« Mieux vaut prévenir que guérir. » Si l’expression a du bon, l’excès de prudence, elle, peut s'avérer très handicapante. C’est ce qu’on appelle l’hypervigilance, ou hyper-analyse.
Je fais partie de ces gens là. De ces personnes qui sont tellement conscientes de ce(ux) qui les entourent qu’elles n’arrivent plus à s’en détacher. Que ce soit mon environnement, les émotions ou perceptions des autres, tout me met constamment en alerte. Et plutôt que de servir comme un mécanisme de survie, ma vigilance se place toujours en travers de ma route. Un vrai empêcheur de tourner un rond.
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« L’hypervigilance agit comme un détecteur de fumée, constamment en train de scanner les alentours pour détecter toute forme de menace potentielle, même quand cela est peu probable. » nous dit le psychologue clinicien Dr Joe Oliver. « Bien que ce ne soit pas toujours un ces symptômes, l’hypervigilance est courante chez les anxieux, ou les personnes qui présentent un trouble de stress post-traumatique.
J’ai moi-même pris conscience de mon hypervigilance en lisant l’ouvrage d’Olivia Laing, The Lonely City. Dans son livre, Olivia Laing examine les errances du psyché quand celui-ci est coupé des autres, notamment lors de périodes de solitude prolongées. Pour ce, elle s’inspire de sa propre expérience de la solitude, mais aussi d'artistes comme Andy Warhol et Edward Hopper. Elle se souvient par exemple de ses difficultés à communiquer avec des étrangers : « L’intensité de mes réactions - comme le fait de rougir ou d’être prise de panique - témoignait clairement de mon hypervigilance. J’étais arrivée à un point où toutes mes perceptions et réactions sociales étaient constamment altérées par ma peur. Il y avait comme quelque chose en moi - disons une sorte de détecteur faussé - qui identifiait constamment un danger. Le moindre changement de ton dans la voix d’un interlocuteur me laissait entendre que j’étais potentiellement en danger. »
Mon corps comme ma tête sont à l’affût de dangers , même improbables. Quand je me trouve dans un groupe de personnes par exemple et qu’on nous demande de se présenter, je suis toujours la dernière à le faire. Mes paumes deviennent moites et mon coeur bat la chamade. J’ai l’impression de me plonger en moi-même, et je sens le rouge me monter aux joues. Je suis là à répéter ce que je vais dire dans ma tête, mais je sais déjà que lorsque je prendrai la parole, ma voix sera enrouée. Pire encore, il m’arrive d’oublier des mots ou de faire des digressions étranges. Sans parler de l’hyper-analyse. Je n’ai même pas encore fini de parler que je suis déjà en train d’analyser la situation et me demander ce que les autres pensent de moi. « Est-ce que cette personne m’apprécie ? Qu’est-ce qu’ils sont en train de se dire ? Ça m’interrompt constamment - est-ce que ce je dis est intéressant ? (vous voyez) Quand j’ai dit ça ou quand j’ai mal prononcé ce mot, j’ai vu qu’ils avaient changé d’expression - si je l’ai vu, je vous assure. Maintenant tout va foutre le camp et les gens vont se mettre à me détester ou me juger. »
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La plupart du temps - surtout quand on est anxieux ou hypervigilant - on est persuadé d'être très bon pour déchiffrer ce que pensent les autres. Or, c'est souvent tout le contraire.
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En théorie, je m’en fiche d’être aimée ou détestée. Et en même temps, personne n’a envie d’être mis à l'écart. Parce qu’on est tous plus ou moins interdépendants, non ? « L’anxiété et la peur sont les moteurs de l’hyper-analyse, mais c’est aussi elle qui les alimente. » nous dit le docteur Oliver. « Les personnes perfectionnistes sont plus susceptibles d’être hypervigilantes ». Une amie à moi par exemple a toujours peur que les autres ne l’aiment pas : « Je passe mon temps à réfléchir à ce que j’ai dit ou fait. La plupart du temps, je sur-interprète le ton ou le langage corporel des autres. Je suis avide de détails, et j’ai toujours été très consciente du regard des autres. Peut-être que c’est parce que je cherche à éviter les tensions, donc j’essaie de comprendre tous les tenants et aboutissants d’une situation, même si ça veut dire aussi me mettre moi-même mal à l’aise. Si la conversation ne coule pas d’elle-même, je vais considérer que c’est moi qui m’y prend mal. »
Quand on évolue en plus dans un milieu ultra compétitif où l’accès à certains rôles va être limité - et que les rejets font légion (on pense par exemple au marché de l’emploi) - il est encore plus difficile de briser le cercle. Lors d’un entretien d’embauche par exemple, on ne va pas se mentir, vous êtes observé-es sous tous les angles. Ce qui explique qu’on dérape et dise ce qu'il ne faut pas, quand bien même on s’était préparé. Vous vous mettez à rougir et à perdre tous vos moyens. Forcément, vous serez recalé-e, et le poste sera confié à quelqu'un qui a plus confiance en lui. Ça peut vraiment finir par devenir un cercle vicieux, parce qu’à force de croire que les gens ne vous aiment pas, c’est ce qui finit par arriver. Vous finissez par éviter voire vous interdire certaines choses. Moi-même par exemple, j’ai refusé certaines opportunités à cause de mon hypervigilance.
