J'ai entendu pour la première fois le terme "rumination" en thérapie en 2019. J'ai (à juste titre) soupçonné que je souffrais de TOC et je me suis retrouvée, apparemment sortie de nulle part, incapable d'arrêter de penser sans cesse aux mêmes terribles et sombres pensées.
Pour essayer de dissiper ma panique, je décrivais à mon thérapeute comment je passais des heures entières à essayer de reconstituer des fragments de souvenirs oubliés depuis longtemps, m'énervant de plus en plus lorsque je ne pouvais pas me souvenir d'un détail quelconque avant de recommencer. Cela se répétait, encore et encore, pour finalement se transformer en une autre transgression imaginaire ou en un détail oublié. La chose qui me faisait paniquer au départ ne signifiait plus rien pour moi, mais cette nouvelle pensée, celle qui a imprégné tout mon squelette d'un sentiment de terreur, est devenue incontournable.
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Je pensais que mon incapacité à surmonter ma détresse signifiait que j'avais fait quelque chose de si terrible que je ne pouvais pas m'en souvenir. Mais il s'est avéré que ce n'était pas ça. Selon mon thérapeute, il s'agissait d'un schéma de rumination particulièrement néfaste.
La rumination, au sens littéral, est l'acte de retraitement ou de remaniement de quelque chose. Si vous recherchez le terme sur Google, il apparaît comme "Processus par lequel les ruminants régurgitent les aliments emmagasinés dans le rumen et les mastiquent de nouveau avant de les avaler définitivement". Berk. Psychologiquement, cependant, c'est notre cerveau qui agit comme l'estomac d'une vache : il traite la même information/le même aliment encore et encore jusqu'à ce que ce soit digeste. Mais contrairement à la vache et à sa digestion, il n'y a pas de point final clair pour savoir quand nous pouvons arrêter de traiter cette pensée.
Le Dr Sheri Jacobson, directrice clinique et fondatrice de Harley Therapy, affirme que les pensées doivent être teintées de négativité pour qu'elles constituent une rumination.
"[Les pensées] dans la rumination sont plus problématiques, plus gênantes en général. Par exemple, si vous pensez à un moment heureux à la plage et que vous n'arrêtez pas d'y penser, nous n'appellerons pas nécessairement cela une rumination. Il y a généralement une pointe de négativité - c'est quelque chose qui est problématique et qui nous dérange". Alors que la "pensée intrusive" est le terme qui désigne la pensée pénible et dérangeante en elle-même, la rumination est le processus qui consiste à faire passer cette pensée en boucle.
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Selon une vaste étude sur le stress réalisée en 2013 par le Lab UK de la BBC et l'Université de Liverpool, la rumination est le plus grand prédicteur des problèmes de santé mentale les plus courants. Bien qu'il n'existe pas de données permettant de déterminer la prévalence de la rumination en soi, l'étude montre qu'elle n'est pas seulement un facteur clé dans des conditions comme les TOC et les troubles alimentaires, mais qu'elle est également liée à l'anxiété et à la dépression. Comme l'a dit le professeur Peter Kinderman au moment de la publication de l'étude : "Les pensées négatives et le blâme de soi-même ont déjà été reconnus comme importants en matière de santé mentale, mais pas dans la mesure où cette étude l'a montré. Les résultats suggèrent que les deux sont des voies psychologiques cruciales vers la dépression et l'anxiété".
La raison pour laquelle la rumination est si absorbante est que, de bien des façons, nous avons évolué et nous nous sommes adapté·e·s à elle. Nous sommes des créatures qui créent des habitudes et qui ont tendance à répéter les mêmes actions encore et encore, à moins que nous ne dirigions délibérément notre attention sur le changement de ces habitudes. En appliquant cela à nos schémas de pensée, il est important de noter que "sur les milliers de pensées que nous avons en une journée, la plupart sont répétitives", comme le dit Sheri à R29, "et la majorité des pensées, nous les avons déjà eues auparavant".
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En outre, nous avons évolué de façon à avoir principalement des pensées négatives. "Notre esprit a tendance à se concentrer sur les problèmes," explique Sheri, "et c'est vraiment ce qui nous a permis de traverser tous ces millénaires : essentiellement, nous cherchons les difficultés pour survivre". La survie repose sur la prise de conscience des risques, certaines des peurs adaptatives (comme la peur des araignées) perdurant bien au-delà de leur utilité immédiate.
