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Au secours ! Le Covid a fait de mon amie une conspirationniste

Illustration by Seung Chun
Tout a commencé en mars, avec l'arrivée de la pandémie de coronavirus. Une amie - une personne intelligente et instruite que j'apprécie et que je respecte, et qui n'a pas peur de me dire quand je me trompe - a publié une interview de l'ancien footballeur britannique et conspirationniste David Icke sur Instagram avec pour légende "Voir les choses sous un autre angle". Je me suis dit ok, bon, Icke n'est certes pas une référence, mais il est toujours bon de remettre les choses en question et chacun a droit à ses propres opinions, même si elles sont fausses.
Mais à mesure du confinement, ses publications habituelles - ses enfants, son chien, d'horribles photos de nous à l'époque où on téléchargeait 60 selfies de nos soirées de beuverie - ont été remplacées par des posts de plus en plus inquiétants sur les "sources d'information", qu'elle qualifiait de "médias véreux" (euh coucou, c'est moi, ton amie journaliste). Elle les accusait d'avoir dissimulé le "fait" que la pandémie de coronavirus était planifiée et d'avoir critiqué les deux films Plandemic - des "documentaires" qui mettent en scène la chercheuse en médecine discréditée Judy Mikovits contenant de fausses allégations, notamment le fait que le virus est fabriqué en laboratoire et a été diffusé "volontairement", que le port d'un masque "active" le virus et que les hôpitaux étaient payés s'ils disaient qu'un patient est mort du COVID-19. Plandemic est interdit sur Facebook, YouTube et Vimeo. 
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Écoutez : pas besoin de travailler dans un service de presse pour savoir que les médias sont incapables de dissimuler quoi que ce soit. Même les choses qui sont censées rester top secrètes fuient en moins de temps qu'il ne faut de temps pour le dire.
Et quelle belle histoire ce serait si tous les gouvernements du monde avaient mis de côté leurs différences pour travailler main dans la main à couvrir une pandémie planifiée, pour que des célébrités, mon amie et quelques "scientifiques" au CV sérieusement douteux débarquent et fassent éclater toute l'affaire au grand jour. Je pense que nous sommes tou·s·tes d'accord pour dire que ce scénario est peu probable.
Au mieux, c'est une perte de temps et d'énergie pour mon amie, qui pourrait l'investir dans autre chose, comme par exemple, savoir si Davina avait vendu la maison à 75 millions de dollars dans Selling Sunset (spoiler : la réponse est non). Au pire, c'est de la désinformation, qui se traduit par des abus racistes à l'encontre des Chinois et par la propagation d'un virus mortel.
Et visiblement, je ne suis pas la seule personne dont les ami·es semblent être tombé·es dans le piège des théories du complot - voyez ce pauvre gars sur Reddit qui essaie de faire un graphique pour convaincre son ami que le nombre de morts du COVID-19 n'est pas "exagéré".


C'est du vaccin dont vous devez vous méfier, apparemment. C'est là qu'ils vont vous injecter des nanopuces.

ROB
"Mon amie de lycée vit avec son père, qui a toujours été friand de théories du complot", explique Amy, 23 ans, journaliste à Londres. "L'autre jour, elle a passé la majeure partie des deux heures de notre rencontre à essayer de me convaincre que le virus n'est pas réel, que les chiffres ne sont pas réels, et que tout a été fabriqué pour que le gouvernement puisse mieux nous contrôler. C'est tout simplement gênant. Je pense que je vais attendre que tout ça soit terminé pour la revoir".
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Rob, 29 ans, fonctionnaire, est confronté à un problème similaire. "J’ai un ami qui est auteur de science-fiction et philosophe diplômé de l'université de Cambridge", dit-il. "Il est également convaincu que le Covid est l'œuvre des Illuminati - la sinistre organisation qui a des agents haut placés et dont le plan est de dominer le monde. Les Illuminati ont créé le Covid pour garder le contrôle, mais cette maladie n'a pas été aussi efficace (comprenez mortelle) qu'ils l'avaient prévu. Ça c'est la bonne nouvelle. C'est du vaccin dont vous devez vous méfier, apparemment. C'est là qu'ils vont vous injecter des nanopuces. Je dirais que la situation m'inquiète à 37 %, et que ça m'énerve à 63 %."
Ça peut être encore plus gênant quand ce sont les membres de votre famille qui se laissent prendre à ces théories. "Mon futur beau-frère croit fermement que le coronavirus est une invention gouvernementale, créée dans le but de transformer le monde en un État contrôlé", confie Rose, 28 ans, influenceuse. "Il pense aussi que Bill Gates va tous nous mettre sous puce avec le vaccin".
Le problème, dit Rose, c'est que tout le monde est supposément dans le coup - il est donc impossible de discuter avec ces personnes. "Malheureusement, ses recherches via les vidéos de YouTube - dont le célèbre chef cuisinier australien et négationniste du coronavirus Pete Evans - confirment ses convictions et parce qu'il pense que les médias mainstream sont également dans le coup, lui présenter les rapports de conseils scientifiques, des témoignages de médecins ou des reportages d'investigation de journalistes ne sert à rien. C'est principalement pour ses trois enfants que je m'inquiète. Ils grandissent en entendant ces idées toxiques jour après jour".
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Sarah, 33 ans, de Londres, a été horrifiée lorsque les "recherches" en ligne de sa cousine l'ont conduite en un lieu très sombre. "Ma cousine s'est toujours intéressée à David Icke et fera occasionnellement (en plaisantant ?) référence aux 'reptiles qui dirigent le monde', mais depuis l'arrivée du Covid, elle a étendu ses recherches à d'autres domaines. La semaine dernière, elle m'a envoyé un document expliquant comment Jeffrey Epstein et les 'réseaux de trafic sexuel d'Hollywood' récoltaient le sang des enfants. Je manque peut-être de courage, mais j'espère sincèrement qu'elle n'abordera jamais le sujet de vive voix avec moi".
Russell Muirhead, co-auteur du nouveau livre A Lot of People Are Saying : The New Conspiracism and the Assault on Democracy et professeur associé de politique au Dartmouth College, souligne que les théories du complot ont toujours existé, et il comprend pourquoi certaines personnes les croient vraies. 

