On m’a diagnostiqué une anxiété sociale en 2012, l’année de mon diplôme – et celle aussi où j'ai débuté ma carrière. Aussi longtemps que je m'en souvienne, j’ai toujours eu peur des autres. Petite déjà, j'avais développé une phobie scolaire. Je me souviens supplier ma mère de rester à la maison sur le pas de la porte, pendant qu’elle boutonnait ma veste.
J’ai vécu longtemps avec le sentiment d’être complètement vide, comme si on m’avait aspiré toute personnalité. Cette absence de pensées avait fini par me faire paniquer, et j’étais terrifiée à l’idée que les autres me trouvent ennuyante et se mettent à me fuir. Si bien que j’ai fini par les éviter.
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Autant dire que commencer ma carrière dans une grande agence média n’était peut-être pas la meilleure idée du siècle. Je me souviens être arrivée dans le costume deux pièces de ma belle-mère, et avoir envie de m’enfuir en courant la minute d’après.
J’ai vite compris que sociabiliser ferait autant partie de mon travail que mon rôle en lui-même. Boire des verres entre collègues, réseauter le midi et assister aux awards des talents de mon industrie : tout ça comptait autant que d'être assidue ou avoir de bonnes idées. Ma technique de survie ? Boire trop ou prétendre que j’avais d’autres plans pour la soirée.
C’est aussi ce dont témoigne Carolina, 26 ans, après plusieurs années en relations presse. « Très tôt dans ma carrière, j’ai commencé à rencontrer des difficultés dans mon job parce que je ne voulais pas aller boire des verres avec mes collègues après le travail. Alors que tout le monde devenait amis, je tenais à rester une simple collègue, ce qui je pense a été un frein à ma carrière, parce qu’on avait du mal à comprendre qui j’étais. »
Je savais que mon anxiété sociale était en train de devenir un handicap. Je passais mon temps à essayer de me convaincre que j’étais là pour faire mon travail, pas pour écouter les potions. Le problème c’est que quand on souffre d’anxiété sociale, tout passe pour des potins. Rien que de marcher jusqu’à mon bureau me faisait rougir, tandis que mon coeur s'emballait. « Est-ce que tout le monde est en train de me regarder ? ». J'étais terrifiée par cette idée. Ça m’arrivait souvent de ne pas déjeuner ou de me retenir d’aller aux toilettes pendant 6 heures, juste pour éviter de me faire remarquer. Pareil, je préférais monter les escaliers sur 11 étages plutôt que de prendre l’ascenseur avec les autres.
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Emily Lavinia, 29 ans, raconte avoir passé des années à cacher son anxiété, juste par peur du jugement des autres. « J’avais les mains qui me picotaient ou se mettaient à trembler, jusqu’à ce que je ne les sente plus. Je m’empressais alors de courir aux toilettes pour éviter de sombrer devant tout le monde. Ça lui arrivait aussi de ne pas revenir au travail de toute l’après-midi. « Aujourd’hui je me demande pourquoi je n’ai rien dit à personne. »
« Être transparent avec votre entreprise est crucial. » me dira Nicky Lidbette, CEO de l’asso Anxiety UK. « Souvent, les employeurs peuvent bénéficier d’un programme d’assistance pour leurs employés, ce qui leur donnent accès à un large éventail de soins, comme des thérapies par la parole. »
Si la peur d’en parler à votre patron vous semble insurmontable, se confier à un collègue bienveillant peut être une bonne alternative. « Une oreille attentive peut jouer un rôle déterminant dans le mal-être d’une personne au travail, et même l’encourager à en parler à son employeur. » poursuit Nicky.
C’est seulement lorsque j’ai dû partir en congé maladie que j’ai décidé d’en parler à mon manager. Au début, j’avais très peur de me faire licencier, ou qu’on me traite différemment à mon retour. Mais une fois mon appréhension passée, je me suis rendue compte que ca m’avait soulagée d’un poids énorme. On m’a recommandé une thérapie cognitive, dont j’ai pu bénéficier grâce à ma mutuelle d’entreprise. J’ai été suivie pendant un an. On m’a autorisée à travailler chez moi les jours où je me sentais particulièrement mal, et on m’encourageait à demander conseil quand un projet me mettait mal à l’aise. Je n’avais plus l’impression de devoir cacher mon anxiété au travail.
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Il faut dire aussi que j'étais plutôt chanceuse avec mes collègues. J’ai passé tellement de temps à croire que j’étais une sorte d’alien déguisée en être humain, alors qu’il aura suffi de leur en parler pour qu’elles m’acceptent comme j’étais. On s’est mis à déjeuner ensemble dans des lieux calmes, et j’étais surprise de les voir rigoler à mes blagues, m’acheter des cadeaux pour mon anniversaire ou m’écouter parler de mes problèmes.
Bien sûr, ça n’est pas arrivé du jour au lendemain. Ça a commencé doucement, avec des compliments lancés à la machine à café sur ma tenue ou mon travail. Petit à petit, j’ai commencé à me sentir plus à l’aise, et pas seulement au travail, mais aussi dans ma vie privée.
« J’ai décidé de retourner à l’université, où j’ai reçu énormément de soutien des équipes enseignantes. Ça m’aura permis de prendre peu à peu confiance en moi » raconte Jade, 25 ans, qui a dû démissionner peu de temps après avoir démarré son premier job. « J’ai aussi appris quelques techniques pour faire face en cas de gros coup dur, comme écouter des podcasts/de la musique ou faire quelques exercices de respiration. »
Qu’on se le dise : mon anxiété sociale n’a pas disparu. Il y a certains jours où je me sens tout à fait à l’aise de déjeuner à la cantine bondée de notre entreprise, quand d’autres fois je vais m’enfermer dans les toilettes pendant 30 minutes, le temps qu’on m’oublie. C’est un travail constant, mais que je maîtrise de mieux en mieux. D’autres n’ont pas cette chance.
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« En novembre dernier, j’ai pris la décision de travailler en freelance » nous dit Jade. « Travailler à mon compte veut dire aussi que je suis libre de décider sur quoi je travaille, et à quel moment. Quand je me sens bien, j’en profite pour envoyer des mails, et quand je sens l’anxiété monter, j’en profite pour m’occuper des tâches administratives ou créer du contenu pour mon blog. »
Pour Carolina, c’est l’enseignement et la recherche qui semblent convenir le mieux. « Ce que j’aime avec les parcours académiques, c’est qu’on ne s'attend pas forcément à ce que vous soyez sociable. Certes, vous devez être capables de tenir des séminaires, ce qui parfois me met franchement mal à l'aise. Mais ce n’est qu’une partie de mon travail. J’essaie aussi de me dire que mes étudiants se sentent au moins aussi mal dans leur peau que moi, sinon plus, et ça m’aide. »
On pense que les plus grand succès professionnels sont ceux qui se voient. Mon expérience de l’anxiété et mes efforts pour y faire face m’auront montré une chose : c’est vous qui définissez votre réussite.