C'est là que la rumination entre en jeu. Bien que la pensée négative ne soit pas seulement naturelle et utile, la capacité de notre cerveau à créer des habitudes et à se bloquer dans un cycle peut entraîner une spirale descendante.
Comme tous les problèmes de santé mentale, la question de savoir qui peut être atteint par la rumination n'est pas un cas tranché de cause à effet. Certaines personnes ont tendance à trop réfléchir et à rester dans des boucles de pensée à cause d'expériences vécues dans l'enfance (souvent sous forme de traumatismes), mais d'autres ne ressentent pas ouvertement de mal ou de détresse et peuvent encore être exposées à des boucles de pensée négatives. Il n'est pas surprenant que, comme pour tout le reste, la tendance à ruminer ait été exacerbée par la pandémie.
"Beaucoup d'entre nous ruminent plus que jamais", déclare Charlotte Fox Weber, psychothérapeute et porte-parole du Council for Psychotherapy au Royaume-Uni (UKCP). "Cela pourrait bien être une réponse à la façon dont nous nous sentons limités et coincés sur le plan extérieur. Nous ne pouvons pas voyager, nous socialiser ou vivre exactement comme nous le voulons, et donc notre esprit regarde en arrière. Nous ne savons pas comment envisager l'avenir ou ressentir le sentiment de potentiel auquel nous sommes habitués, alors nous nous penchons plutôt sur le passé, en nous concentrant sur des moments particuliers où nous avions peut-être des choix".
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Le véritable sentiment de chaos et de stress qui accompagne le fait de vivre une pandémie mondiale, entre autres choses, a conduit beaucoup d'entre nous à essayer de donner un sens à la réalité en se rappelant où les choses ont mal tourné. "Je pense que la rumination est une sorte de sens hyperbolique des responsabilités", ajoute Charlotte. "Nous pensons que nous pouvons expliquer notre douleur en regardant un moment dans le temps et en nous lamentant".
C'est ce qui est arrivé à Georgia, 28 ans. Alors qu'elle a toujours été anxieuse et sujette à d'énormes inquiétudes, quelque chose a changé pour elle lors de la pandémie. "Les propos d'un ami ont déclenché ma première crise de panique en quatre ans et j'ai ensuite vécu environ cinq mois d'intenses pensées intrusives, de rumination, d'anxiété et de crises de panique. Je n'avais jamais eu autant de ruminations que l'année dernière". Si certains éléments déclencheurs lui étaient personnels, d'autres étaient directement liés à la pandémie mondiale. "J'avais si bien géré la pandémie jusque-là que je pense que c'était un mélange de plusieurs choses : la pandémie qui m'a finalement atteint, la situation spécifique dont mon ami a parlé, le fait d'être à la maison sans stimulus extérieur, le manque d'interaction communautaire et sociale pour m'aider à m'ancrer dans la réalité, et le temps de l'obsession et de la boucle ininterrompue".
Avec seulement les personnes de foyer (si vous ne vivez pas seul·e) et votre internet comme compagnie, les repères clairs qui interrompent votre journée, vous encouragent à faire une pause ou vous libèrent l'esprit pendant quelques minutes ont disparu. À leur place se trouve la capacité de votre cerveau à tourner en boucle, et un flux constant de nouvelles terrifiantes et d'émotions d'autres personnes sur les réseaux sociaux. Pas étonnant que les gens ruminent.
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La fin du couvre-feu, sans passer par un troisième confinement, étant une idée incroyablement optimiste à l'heure actuelle, la question devient de savoir comment vous pouvez vous libérer de ces quelques pensées terrifiantes à répétition. Pour celles et ceux dont la rumination fait partie ou se développe en TOC, les méthodes de self-soothing (autrement dit des méthodes auto-apaisantes) peuvent souvent faire partie du cycle - comme la compulsion de se laver les mains ou d'éteindre les lumières de façon répétée.
