Pour beaucoup d'entre nous, la routine matinale en semaine consiste à snoozer son réveil 3 ou 4 fois, à scroller sur Instagram, à boire un thé ou un café et à appliquer une bonne dose de shampoing sec. Mais pour Indi, 29 ans, professeure de yoga, c'est une autre histoire. Tous les matins durant les trois derniers mois, elle a consulté sa smartwatch pour savoir comment elle avait dormi, ce qui la rendait inévitablement frustrée et épuisée pour le reste de la journée. Les statistiques affichées à l'écran lui indiquaient clairement qu'elle n'avait dormi que quatre heures et 41 minutes de "sommeil profond".
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Indi explique qu'elle a acheté sa montre fitness pour mesurer son niveau d'activité mais que, comme elle a toujours eu des problèmes de sommeil, elle a décidé d'essayer d'analyser la qualité de son repos. Ces dernières années, elle a tout essayé, des méthodes scientifiques (la méditation) aux méthodes plus holistiques (compléments de racines de valériane, CBD, lait de lune), mais rien n'a fonctionné. "Je pensais que ma montre m'aiderait à y voir plus clair", dit-elle, "mais cela a fini par avoir l'effet inverse".
Elle admet que les statistiques étaient intéressantes au début, mais qu'elles ont rapidement tourné à l'obsession. "Je ressentais une pression énorme pour trouver le sommeil et le garder, juste pour que la montre affiche de bons résultats. C'était stressant de savoir que ce dispositif était là pour me surveiller durant mon sommeil. Je n'arrêtais pas de me réveiller et je faisais très attention à ne pas trop bouger quand j'étais au lit." Au bout de trois semaines environ, Indi a remarqué que la quantité et la qualité de son sommeil s'étaient effondrées.
Tout comme Indi, nous sommes devenu·es obsedé·es par notre temps de sommeil. Le marché du sommeil est en plein essor, et pas seulement pour les outils de tracking. Selon un rapport paru en 2017, l'industrie de la santé du sommeil a atteint une valeur de 40 milliards, avec une croissance de plus de huit pour cent chaque année au niveau mondial.
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Si votre tracker de sommeil vous dit que vous n'avez dormi que quatre heures de mauvaise qualité - même si c'est loin d'être le cas - il y a de fortes chances que cela affecte votre humeur, vos niveaux d'énergie et votre productivité pour la journée.
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Mais à mesure que les gadgets se multiplient, les inquiétudes augmentent. À l'instar des pas quotidiens ou des macros sur MyFitnessPal, le sommeil est rapidement devenu une autre mesure que l'on analyse via la technologie, et il semble bien que nous prenions tout ça un peu trop au sérieux. Et cela porte un nom : l'orthosomnie, un terme apparu en 2017 dans un rapport publié dans le Journal of Clinical Sleep Medicine. En bref, il s'agit d'une affection touchant les personnes qui sont obsédées par leur sommeil. Les chercheur·euses ont choisi ce terme, "parce que la quête perfectionniste d'un sommeil parfait est similaire à la préoccupation malsaine d'une alimentation saine, appelée orthorexie".
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Comme l'orthorexie, l'orthosomnie n'est pas encore un trouble reconnu, même si le Dr Nicola Barclay, maître de conférences en médecine du sommeil à l'Université d'Oxford, pense que la tendance est en train de changer. "L'orthosomnie est problème sérieux. Un grand nombre de personnes se fient aux trackers de sommeil, qui sont pour beaucoup très imprécis et donnent une très mauvaise estimation du sommeil effectif. Si votre tracker vous dit que vous avez eu un sommeil mauvaise qualité, il y a de fortes chances que cela affecte votre humeur, vos niveaux d'énergie et votre productivité pour la journée, même si c'est faux. C'est cette dépendance qui crée un cercle vicieux et qui risque d’avoir un impact négatif sur votre sommeil", explique-t-elle.
L'autre problème soulevé par Barclay au sujet de ces trackers est leur incapacité à déchiffrer les besoins individuels en matière de sommeil. " On fait une fixation sur les huit heures de sommeil comme si c'était le Saint Graal, mais c'est une fixation contre-productive. La majorité d'entre nous a besoin de six heures et demie à huit heures de sommeil chaque nuit, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Certaines personnes peuvent se contenter de quatre ou cinq heures". Il se peut donc que vous ne soyez pas aussi en manque de sommeil que les gros titres veulent vous le faire croire. Nous manquons peut-être de sommeil de qualité, mais la durée moyenne du sommeil nocturne n'a pas beaucoup évolué au cours des 100 dernières années - sept heures en moyenne.
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Alors, faut-il se passer des trackers de sommeil ? Peut-être bien. L'orthosomnie est l'un des symptômes d'une industrie obsédée par les données. Si vous souffrez déjà d'insomnie, cela peut vous mener droit à la catastrophe. Barclay explique que l'insomniaque typique est souvent un·e perfectionniste, et que des statistiques quotidiennes qui vous rappellent vos lacunes en matière de sommeil pourraient exacerber cette tendance à la perfection.
Si vous pensez souffrir d'orthosomnie, il est préférable de revenir à l'essentiel. Dr Julius Bourke, consultant en neuropsychiatrie chez Re:Cognition Health, souligne l'importance d'établir une bonne routine de sommeil sans tracker. "Arrêtez de vous reposer sur la technologie et instaurez une routine du soir - un bain, une histoire et une berceuse sont des exemples classiques. Notre cerveau réagit bien à ces signaux, que nous soyons bébés ou adultes." Son conseil numéro un ? Visez la même heure de coucher chaque soir et réglez votre réveil à la même heure chaque matin - pas de grasse matinée le week-end (cela peut perturber les rythmes circadiens, pour info).
Un tracker de sommeil peut-il tout de même être utile ? La réponse est sans appel. Barclay et Bourke affirment tous deux qu'un certain niveau de contrôle des chiffres peut être bénéfique à celles et ceux qui cherchent à améliorer leur hygiène de sommeil, mais il faut prendre ces "résultats" avec des pincettes. Une pratique plus saine, et sans doute plus durable, consiste à tenir un journal de sommeil, en suivant les habitudes de sommeil avec, croyez-le ou non, un stylo et du papier. Révolutionnaire !
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