde doit savoir ce qui se passe. "Je poste sur mon Instagram toute la journée, tous les jours, des informations actualisées", explique-t-elle à Refinery29. "Je sais qu'il y a beaucoup de fausses informations, alors je veux aider en donnant autant d'informations précises que possible".
Depuis que la deuxième vague a frappé l'Inde, Dimple s'efforce de trouver, vérifier et amplifier les ressources disponibles. Selon elle, les réseaux sociaux permettent de mettre en relation les personnes dans le besoin dans les différents États et villes du pays.
"Cela aurait dû être la responsabilité du gouvernement", soupire-t-elle. " Il y a aussi beaucoup de chaos et pour aider à atténuer cette situation, j'ai aidé différentes organisations et groupes créés pour aider face au COVID à trouver autant de volontaires qu'ils avaient besoin. Cela va de la collecte de fonds à la gestion des services d'ambulance. J'ai également élaboré des stratégies pour mieux organiser et rationaliser le processus d'aide aux personnes".
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"Nous savons que le gouvernement ne viendra pas nous sauver", ajoute-t-elle. "Nous ne pouvons pas maintenir aveuglément les espoirs, même après avoir perdu d'innombrables vies, alors les citoyens et les volontaires créent un meilleur système pour nous-mêmes".
TikTok est actuellement interdit en Inde. C'est pourquoi Mankiran et Dimple utilisent Instagram.
En raison de l'augmentation du nombre de décès, les files d'attente sont énormes et le temps d'attente est d'au moins 24 heures devant les crématoriums. Dimple explique : "Partout où vous vous tournez, il y a des crémations de masse. Nous pouvons sentir la mort dans l'air que nous respirons. Les chiffres officiels ne rendent même pas justice au nombre réel de personnes qui perdent la vie. Les gens supplient littéralement pour avoir de l'oxygène".
Dimple ne peut se remettre du fait que ces décès étaient évitables. "Nous n'étions pas préparés", m'a-t-elle dit. "Il y avait une année entière et le gouvernement ne pensait pas que c'était assez important pour se préparer à quelque chose d'aussi grand. À un moment où l'on s'attend à ce que le gouvernement se concentre sur l'affectation de toutes les ressources pour sauver son peuple, il se concentre sur la politique du parti. À un moment où les gens mouraient en grand nombre, il a non seulement autorisé mais encouragé ces énormes rassemblements religieux à grande échelle. Et ils ne font toujours rien pour empêcher tous ces décès".
En ce qui concerne les tentatives de censurer ce que les Indien·nes ont à dire sur les réseaux sociaux, Dimple déclare : "Je pense que l'émotion commune que nous ressentons tous est d'être impuissants, réduits au silence, étouffés". Elle ajoute que certaines personnes ont peur de poster quoi que ce soit en ligne, même s'il s'agit simplement de demander de l'aide.
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C'est une crainte rationnelle. Dans l'État d'Uttar Pradesh, gouverné par le BJP, le parti de Modi au pouvoir, toute personne qui lance un SOS ou un appel à l'aide pour obtenir de l'oxygène a été informée qu'elle risquait des poursuites pénales et même la prison. Selon les dirigeants de l'État, ces appels sont des "rumeurs" et de la "propagande". La semaine dernière encore, un homme a été arrêté pour avoir lancé ce que les policiers ont qualifié de "faux tweet", un SOS parce que son grand-père était mourant. Selon les critiques, cette mesure reflète une érosion générale des libertés civiles et de la liberté d'expression en Inde au cours des dernières années.
"Le fait que le gouvernement n'aide pas est déjà assez rageant en soi", me confie Dimple, "mais la censure supplémentaire des réseaux sociaux fait que les gens sont maintenus dans l'incapacité de s'entraider. Le gouvernement veut toujours peindre une image flatteuse au niveau international et est prêt à tout pour maintenir son peuple dans la détresse si la vérité risque de ruiner cela".