Le concept de complot a pour but de vous donner un sentiment de pouvoir : je peux m'occuper de moi, je peux m'occuper de ma famille, mais je ne peux rien faire contre le fait que [le coronavirus est] là, dehors. Mais si je crois que c'est causé par la 5G, alors là, je peux faire quelque chose.

PROFESSeur VIREN SWAMI
"Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que toutes les théories du complot ne sont pas fausses", dit-il. "Beaucoup de ces théories se sont révélées vraies - certaines complètement dingues. La CIA aux États-Unis a donné aux Américains des drogues psychédéliques dans le cadre d’expérimentations visant à contrôler les esprits. Vous devez garder en tête que nous vivons dans un monde où de puissantes institutions ont trahi l'intérêt public. Les gouvernements mentent. Les dirigeants mentent. Les entreprises mentent".
La raison pour laquelle les théories du complot connaissent un tel engouement en ce moment, c'est que nous sommes coincés dans une situation singulière où nous sommes à la fois isolés et hyper-connectés, explique Viren Swami, professeur de psychologie sociale à l'université Anglia Ruskin. "Pour beaucoup, nous sommes à la maison, enfermés et on passe beaucoup plus de temps en ligne. Ces théories du complot ont également une pertinence directe pour la plupart des gens - par exemple, si quelqu'un croit à une théorie du complot qui pourrait conduire à la propagation du virus, elle est pertinente pour la vie de tous. Alors que des théories du genre 'Elvis n'est pas vraiment mort' ont moins d'implications directes sur votre quotidien".
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S'il est important de noter que la situation en France n'est pas aussi sévère qu'aux des États-Unis, les chiffres n'en sont pas moins inquiétants. Selon une étude menée par l'Ifop, si deux Français sur trois sont relativement hermétiques au complotisme, 21 % des personnes interrogées se déclarent cependant "d'accord" avec 5 énoncés complotistes parmi les 10 qui leur ont été soumis. En tête de liste de ces énoncés, on retrouve l'affirmation "Le ministère de la santé est de mèche avec l'industrie pharmaceutique pour
cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins
" avec laquelle 43 % des Français·es interrogé·es sont d'accord. Pas étonnant, donc, que dans la situation actuelle les théories complotistes sur le Covid-19 fleurissent. Selon une étude récente de l'Ifop datant de mars 2020, plus d'un quart (26 %) des Français pensent que le nouveau coronavirus a été fabriqué en laboratoire, dont 17 % "intentionnellement".
La raison pour laquelle nos ami·es se laissent convaincre par ces théories du complot, explique-t-il, est une combinaison de peur et de sentiment d'impuissance. "Avec le coronavirus en particulier, le problème est difficile à assimiler et à traiter sur le plan émotionnel, car on parle de mort. Et certains des aspects à comprendre sur le coronavirus peuvent être complexes ; ça nécessite un niveau avancé de connaissances scientifiques et une compréhension de base des chiffres ou des valeurs statistiques. Et la plupart des Français·es ne disposent pas ces connaissances. Le concept de conspiration a pour but de vous donner un sentiment de pouvoir : je peux m'occuper de moi, je peux m'occuper de ma famille, mais je ne peux rien faire contre le fait que [le coronavirus est] là dehors. Mais si je crois que c'est causé par la 5G, alors là, je peux faire quelque chose - je peux brûler le relais téléphonique qui se trouve devant chez moi ou je peux manifester dans les rues".
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Des personnes perdent leur emploi, leur maison, ou bien leur entreprise. On peut comprendre pourquoi "ceci est une conspiration mondiale menée par des lézards" a autant de sens que "notre gouvernement n'a littéralement aucune idée de ce qu'il faut faire face à un virus mortel, donc les règles et recommandations vont changer tous les jours et rien n'a plus de sens".
Debra Winter, professeur de pensée critique à l'université de New York et auteure du livre à paraître "Global Catastrophe and Literature" : Writing the Sublime, a récemment écrit un article pour le Guardian sur "les mamans de la classe moyenne qui croient Plandemic", détaillant son horreur envers trois amies qui se sont toutes profondément impliquées dans les théories du complot via les réseaux sociaux. 
Elle avertit que les théoriciens du complot sont "organisés - ils disposent de médecins qui donnent des conférences, des médecins disponibles sur Zoom pour vous informer. Ils ont ciblé certains groupes de personnes et ces théories s'intègrent dans le quotidien de chacun".
Elle ajoute qu'il est plus difficile de faire preuve d'esprit critique lorsqu'on se contente de cliquer sur "partager" sur Facebook. "Nous partageons du contenu sans le lire", indique-t-elle. "Cela peut sembler fiable, mais il faut vraiment creuser et examiner l'origine du contenu. Toutefois, lorsque le contenu provient d'un ami ou d'un membre de la famille, il arrive que vous ne le consultiez pas avec autant de scepticisme".
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Ce qu'il faut éviter, dit-il, c'est d'argumenter à leur manière - donc d'essayer de "prouver" qu'ils ont tort alors qu'en réalité, ce sont eux qui devraient vous convaincre qu'ils ont raison.