Ce sont les compulsions les plus connues associées aux TOC ; les gens recherchent également des cas beaucoup moins évidents d'auto-apaisement, comme boire ou se distraire avec les réseaux sociaux. De nombreux mécanismes d'adaptation ne sont apaisants qu'en théorie ou sur le moment, et les effets à long terme peuvent être plus néfastes. "Par exemple, la plupart d'entre nous ne réalisent pas que lorsque nous buvons pour essayer d'effacer nos pensées, cela devient encore pire", dit Sheri. "Physiologiquement, notre corps avait une dose de toxines et cela finit par déclencher des pensées sur nous-mêmes. Ce n'est pas vraiment propice à une bonne estime de soi - et donc le cycle continue".
Mais il y a de l'espoir. Contrairement à la génétique ou aux traumatismes de l'enfance, nous avons la capacité de modifier nos cycles de pensée et nos comportements, ce qui signifie que vous pouvez apprendre à gérer la rumination. La thérapie, si vous pouvez vous le permettre, peut être une aubaine. On avait diagnostiqué à Georgia des périodes de dépression et d'anxiété depuis qu'elle avait 21 ans, mais elle n'avait jamais trouvé de thérapeute qui lui convenait ou qui évoquait des ruminations. Cependant, après avoir demandé une TCC (thérapie cognitivo-comportementale) l'année dernière, elle a trouvé une véritable libération. "Ma nouvelle thérapeute a été incroyable. Elle m'a expliqué les ruminations, m'a donné des outils pour y faire face et m'a fait me sentir moins coupable".
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Outre le recours évident aux thérapies par la parole - et beaucoup de gens trouvent la TCC particulièrement utile pour recadrer leurs schémas de pensée - Sheri indique le sport et la méditation comme des pratiques clés à adopter, surtout en situation de confinement. "[L'exercice et la méditation] sont soutenus par la recherche, ils sont gratuits et ont d'immenses avantages pour la santé sur le plan physique et mental".
En outre, Charlotte recommande plusieurs exercices de réflexion. L'un d'eux vise à identifier le moment où la rumination a lieu. À partir de là, vous pourriez éventuellement accepter le déclencheur au cœur de cette rumination. "L'acceptation est le meilleur outil dont nous disposons. Ce n'est pas la même chose que la défaite, mais c'est une sorte de reconnaissance de ce qui s'est passé. Ruminer est une sorte de bras de fer avec ce qui s'est passé, donc l'acceptation aide à résoudre ce problème".
Un autre exercice utile consiste à se centrer sur sa réalité physique. "Amenez-vous dans le moment présent", dit Charlotte. "Aussi délicat que cela puisse paraître, concentrez-vous pour remarquer votre environnement, ressentez-vous dans votre peau et soyez simplement là où vous êtes. Si votre esprit continue sa fixation, rassemblez vos pensées et rappelez-vous que vous avez un certain degré d'autonomie. Vous n'avez pas besoin d'être esclave des ruminations. Cela ne signifie pas que vous pouvez vous en défaire, mais vous pouvez, dans une large mesure, vous encourager à continuer à avancer".
La combinaison de ces exercices de réflexion avec des habitudes saines peut aider à atteindre un équilibre. Aujourd'hui, comme Georgia, je compte sur une combinaison d'outils pour contrôler mon corps et mon cerveau.
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"Pour moi, c'est toujours une combinaison d'outils qui doivent être utilisés ensemble", dit Georgia. "Faire un travail seul, c'est comme mettre un sparadrap sur une plaie ouverte. Cela varie pour chacun bien sûr, mais pour moi, c'est mettre en place des structures rigides composées d'exercice quotidien, de nourriture saine, de passer moins de temps sur les réseaux sociaux, de journaling, de promenades dans des espaces verts et de moins d'alcool - tous les classiques !"
Aucun d'entre eux ne fonctionnerait seul ou sans passer par d'autres exercices de réflexion. Ils ne vous protègent pas non plus contre une éventuelle récidive. Mais ils peuvent vous aider à vous en sortir.
"J'ai encore quelques mauvais moments", explique Georgia. "Je vois les ruminations comme un disque rayé. Quand je suis dans une mauvaise passe, j'ai l'impression que les trois mêmes secondes d'une chanson effrayante passent encore et encore, de plus en plus fort ; quand je suis bien, je peux entendre le disque jouer et simplement observer sans jugement ni attachement".
"Bien que j'accepte que ce ne soit pas la dernière fois que je vis cela, je me sens désormais assez bien préparée pour y faire face".
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