Des jeunes femmes comme Dimple et Mankiran sont à la tête du soutien. Elles ne laisseront pas le gouvernement s'en tirer indemne et ne permettront pas au monde de détourner le regard. Rasna Bhasin, 28 ans, consultante en marques et créatrice de contenu à New Delhi, a cessé d'utiliser sa page Instagram pour promouvoir son travail et en a fait une page de soutien au COVID. Elle compte 94,2 millions de followers.
L'objectif de Rasna est d'aider les gens à trouver de l'oxygène abordable et fiable. "Je soutiens ceux qui se trouvent dans différents États de l'Inde où la situation est extrêmement mauvaise", a-t-elle déclaré à Refinery29. "Les gens font actuellement la queue. Ils font la queue pour essayer d'obtenir de l'oxygène qui est commercialisé illégalement et qui est maintenant plus cher que n'importe quelle autre denrée".
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"Ça a commencé avec quatre d'entre nous, des amies", explique-t-elle, "puis c'était 10 et maintenant nous sommes 18 à aider à trouver de l'oxygène pour les hôpitaux. Nous trouvons des pistes et les vérifions pour nous assurer qu'elles sont légitimes avant de les poster".
Les systèmes de santé indiens sont poussés à leur limite et s'effondrent sous nos yeux. Le pays tout entier en souffre.
"C'est déchirant de voir que tant de personnes perdent leurs proches à cause du COVID", a conclu Rasna. "En tant que Sikh, je crois que le service désintéressé peut aider et je crois que ce virus peut être combattu. Mais j'ai aussi perdu des gens à cause du virus, mes amis ont perdu des êtres chers. Cela me rend intérieurement paralysée".
Rasna et son équipe ont été nommées les Seva Sisters. Il s'agit d'une référence à un groupe religieux qui mène des actions de proximité pour lutter contre les inégalités. Travaillant 24 heures sur 24, Rasna s'associe à des personnes de tous horizons ; elle a mis en place une collecte de fonds pour aider à l'approvisionnement en oxygène et propose des guides pour gérer le COVID chez soi, pour gérer un concentrateur d'oxygène et pour aider où que l'on soit.
Je suis triste de ce qui se passe en Inde et cette tristesse est aggravée par le fait que les Indien·nes subissent des pressions pour ne pas parler de ce qui se passe. Il ne devrait pas incomber aux individus et aux organisations caritatives de faire le travail du gouvernement, mais voir des jeunes femmes transformer leurs comptes Instagram en une ressource aussi puissante me donne de l'espoir.
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Voici comment vous pouvez aider l'Inde, qui est aux prises avec la pire épidémie de coronavirus au monde :
L'UNICEF envoie en Inde des équipements de première nécessité tels que des appareils à oxygène, des kits de test rapide et de premiers soins, et des fournitures d'hygiène. Cliquez ici pour faire un don.
Les ONG membres d'Alliances Urgences ouvrent des centres de santé temporaires, mettent à disposition du personnel soignant et fournissent du matériel médical essentiel tels que des lits, de l’oxygène, des médicaments et des vaccins. Cliquez ici pour faire un don.
Le Migrant Workers Solidarity Network a été créé l'année dernière après que plusieurs travailleurs migrants ont parcouru à pied des centaines de kilomètres pour rentrer chez eux en Inde après le confinement brutal. Les travailleurs migrants continuent de lutter pendant le confinement actuel et se démènent pour pouvoir rentrer chez eux. Cliquez ici pour faire un don.
La Croix-Rouge indienne accepte les dons du monde entier pour venir en aide aux victimes du COVID. Outre les dons financiers, vous pouvez également donner des ventilateurs, des masques, des flacons désinfectants, des gants et des rations sèches dans les antennes nationales, si vous vivez en Inde. Certaines succursales d'État proposent également des services de ramassage et de livraison aux personnes souhaitant donner leur sang. Cliquez ici pour faire un don.
En collaboration avec la SaveLife Foundation, Breathe India collecte des fonds pour l'achat de concentrateurs d'oxygène dans la capitale indienne, New Delhi. Cliquez ici pour faire un don.
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