Alors comment parler à un·e ami·e qui poste des vidéos YouTube douteuses dans votre groupe WhatsApp ? Faites preuve de compassion, conseille Muirhead. "Je pense que si vous voulez dialoguer avec quelqu'un qui se trouve dans ce cercle d'auto-affirmation où il ne reconnaît que les preuves qui confirment ce qu'il croit, n'essayez jamais d'aller directement à l'encontre de ce en quoi il croit. Ne le jugez pas, mais dites plutôt : "Je ne suis pas convaincu de ça, mais c'est intéressant que tu en sois si convaincu". 
"Je demande parfois à mes amis à quel point ils sont confiants dans leurs convictions [sur une échelle], où 100 représente une certitude totale et zéro aucune certitude. S'ils répondent moins de 100, demandez leur ce qui les amène à douter de cette théorie", poursuit-il. "Je pense qu'il peut être difficile pour quelqu'un qui croit à une de ces théories de répondre à de telles questions, mais au moins, ça ne dit pas qu'ils ont tort, qu'ils sont bêtes, ou que vous êtes plus intelligent·e qu'eux - vous ne créez pas une sorte de conflit qui équivaut au fond à une insulte. Si vous essayez d'ouvrir l'esprit de quelqu'un, ne serait-ce qu'un peu, l'insulter n'est pas très efficace".
Winter ajoute que si cette personne vous propose trois articles ou vidéos à regarder, acceptez - puis renvoyez-en trois vous-même.
La clé pour rester amis est de trouver les sujets sur lesquels vous pouvez vous mettre d'accord, explique Swami. "Il s'agit d'essayer de comprendre pourquoi ces personnes croient ce qu'elles croient. Et une fois que vous avez entamé cette première négociation, il est important de trouver les espaces où vous pouvez avoir une discussion constructive sur les sujets sur lesquels vous êtes d'accord. Et je vous suggère également de ne pas trop parler - les gens ont tendance à forcer leurs opinions lorsqu'ils pensent avoir raison, alors ils parlent sans écouter l'autre personne".
Ce qu'il faut éviter, dit-il, c'est d'argumenter à leur manière - d'essayer de "prouver" qu'ils ont tort alors qu'en réalité, ce sont eux qui devraient vous convaincre qu'ils ont raison. L'autre problème peut être qu'ils pensent que vous êtes dans le coup. "En 2016, le rappeur B.o.B. a tweeté en affirmant que la Terre est plate et en utilisant des connaissances scientifiques vraiment basiques pour le prouver", raconte Swami. "[L'astrophysicien] Neil deGrasse Tyson lui a répondu par un tweet que c'était un non-sens - mais B.o.B a répondu que deGrasse Tyson faisait lui-même partie de la conspiration, donc dans un sens il n'y a aucun moyen d'avoir un débat rationnel avec quelqu'un qui croit en une théorie du complot".
Cependant, selon Muirhead, il faut être capable de réaliser que l'on peut être en désaccord et éviter un sujet pour toujours si l'on veut rester ami·es. Demandez à votre ami·e : "Hé, tu crois qu'il est possible que quelqu'un comme moi puisse te faire changer d'avis à ce sujet ? Il se peut qu'il ou elle réponde que non. Alors vous serez fixé. Je pense qu'en général, il est très difficile de faire changer d'avis à quelqu'un sur quelque chose auquel il croit. Demandez-vous : pourrait-on me faire changer d'avis sur l'avortement, ou sur le réchauffement climatique ? Entre amis, votre rôle n'est pas de vous faire changer d'avis, votre rôle est de communiquer et de vous comprendre. Et je pense que lorsque vous le faites, il est bien plus facile de vivre dans le monde ensemble. Et peut-être qu'au bout d'un certain temps, vous finirez par vous façonner l'un l'autre. Mais n'essayez pas d'y parvenir cette semaine".
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