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Alice, 25 ans, dit ne pas souffrir d’anxiété mais de faire systématiquement preuve d’hypervigilance en entretien d’embauche : « Récemment, j’ai été invitée pour un entretien que j’étais persuadée de rater. Et je pense qu’à force de me le répéter, c’est ce qui a fini par arriver. Un désastre. J’étais tellement nerveuse que je n’écoutais plus les questions, je ne pensais qu’à ce que j’étais en train de dire et butais aux moindres petits gestes ou expressions du recruteur. »
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Quand vous vous êtes mise à rougir, ce n’est pas dit que qui que ce soit l’ait vu. Et il n’y a sûrement que vous pour remarquer que avez buté sur un mot.
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Le danger avec l’hypervigilance, c’est qu’on est persuadé d'être de très fins analystes, bilingue en langage corporel, quand en vérité on est souvent très mauvais. « Bien sûr, ca arrive qu’on déchiffre correctement les signes que l’autre nous envoient, mais la plupart du temps - surtout quand on est anxieux ou hypervigilant - on est extrêmement mauvais en la matière. Prenez l’habitude de vous demander : “est-ce que j’ai mes lunettes d’anxieux·se sur le nez, ou est-ce que c’est vraiment ce qu’il faut voir, là ?”. Ça devrait vous aider à y voir plus clair. »
L’hypervigilance, comme l’anxiété, vous fait vous sentir comme quelqu’un à l’arrière d’une voiture conduite par un très mauvais conducteur. Vous lui demandez de ralentir, mais le chauffeur ne veut rien entendre et va continuer de tanguer ou d’accélérer, même quand ce n’est pas nécessaire. Soyons honnète, qui voudrait monter dans cette voiture ? Pendant des années, j’ai tout fait pour éviter ce scénario. Le problème, c’est que si vous ne montez pas dans la voiture, vous prenez le risque de n’aller nul part.
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À force, j’ai fini par comprendre quelque chose : ça aide de savoir où vous allez. Par exemple, j’ai récemment dû tenir une présentation devant un paquet de monde, pour un projet qui me tenait à coeur. Il fallait aussi que j’apprenne à réseauter. Comme je sais où je vais, j’ai moins de mal à « monter dans la voiture » ; pour continuer de filer la métaphore. D’ailleurs, c’est un peu ce que préconise le docteur Oliver : « Posez vous la question “qu’est-ce qui m’importe là, qu’est-ce que je cherche à atteindre ?” ». Ensuite, utiliser la réponse comme un compas qui va servir à vous guider dans vos démarches.
Avoir un objectif, tout comme prendre soin de soi, tout ça m’a beaucoup aidé à affronter ma peur en entretien d’embauche. « Quand on a fait une erreur et que la pression monte, notre esprit a tendance à se montrer trop critique. Bien sûr, ça a du sens de vouloir corriger ses erreurs, mais la plupart du temps, la meilleure tactique à adopter, c’est de continuer comme si de rien n’était. »
C’est ce à quoi j’ai décidé de m’accrocher. Je me concentre sur mes forces, je ralentis et respire un bon coup. Je me répète que tout le monde fait des erreurs.
Dernièrement, je me suis mise à observer ce qui fait un bon orateur. Si on transcrivait tout ce qu’ils disent, on se rendrait compte que beaucoup de leurs phrases sont inachevées, que certains mots sont mal prononcés et qu’il leur arrive même de faire des digressions (eux aussi !). Mais la différence, c’est qu’ils ne s’arrêtent pas. Ils gardent confiance en eux. Et c’est cette sérénité qui fait toute la différence.
C’est le problème avec l’hypervigilance. Personne ne fait aussi attention que vous à ce que vous dites ou faites mal. Quand vous vous êtes mise à rougir, ce n’est pas dit que qui que ce soit l’ait vu. Et il n’y a sûrement que vous pour remarquer que avez buté sur un mot. Même chose, quand vous êtes en entretien et avez l’impression de cafouiller, il y a de très grandes chances pour que le recruteur n’y voit que du feu. Sauf si vous vous mettez à perdre tout vos moyens ou à vous auto-critiquer.
Et la grande morale dans tout ça ? C’est que c'est en apprenant à identifier mais aussi à ignorer ses peurs qu’on peut les désamorcer. Et peut-être aussi que c’est en apprenant à être plus sympa avec soi-même qu'on peut s'améliorer. Rappelez-vous : ce n’est pas parce que la route est caillouteuse que vous n'arriverez pas à destination.